Coming Home, de Zhang Yimou

postez ici vos impressions, vos analyses, vos comptes rendus, résumés ou commentaires des films chinois ou des films ayant trait à la Chine que vous avez aimés ou détestés,

Coming Home, de Zhang Yimou

Messagepar laoshi » 12 Déc 2014, 13:37

La critique est sévère pour Coming Home, le dernier film de Zhang Yimou, je vous en dirai plus quand je l'aurai vu !
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Re: Coming Home, de Zhang Yimou

Messagepar mandarine » 12 Déc 2014, 19:30

J'allais poster la même information ,provenant quant à moi du "Suricate magazine".
Là aussi , la critique porte sur l'omniprésence de la vedette principale.
http://www.lesuricate.org/coming-home-de-zhang-yimou/
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
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Re: Coming Home, de Zhang Yimou

Messagepar laoshi » 18 Déc 2014, 09:05

Le Monde expliquait, il y a peu, pourquoi Coming Home ne représenterait pas la Chine aux Oscars... c'est tout l'écheveau du monde trouble des affaires et des luttes de factions qui est en jeu !
Sur le plan esthétique et cinématographique, un article "protégé" (réservé aux abonnés) critiquait durement l'académisme du film. Le Figaro, qui parle lui aussi d'académisme, est globalement moins sévère :


Le Figaro a écrit:Coming Home, quand l'épouse s'éveillera

La réalisation, soignée, minutieuse, illustrative, paraît d'une froideur académique. L'émotion vient de l'histoire, à laquelle il est difficile de rester indifférent, et des deux interprètes principaux. Ils nous offrent deux beaux visages de cinéma, Chen Daoming captivant de noblesse pensive, et Gong Li, sans apprêts de star, à la bravoure lasse et égarée, perdue dans son attente obstinée. Leurs fidélités parallèles ont une dignité poignante.
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Re: Coming Home, de Zhang Yimou

Messagepar laoshi » 22 Déc 2014, 07:16

Film superbe et bouleversant, quoi qu'en disent certains. Ne le manquez surtout pas ! Je vous en dirai plus dès que j'en aurai le temps !

Les affiches chinoises du film


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Re: Coming Home, de Zhang Yimou

Messagepar laoshi » 17 Jan 2015, 11:20

Avant d'aller plus loin dans l'analyse du film, un résumé de l'intrigue.

Le scénario de Coming Home,
[guī lái], inspiré des trente dernières pages du livre de Yan Geling, Le criminel Lu Yanshi, est on ne peut plus simple. On est en pleine Révolution Culturelle. Lu Yanshi s’est évadé du laogai. Sa femme, Feng Wanyu, et sa fille, Dandan, sont convoquées par le Parti qui les informe de l’évasion, leur ordonne de refuser de le voir et de le dénoncer au cas où il les contacterait. Devenue suspecte, Dandan se voit privée du rôle de danseuse-étoile dans Le Détachement rouge féminin (le ballet fétiche de l’époque, créé en 1964) au profit d’une danseuse moins talentueuse mais politiquement « pure ». Lorsque Lu Yanshi frappe à sa porte, Feng Wanyu, la mort dans l’âme, reste coite mais Lu Yanshi ne se résigne pas : il griffonne un mot sur un papier arraché aux sentences parallèles collées au mur et le glisse sous la porte. Il y donne rendez-vous à Feng Wanyu le lendemain à la gare. Cette fois, Feng Wanyu n’hésite plus. Elle passe la nuit à cuire des pains à la vapeur - [mán tou] -, pour le fugitif. Mais Dandan, ulcérée de l’injustice qui lui est faite, révèle le rendez-vous à l’agent de la police spéciale chargé de surveiller le domicile de sa mère. Lu Yanshi, arrêté manu militari, est renvoyé au laogai tandis que Feng Wanyu, blessée lors de l’interpellation, crie son désespoir...

Trois ans plus tard, au lendemain de la mort de Mao, Lu Yanshi, réhabilité, rentre chez lui. Il découvre alors que Dandan, privée du droit de danser, vit dans le dortoir de l’usine textile dans laquelle elle travaille comme simple ouvrière. Feng Wanyu, qui ne lui pardonne ni d’avoir dénoncé son père ni d’avoir découpé toutes les photos sur lesquelles il figurait, l’a chassée de la maison. Il découvre aussi que Feng Wanyu ne le reconnaît plus : elle le prend pour un certain M. Fang, un cadre du Parti qui a abusé d’elle en son absence. Dès lors, il n’aura de cesse que d’essayer de guérir sa femme, prisonnière de son attente obsessionnelle, et de reconstituer les liens familiaux.

