Jia Zhan Ke "Mountains May Depart"

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Jia Zhan Ke "Mountains May Depart"

Messagepar RDelambre » 01 Fév 2016, 18:04

« Glorifié le Seigneur qui a donné le dollar à l’homme ! » Thomas Pollock, alias Nageoire, s’exclama ainsi au contexte claudélien. Non sans rapport, Jia Zhang Ke écrivit et scénarisa Mountains May Depart : échec à Cannes en 2015 de cette coproduction entre le studio d’Etat shanghaien, sa société Xstream Pictures, le japonais Office Kitano, la France. L’histoire s’avère linéaire, par exception chez l’auteur, quoiqu’elle s’étende sur vingt-six années. « Les vieux amis sont comme la montagne et le fleuve » : transposition du titre chinois. Shan He Gu Ren correspond à la notion de locals, l’intitulé valant antiphrase au regard de l’évolution connue, mieux, subie par les protagonistes.

Celui qui aime déclarer son amour pour le classique Xiao Cheng Zhi Chun, Printemps dans une petite ville, commence par dessiner une relation triangulaire, comme chez Fei Mu plus d’un demi-siècle auparavant : diégèse commençant en 1999, dans la ville natale du réalisateur, dite petite, Fenyang, au Shanxi, Nord. Epoque du nouvel an : explosions censées festives versus pétards sentimentaux… (Zhao) Tao, à deux-roues motorisé, confirmant que les Chinois évitent la marche, préférera Zhang Jinsheng, propriétaire d’une station-service, interprété par Zhang Yi, acheteur d’une mine, à Liangzi, un employé de celle-ci sous-joué par Liang Jin Dong : liasses de billets et Volkswagen séduisent.

Même si la demoiselle ironise sur le pouvoir que donnerait quelque fortune, elle caresse le capot de la glorieuse automobile allemande, rougeoyante, exhibée par Jinsheng : naïve ou plutôt éblouie, voire intéressée ? La longueur du capot allusionnerait… Quelque phallus de substitution ? Une telle marque dénotait déjà la réussite, faciale, du personnage incarné par la même Zhao Tao dans Er Shi Si Cheng Ji sept années antérieurement.

Schématiquement, le motif habituel du triangle évolue rapidement, entre badinage et drame sinon tragédie. L’arriviste, surtout straight-ahead guy, cherche même auprès d’un employé à se procurer un pistolet pour éliminer son concurrent qui le frappa au visage devant l’objet de leur convoitise. Sauver la Mian Zi s’avère effectivement essentiel. Mot d’auteur(e) : Tao ose plaisamment défendre la configuration triangulaire en raison de la solidité censée définir ce polygone.

Visuellement, le choix féminin, tant sans doute social qu’amoureux, s’exprime, sans trop de paroles mais avec un bruit de discothèque, sur un dance floor : habituel goût vernaculaire de Jia Zhang Ke pour la chansonnette. Symbolisme toujours : portrait de mariage comme à l’accoutumée devant une autre photographie, mais en l’espèce l’opéra de Sydney, prémonitoire. La donzelle croira peut-être s’amender en offrant un faire-part de son mariage à l’éconduit, dans la masure de celui-ci, qui s’exile. Le nouveau possesseur minier proposa à son rival une promotion à condition de ne plus courtiser la femme : celui-ci, refusant, quitta son emploi.

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Près d’une heure après le début du film, le titre surgit, annonçant aussi l’épisode de 2014, avec une Tao divorcée, esseulée, un fils devenu étranger, polysémiquement. La mode des prénoms à l’américaine qui sévit au sous-continent communiste atteint son ridicule climax : le père rebaptisé Peter appela son garçon Dollar alias Daole.

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Celui-ci fréquente l’école internationale de Shanghai, arborant son uniforme jusqu’aux obsèques provinciales de son grand-père paternel. Tao ne supporte ni le foulard de fille porté par le garçon, la République populaire de Chine ne succombant point à la théorie du genre, ni d’entendre la belle-mère, qui restera constamment invisible jusqu’à la fin, sur la tablette utilisée compulsivement par le fils.

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La mère reconduit celui-ci en omnibus : alors que Dollar demande pourquoi ils ne se déplacent pas en avion ou train à grande vitesse, Tao répond que de la sorte ils resteront plus longtemps ensemble.

Héroïquement, l’épouse, altruiste, du mineur, atteint d’une grave maladie pulmonaire, et mère de leur enfant, après l’arrivée de la famille à Fenyang, quémandera une aide financière auprès de Tao.

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Celle-ci : désormais patronne de la pompe à essence que dirigeait naguère son mari. L’invitation de mariage restait dans la cahute poussiéreuse délaissée. Socioéconomiquement, les frais d’hospitalisation, à payer par les malades, signalent le continent socialiste et constituent un topos aux écrans.

