The Road home, un film de Zhang Yimou

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The Road home, un film de Zhang Yimou

Messagepar laoshi » 25 Sep 2011, 13:28

J'ai revu hier The Road home, un film de Zhang Yimou intitulé sobrement 我的父亲母亲, Mon père et ma mère en chinois. Il existe en DVD.

Le titre anglais, "Le Chemin du retour à la maison", est particulièrement bien choisi car c'est de retour au pays qu'il est question : pour le fils, Luo Yusheng, d'abord, qui revient par cette route dans son lointain village du nord lors de l'enterrement de son père ; pour le père ensuite, dont la femme exige que son cercueil soit porté à bras d'homme jusqu'au village sur cette même route : selon la tradition, il faut en effet que son nom, "Luo Changyu", soit clamé par les porteurs à chaque carrefour, à chaque pont traversé, pour que son âme puisse se retrouver son chemin vers le village où sont nées leurs amours.

Mais ce chemin du retour est aussi celui de la mémoire individuelle et collective. Le film, adapté d'un roman de Bao Shi intitulé Souvenir, raconte l'histoire simple d'une paysanne illettrée tombée éperduement amoureuse de l'instituteur tout juste nommé au village. Et la route - ou plutôt ce grand chemin de campagne -, est le théâtre principal de cet amour, c'est la route par laquelle arrive ce beau jeune homme, celle par laquelle arrive le savoir, celle aussi par laquelle arrive le malheur : victime de la campagne anti-droitière (c'est du moins ce que l'on peut penser, car l'époque n'est pas précisée), le jeune instituteur - que les villageois doivent nourrir tour à tour -, est arraché à la jeune femme le jour où il doit venir manger des raviolis chez elle. Courant à en perdre haleine sur des chemins de traverse, la jeune femme tente désespérément de rattraper la carriole qui roule sur le grand chemin et emporte son amour loin d'elle vers la ville et vers sa prison. Et c'est l'histoire de cet amour indéfectible croisant la route de l'Histoire politique, de cet amour devenu légendaire au village, qui revient avec toute la fraîcheur du souvenir.

Significativement, le film commence dans la grisaille du noir et blanc (celle de l'arrivée du fils au village) pour se terminer sur des couleurs éclatantes de la dernière scène (celle du départ du fils retournant à la ville après cette parenthèse de la mémoire). Entre temps, noir et blanc et couleur auront alterné au rythme des changements de temporalité mais, contre toute attente, c'est le présent qui est filmé en noir et blanc et le passé qui est filmé en couleur.

Et cette entorse à la convention (en général ce sont les souvenirs qui apparaissent en noir et blanc tandis que le présent est filmé en couleur) suffit à donner la clef du film : pas plus que la vieillesse n'a pu annihiler le souvenir de cet amour de jeunesse, la machine de destruction des différentes campagnes "anti" n'a pu annihiler la tradition. Car il ne faut pas s'y tromper, à sa manière, Zhao Di, la mère du narrateur, est une résistante. Seule au village à avoir gardé son vieux métier à tisser, elle exige qu'il soit réparé pour y tisser elle-même l'étoffe blanche qui recouvrira le cercueil comme l'exige le culte des morts. Comme le vieux bol bleu et blanc dans lequel elle portait son repas à son amour et qu'elle fait réparer alors qu'il ne vaut pas même le prix de la réparation, ce métier ancestral - sur lequel elle avait jadis tissé l'étoffe rouge porte-bonheur qui ornait la poutre-maîtresse de la charpente de l'école -, représente toutes les "vieilleries" que voulait éradiquer le maoïsme et dont quelques individus courageux ont conservé le souvenir pour le transmettre aux nouvelles générations privées de mémoire par l'idéologie dominante.

Au terme de cette anamnèse, Luo Yusheng, qui ne comprenait pas l'obstination de sa mère, prend en charge la cérémonie ; avant de repartir à son tour vers la ville, il rassemble les enfants du village dans la vieille école pour un cours qui renoue avec la mémoire du père : c'est dans le manuel rédigé par celui-ci qu'il fait la leçon aux enfants et l'on comprend que c'était là, sans doute, que résidait la faute politique du père : au lieu de débiter le catéchisme communiste à ses élèves, Luo Changyu avait eu l'audace de penser par lui-même pour imaginer une leçon profondément humaniste, nourrie de confiucianisme. Comme Zhao Di, qui, symboliquement, puise son eau au vieux puits abandonné des autres villageois, Luo Changyu ne croit pas que l'on puisse "du passé faire table rase", il enracine la modernité et son exigence de liberté au coeur de la tradition.

Est-ce à dire que Zhang Yimou, emboîtant le pas à tant d'auteurs chinois d'après la Révolution culturelle, prêche le retour aux "racines" ? Je ne le crois pas, car Zhao Di ne revendique pas le retour pur et simple au passé. Si son amour pour l'instituteur est devenu légendaire au village, c'est aussi parce que, la première, elle a rompu avec la tradition en choisissant elle-même l'homme de sa vie au lieu de se laisser dicter son choix dans un "mariage arrangé". Zhao Di appartient à la lignée de toutes les grandes héroïnes de Zhang Yimou, la lignée des femmes simples, libres et obstinées dont aucune autorité extérieure ne peut briser la volonté. Debout immobile dans la neige et le blizzard, elle attend son amour sur la route au jour dit du retour au risque d'en mourir ; en l'absence de l'instituteur, c'est elle qui répare les fenêtres de l'école qui ouvrira les enfants au savoir et c'est elle encore qui, en organisant ce cortège funèbre d'un autre âge, a trouvé l'argent qui manquait au village pour constuire la nouvelle école qui continuera l'oeuvre de son mari décédé : venus des quatre coins de la Chine, les porteurs sont tous d'anciens élèves de l'instituteur qui refusent tout dédommagement pour porter en terre celui qui leur a donné leurs racines en les ouvrant à la liberté. La dernière scène, celle de la leçon du père reprise par le fils avant son départ, est celle de la mémoire retrouvée, la première qui décline le présent aux couleurs vivantes du passé et qui ouvre vers l'avenir...

Le film a été diffusé en Chine en 1999 ; il a reçu de nombreuses récompenses internationales en 2000.
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The Road home, affiche et extraits

Messagepar laoshi » 25 Sep 2011, 21:07

Road_Home.jpg
l'affiche chinoise
Road_Home.jpg (48.99 Kio) Consulté 633 fois


on peut voir quelques extraits, en anglais, ici

la bande annonce contient les images clefs du film et vous permettra de mieux comprendre mon commentaire.
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