Les années passent. Lu Yanshi, conseillé par un médecin, multiplie en vain les stratagèmes pour réveiller la mémoire de Feng Wanyu : tour à tour, il s’improvise accordeur de piano pour faire entendre à sa femme un air qu’il avait coutume de jouer avant son arrestation, il lui fait livrer une caisse pleine des lettres qu’il lui a écrites clandestinement pendant sa détention et les lui lit sans que s’accomplisse le miracle souhaité. Pour Feng Wanyu, il est devenu « le monsieur qui lit les lettres ». Il parvient pourtant, en mêlant de nouvelles lettres aux anciennes, à convaincre Feng Wanyu de pardonner à sa fille comme il l’a fait lui-même. Il s’improvise enfin conducteur de cyclopousse pour conduire Feng Wanyu à son rendez-vous mensuel avec l’absence, avec sa propre absence : sur la foi d’une lettre reçue du camp des années auparavant, Feng Wanyu s’accroche à l’espoir qu’il lui reviendra « le 5 » du mois…. La scène finale, en écho à la dispersion des « mantou », apporte une touche d’espoir à ce film de la désespérance : c'est le nouvel an, Feng Wanyu apporte des raviolis à Lu Yanshi qui a réussi, sinon à se faire reconnaître, du moins à l’apprivoiser...
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"une goutte d'eau peut refléter le soleil"

Messagepar laoshi » 19 Jan 2015, 09:48

Avec Coming Home, [guī lái] (le tire est écrit en chinois traditionnel et non en chinois simplifié), Zhang Yimou, comme son personnage d’intellectuel de retour des camps, rentre chez lui ; il retrouve le territoire qui était le sien au début de sa carrière, celui du politique, ou plutôt celui de la vie familiale dévastée par le politique. Le film, qui signe aussi les retrouvailles de Zhang Yimou avec Gong Li, nous livre un magnifique portrait de femme opiniâtre en lutte contre l’oubli.

Feng Wanyu est sœur de Qiu Ju (Une femme chinoise), de Songlian (Epouses et concubines), de Jiazhen (Vivre) de Ju Dou et de Zao Di (The Road home), elle appartient à la lignée des grandes héroïnes de Zhang Yimou, la lignée des femmes libres et obstinées dont aucune autorité extérieure ne peut briser la volonté. Est-ce la violence de M. Fang, ce cadre du Parti auquel elle a cédé pour éviter la peine de mort à son mari, est-ce la violence des policiers lors de son arrestation, est-ce le sentiment de culpabilité de n’avoir pas ouvert la porte à Lu Yanshi venu chercher refuge chez elle après son évasion du laogai qui ont causé cet oubli ? Tout cela à la fois sans doute. Toujours est-il que Feng Wanyu a perdu la mémoire. Gong Li, qui a longuement observé les malades d’Alzheimer dans une maison de retraite, joue à la perfection cette lutte de la conscience résistant au naufrage de l’oubli et s’amarrant, du fond du désespoir, à l’idée fixe de son amour perdu. Car Feng Wanyu a beau concéder, du bout des lèvres, qu’elle « fait confiance au Parti », jamais elle n’acceptera comme telle la « vérité » officielle. Tous peuvent bien lui affirmer que l’homme qui est devant elle est Lu Yanshi, depuis qu’elle l’a vu installer son lit chez elle, elle ne peut voir en lui que le sinistre M. Fang, son violeur. Et si elle ne reconnaît plus son mari dans l’homme que les autorités lui ont rendu après la mort de Mao, elle garde intacte la détermination d’être là, le jour de son retour. Le cinq de chaque mois, elle ira l’attendre à la gare. Le film s’achève sur l’image des lourds barreaux du portail que referment sur le vide deux agents en uniforme (ils évoquent plus encore des policiers ou des gardiens de prison que des employés des Chemins de Fer) tandis que Lu Yanshi brandit la pancarte sur laquelle Feng Wanyu a calligraphié son nom au pinceau. Ce nom écrit en gros caractères, réplique douloureuse des fameux dazibao (les affiches à gros caractères de la Révolution culturelle), porté par celui-là même qu’il désigne, symbolise à lui seul les millions de victimes anonymes dont le régime continue à taire l’existence. Comme Lu Yanshi, elles sont là, invisibles dans la société chinoise, porteuses de leur propre absence à elles-mêmes et aux autres.