En 2025, Australie, sur la côte Ouest, le père Zhang, artificiellement vieilli par une moustache, aussi risible que triste, traîne avec d’autres vieux expatriés et surtout seul dans son vaste appartement aseptisé avec vue sur l’océan : cauchemar climatisé, indeed. Le père accumule les armes à feu, rappelant la prohibition qui les vise en RPC, et le port d’armes inutile pour lui chez les Australiens puisqu’aucun ennemi ne le menace. Quelle liberté ?

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Incommunication radicale entre le géniteur, qui se reprénomma pourtant Peter, et son fils, désormais joué par Dong Zijian, parlant seulement et respectivement le chinois et l’anglais. Un professeur de chinois, incarné par Sylvia Chang, se métamorphosera en vieille maîtresse de l’enfant, qui oublia jusqu’au nom porté par sa mère biologique. L’enseignante, divorcée, émigra de Hong Kong à Toronto, puis l’Océanie. Le garçon renie son procréateur, se disant fils du traducteur Google. Précisément, Sylvia Chang servira de traductrice entre père et fils. La femme, tant ambassadrice qu’interprète, traduira diplomatiquement les vifs échanges, à la différence de la prothèse électronique.

Une séquence dans un restaurant de luxe illustre (mélo)dramatiquement le règne de l’homo economicus au sein des relations censées sentimentales. L’ex-époux occidental, vieillissant, de la maîtresse, polysémique, ne possède plus guère qu’un désir : attaquer celle-ci en justice afin de récupérer les charges de l’ancienne vie conjugale. La convive réplique vivement en proférant une menace analogue. Scène d’autant plus révélatrice que Dollar, fugueur, travaille comme serveur dans l’établissement.

Tao, « Vague » en mandarin : la mer s’avérera fort présente au troisième épisode. Formellement, la bande-son répercutera soigneusement le bruit des vagues. D’autant révélateur que la mère Tao apparaîtra fort peu à l’écran, restera isolée de son fils. La visite prévue par celui-ci et sa cacochyme girlfriend avortera : l’employée d’origine chinoise, mercantile, préparant le voyage traite le couple de mère et fils, occasionnant la colère de celui-ci.

Le métrage, long de cent trente et une minutes, confirme le talent de Zhao Tao, autorisée désormais à davantage jouer. Quatre années antérieurement, La petite Venise témoignait singulièrement d’une telle aptitude actorielle. L’ex-enseignante de danse mène encore celle-ci, polysémiquement, littéralement, à l’écran, et au delà.

Quant au personnage de Daole, l’acteur Dong Zijian confère au symbole $ de sa dénomination plus qu’une métaphore grossière, grâce à une impression de fraîcheur, bien jouée. Plus naïf que moody. Naturellement, naïveté d’emprunt : Zijian formé à l’Académie d’art dramatique.

Outre Zhao Tao, reconnaissons Han San Ming, figurant récurrent, archétype des Lao Bai Xing, sans-dents, voire désormais Min Gong. Le héros mineur de fond renoue avec San Ming pour lui emprunter afin de payer son hospitalisation. Mais l’une des Braves gens dans Still Life, devenu soudeur, succombe désormais à l’appât du gain : San Ming s’endetta lui-même dans le but de s’expatrier au Kazakhstan. Le chantier d’oléoduc rapporte certainement. Han San Ming, dont la récurrence caractérise également ses changements professionnels, abandonne la mine. L’ouvrier devenu qualifié suscite l’admiration de Liangzi, cependant déçu par l’échec de sa démarche.

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Economiquement, voire géopolitiquement, discernons au travers de l’œuvre jiazhangkeienne la concurrence entre charbon et pétrole, ce dernier l’emportant. Les pétrodollars prospèrent, malgré les cris d’orfraie poussés par ce que nous baptisons les Khmers verts.

Comme à l’accoutumée, le cinéma chinois focalise sur les véhicules. L’automobile équivaut chez les paysans à un vulgaire ascenseur social. Jia Zhang Ke se penche avec dilection sur la poussière sinon la boue de la séquence où un camion lourdement chargé en charbon s’enlise. Jia Zhang Ke affectionne les vignettes sinon chromos. Rehaussons le film en découvrant une antinomie hydrocarbure vs houille.

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Suite à l’expérimentation d’anamorphose, non sans risque sur la qualité de l’image, au précédent opus, Tian Zhu Ding, le chef-opérateur Yu Lik Wai, assisté par un cadreur et un opérateur, multiplie désormais les formats, élargissant en fonction des trois époques visitées. Procédé dénotant naïvement que la qualité de l’image progresse, du deuxième millénaire à 2014, puis à l’anamorphique 2025, jusqu’au continent australien. Heureux et coutumier sens de l’espace chez le réalisateur et son cameraman.