A ceux qui lui reprochent d’avoir éludé les conditions d’existence au laogai, Zhang Yimou répond qu’« une goutte d’eau peut refléter le soleil », belle métaphore pour décrypter ce film, intimiste en apparence, où se réfractent la réalité de la terreur maoïste et l’amnésie d’un régime qui continue à occulter les horreurs récurrentes de son histoire. Car l’amnésie de l’héroïne est évidemment métaphorique de l’interdit de la mémoire qui pèse sur la société chinoise et qui la condamne, en conséquence, à reproduire, encore et toujours, les erreurs du passé.

A l’évidence, la clef du film est psychanalytique (j’ai déjà montré, dans mon analyse de Ju Dou, à quel point cette référence à la psychanalyse était essentielle pour comprendre Zhang Yimou). Ce qui pourrait guérir Feng Wanyu, explique le docteur, c’est de faire resurgir la mémoire refoulée par l’impression de « déjà vu » (en français dans le dialogue), autrement dit, d’utiliser le principe de l’association d’idées cher à Freud pour provoquer « l’anamnèse », pour conjurer l’oubli. Mais, ajoute le médecin, « la psychanalyse n’existe pas en Chine ». Précieuse clef de lecture pour le spectateur. Zhang Yimou a en effet construit son film sur la dialectique du non-dit et du « déjà vu ». Ce qu’il ne dit pas, c’est à chacun de nous de le lire dans les images qui, comme celles du rêve, fonctionnent comme un rébus.

Cette clef d’interprétation, le cinéaste l’a mise en abyme dans un épisode apparemment dérisoire du film : apprenant que M. Fang a battu sa femme avec une louche, Lu Yanshi part à sa recherche ; les cadres locaux lui apprennent qu’il a été envoyé dans une usine de banlieue (autrement dit, « mis au ban », « banni » de la société, mais cela reste implicite) et qu’ils n’en ont plus jamais entendu parler. Pas un instant, il n’est question de procès, le coupable a été purement et simplement rayé du monde et réduit au silence. Arrivé dans le quartier désolé où M. Fang a été relégué, Lu Yanshi cache derrière son dos la louche avec laquelle sa femme a été frappée. Visiblement, il veut la brandir comme une pièce à conviction face au violeur : « et cette louche, ça te rappelle quelque chose ? », voilà le dialogue que le spectateur anticipe. Mais la porte s’ouvre sur une mégère vociférante qui le prend pour un agent de la police spéciale et lui réclame son mari à corps et à cri. Privé d’interlocuteur, Lu Yanshi se résigne au silence. La scène, emblématique de cette société bâillonnée, où les victimes ne peuvent jamais se faire entendre, invite le spectateur à décrypter le non-dit dans le langage silencieux des choses. Je continuerai cette lecture symbolique du film dès que j'en aurai le temps.
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Le non-dit et le "déjà vu"

Messagepar laoshi » 20 Jan 2015, 09:41

La première chose qui m’a frappée, quand j’ai vu le film, c’est l’anachronisme voulu des costumes des jeunes danseuses, pendant la répétition et pendant le ballet. Il suffit de regarder les images de l’époque pour voir que ce ne sont pas les costumes que l’on portait pendant la Révolution culturelle (1966 à 1976) mais bien ceux que pourraient porter de jeunes ballerines d’aujourd’hui. La chronologie du drame est d'ailleurs volontairement floue, même si Zhang Yimou multiplie en réalité les repères chronologiques.

On apprend que Lu Yanshi s’est évadé du camp après dix ans de détention et que sa fille avait trois ans lors de son arrestation. Repris, il est libéré trois ans plus tard. Son certificat de réhabilitation portant la date de 1978, on peut en conclure qu’il a été arrêté en 1965, que Dandan est née en 1962 et qu’elle se voit refuser le rôle de Wu Qinghua dans Le Détachement rouge féminin,
[hóng sè niáng zi jūn] (l’un des « huit opéras révolutionnaires » choisis par Jiang Qing) en 1975, à la fin de la Révolution culturelle.

Le télescopage de la mode contemporaine et des symboles du culte maoïste (le badge à l’effigie de Mao que portent Feng Wanyu et Dandan, son buste trônant en lieu et place de l’autel des ancêtres) nous rappelle aussi le récent engouement de la Chine pour les « chants rouges » (ceux-là mêmes que pianote Lu Yanshi dans le film) et les ballets révolutionnaires promus, entre autres, par Bo Xilai. Le fameux Détachement rouge féminin triomphait curieusement au Châtelet en octobre 2013 après une tournée triomphale en Chine et l’on pourrait intégrer les images qui en ont été prises au film de Zhang Yimou sans aucunement trahir ses partis-pris esthétiques. A travers ce « déjà vu », Zhang Yimou révèle donc les sombres accointances du régime actuel avec la Révolution culturelle.

Encore une fois, « il se sert du passé pour parler du présent ». Tous les observateurs de la vie politique chinoise le notent, Xi Jinping a parfaitement intégré les méthodes de la Révolution culturelle : même si, fort heureusement, il ne se livre pas au saccage systématique du patrimoine culturel chinois, la « chasse aux moustiques et aux tigres », les appels à la délation, le retour au culte de la personnalité, s’inscrivent dans la droite ligne (si l’on peut dire) des roueries maoïstes. « Ouvrez les yeux, vous l’avez déjà vu », nous dit en substance Zhang Yimou. Le PCC n’a pas changé, il rejoue encore et toujours le même jeu, celui des règlements de comptes occultes entre « princes rouges », celui de la répression des intellectuels, celui de l’abrutissement de la population, privée de débats sur son histoire.

Mais la Révolution culturelle, à son tour, n’est qu’un « souvenir écran » et, si le film fait signe vers le présent, il renvoie aussi à un passé soigneusement occulté par le régime. Lorsqu’on tente, au cours d’une psychanalyse, de remonter au traumatisme originel qui détermine le symptôme, on butte souvent sur ce type de souvenir qui sert à en cacher un autre mais sur lequel celui-ci se projette symboliquement. C’est, en quelque sorte, un mécanisme de défense du moi, une manière de couper court à la réminiscence. Or la Révolution culturelle, dont on peut parler ouvertement en Chine pourvu qu’on accepte la fable de la Bande des quatre et qu’on ne mette jamais en cause ni Mao ni le Parti en tant que tel, n’est elle-même que la sinistre répétition de purges plus anciennes, plus mortifères encore, frappées d’un tabou beaucoup plus puissant.

On apprend en effet, lors de la visite que Lu Yanshi et sa fille font au médecin, que les époux ont été séparés « en tout » pendant vingt ans. La photo de mariage de Yanshi et Feng Wanyu portant la date de 1952 et l’éphéméride que feuillette Feng Wanyu étant alors celui de 1979, on peut supposer que Lu Yanshi a été déporté une première fois lors de la campagne antidroitiers, entre 1957 et 1959, et que la petite Dandan a été conçue lors d’une brève période de liberté (la plupart des victimes de cette immense purge n’ont en effet été définitivement libérées qu’en 1978 ou 1979).

La géographie confirme cette analyse de la chronologie. Là encore, Zhang Yimou multiplie les indices symboliques. On sait que Lu Yanshi a été déporté dans le « Nord-Ouest » et ce n’est sans doute pas un hasard si le cinéaste a mêlé à la foule qui descend les marches du pont de chemin de fer, dans la scène inaugurale des attentes vaines de Feng Wanyu, deux femmes ouïgoures en costume traditionnel. Le Xinjiang est en effet un des hauts-lieux du laogai, c’est là, entre autres, que Gao Zhisheng a été détenu, entre 2011 et 2014, et les Ouïghours sont aujourd’hui victimes d’une répression massive. Là encore, Zhang Yimou met en évidence la répétition catastrophique des vagues successives de détention extrajudiciaire (même si le laogai a été officiellement aboli).

En 1979, Feng Wanyu attend le train de Xining. Xining,
西 [xīníng], est la capitale de la province du Qinghai où un laogai a justement été créé en 1965, à la veille de la Révolution culturelle. Les conditions de détention y étaient si épouvantables que le taux de mortalité y aurait atteint 95% après trois ans d’internement (cf. Laurent Deshayes, Histoire du Tibet, Fayard, 1997 pp. 345 et sq). On sait aussi par les lettres que Lu Yanshi a écrites pendant sa détention qu’il a été interné dans le désert de Gobi. C’est là que se situe le camp de Jiabiangou où furent déportés des milliers d’intellectuels pendant la campagne antidroitiers. L’accoutrement de Lu Yanshi au tout début du film et, en particulier ses lunettes surannées (là encore, il suffit de regarder les bandes d’actualité des années 60 pour voir qu’elles sont pour le moins démodées), évoquent d’ailleurs irrésistiblement Le Fossé. Or, bien qu’on ne sache rien des raisons pour lesquelles Lu Yanshi a été arrêté, son titre de [jiàoshī] nous indique qu’il s’agit sans doute d'un professeur de lycée, voire d'un professeur d'université, tandis que sa femme, désignée par le titre générique de [lǎoshī], est probablement un professeur du primaire ou un professeur de collège. Son destin pourrait donc s’éclairer à la lumière des films que Wang Bing a consacrés à la campagne antidroitière, Le Fossé et Fengming, Chronique d’une femme chinoise. Arrêté une première fois comme « fleur vénéneuse » après la campagne des Cent Fleurs, Lu Yanshi pourrait avoir été libéré au début de 1961 alors que le camp de Jiabiangou a été provisoirement fermé, les autorités préférant renvoyer les détenus dans leurs familles pour éviter une mortalité à 100% en cette période de grande famine, conséquence du Grand-Bond-en-avant. Lu Yanshi aurait pu ainsi faire plusieurs allers-retours entre divers camps et son domicile (le temps de concevoir Dandan et de l’avoir vue à l’âge de trois ans) avant d’y être renvoyé à la veille de la Révolution Culturelle jusqu’à son évasion puis d’être déporté à Xining jusqu’en 1978. On comprendrait ainsi pourquoi, sur leurs 27 ans de mariage, Yanshi et Feng Wanyu auraient été séparés pendant vingt ans comme l’affirme Dandan. La date de réhabilitation de Lu Yanshi, 1978, est en tout cas celle de 480 000 droitiers.

Décidément, comme l’affirme Zhang Yimou, « une goutte d’eau peut refléter le soleil ». Coming Home invite le spectateur à faire une lecture symptomale de l'histoire chinoise, des grandes purges du passé aux dérives répressives du présent, à travers le prisme de la période charnière qu'a été la Révolution culturelle.
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Lettres pour le temps présent

Messagepar laoshi » 19 Fév 2015, 07:30

Le « chronotope » du film, ou, pour le dire plus simplement, son système de références spatiotemporelles explicites et implicites, a valeur hautement signifiante. Les nouvelles lettres que Lu Yanshi glisse au milieu de celles qu’il a écrites pendant sa détention sont emblématiques de ce jeu de miroirs entre le passé et le présent, entre l’ici et l’ailleurs.

Rien n’est plus émouvant à cet égard que la découverte de l’énorme caisse des lettres clandestines, griffonnées dans l’obscurité sur des morceaux de papier arrachés on ne sait où (comme celui des sentences parallèles qui leur font écho dans le présent au tout début du film). Elles disent l’horreur absolue du maoïsme dans leurs silences mêmes ; on devine les morts-vivants du camp, harassés de travail dans l’hiver du désert de Gobi, dépassant leur propre anéantissement pour aider une jument qui n’a plus même la force de mettre bas son poulain. Et cette fraternité douloureuse des hommes à la souffrance des bêtes suffit à dire leur résistance à l’entreprise de déshumanisation que fut le laogai : « alors nous avons su que c’était vraiment le retour du printemps », écrit sobrement Lu Yanshi.

Mais les lettres que Lu Yanshi introduit au milieu de celles qu’il a arrachées à l’oubli sont bien des lettres pour le temps présent. Elles évoquent le travail de mémoire qui seul pourrait conjurer le retour des fantômes du passé dans la Chine du XXIème siècle. Devenu « le monsieur du lit les lettres », Lu Yanshi fait revivre ce que j’ai appelé ailleurs les « archives de l’oubli », il fait resurgir les « souvenirs de la maison des morts ». Zhang Yimou incarne à travers lui une urgence morale et politique : au lieu de censurer l’histoire à grands coups de ciseaux, comme Dandan découpant l’image de son père dans l’album des photographies de famille, au lieu de cacher la vérité, il faut collecter toutes les images échappées à la destruction, tous les textes, entendre tous les rescapés des innombrables purges qui ont scandé l’histoire du Parti communiste.

L’amnésie de Feng Wanyu est l’autre face de cette nécessaire anamnèse qui seule pourrait valoir amnistie. Lorsque Dandan avoue à son père que c’est elle qui l’a dénoncé, Lu Yanshi lui répond calmement qu’il l’a toujours su mais cet aveu est essentiel pour que le passé, reconnu comme tel, soit enfin dépassé et ne revienne pas, encore et toujours hanter le présent.
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Coming Home en DVD

Messagepar laoshi » 03 Avr 2015, 06:45

Pour ceux qui ont manqué ce film et tous ceux qui veulent le revoir : Coming Home sortira en DVD le 21 avril.
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Re: Coming Home, de Zhang Yimou

Messagepar laoshi » 14 Fév 2017, 18:22

Vous pouvez entendre la chanson que joue au piano 跟著你到天邊 (電影歸來主題曲完整版) sur youtube
et voici une autre version
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