Paradoxalement, le créateur insouciant du réalisme par excellence, Wes Anderson, sembla inspirer les nouveaux réalistes chinois, sinon socialistes : The Grand Budapest Hotel, comédie dramatique de 2014, finalement détruit par un autre communisme, soviétique. Autre leçon : celle des Héros, une décennie antérieurement, selon Zhang Yimou, puisque non seulement la taille de l’image, mais les teintes dominantes évoluent. Paradoxalement, les couleurs en RPC s’avèrent saturées, alors que les teintes australiennes deviennent métalliques : some Air-Conditioned Nightmare, grisâtre, succède à certaine grisaille du Shanxi nonobstant décorée par les festivités du nouvel an et, fâcheusement, démagogiquement l’atmosphère de discothèque.

Hélas, Jia Zhang Ke délègue émotion et transition aux plaintif compositeur Yoshihiro Hanno, déjà présent sur Zhan Tai, dès l’an 2000, et 24 City, à ses cordes. Plutôt que trop écouter du bruit moderne, conseillons à Jia Zhang Ke de lire Paul Claudel et ses divagations sur le signe $, que nous baptiserons nouvel idéogramme occidental. « Est-ce que ce n’est pas les cornes et la queue du Diable, les marques de la bête par excellence » ?

Go West, des Pet Shop Boys, reprenant les Village People, ouvre, scande sinon rythme le métrage effectivement long, et l’achève : en épilogue chorégraphique, Tao dansera seule, avec son nouveau chien, sous la neige du Shanxi. Assurément, Jia Zhang Ke verse dans quelque faiblesse à l’égard des bêtes : La condition canine, documentaire de 2001…

Au premier épisode du mélodrame, un chiot apparaissait entre les bras d’une Tao radieuse, dans la voiture rouge du calculateur Zhang, qui demanda la durée de vie. Conclusion masculine, mécontentant la fille : l’animal mourra quand le couple atteindra quarante ans. La divorcée, isolée, tricotera même un chandail, loufoque, pour son vieux compagnon à quatre pattes.

Autre continuité assez fâcheuse : l’appétence jiazhangkeienne pour s’amuser avec quelque intertextualité discernable par l’intermédiaire de chansonnettes. Ainsi de l’animalerie : Pet Shop. Préférons le bestiaire à travers A Touch of Sin.
Essentiels gadgets modernistes pour 2025 : les portables mutants, transparents. Si les auto(mobile)s s’analysent en marqueurs temporels, spécifiquement au cinéma chinois, Jia Zhang Ke évite de travailler à des voitures volantes en revendiquant sans doute quelque facilité du vintage grâce au gigantesque coupé de Sylvia Chang, déjà obsolète en 2015, a fortiori une décennie ultérieurement, à l’instar de la vieille maîtresse. Au demeurant, le film lui-même utilise Volkswagen pour dater certaine ascension sociale à la veille de l’an 2000, puis Audi pour marquer 2014.

Linguistiquement, Jia Zhang Ke interroge encore plus radicalement la question des langues qu’à son habitude. Le jeu linguistique commence par l’écoute d’un disque en cantonais : Tao précise qu’elle ne comprend pas celui de la chanson interprétée par Sally Yeh. L’héroïne aime pourtant la chanson(nette). Jia Zhang Ke également…

Climax révélateur lors d’une dispute entre Zhang Jinsheng et Dollar, qui conclut abruptement… « It’s like Google Translate is your real son » : version originale.

En termes d’écriture cinématographique, Jia Zhang Ke réalise avec Shan He Gu Ren son premier mélodrame, à l’instar d’un Wang Xiao Shuai. L’une des solutions : throw-away-your-phone-and-hug-your-Mom. Versus « touche pas à mon portable ! »

Heureusement, Jia Zhang Ke contrebalance la sécheresse de Wang Xiao Shuai grâce à quelque manièrisme, formalisme. Ainsi, le métrage décolle, aux yeux du connaisseur, lorsqu’un avion ou improbable drone s’écrase aux pieds voire roues du scooter piloté par Tao. Séquence immotivée, aérant la diégèse mélodramatique par l’explosion, l’incendie de la machine bourdonnante. L’auteur retrouverait le bâtiment condamné se métamorphosant en fusée, métaphore de certain dynamitage à travers Still Life, près d’une décennie postérieurement.

Anoblissons la paysannerie de Jia Zhang Ke en inventant une référence à Sir Alfred Hitchcock. Dans La Mort aux trousses sorti en 1959, un biplan, sulfateuse polysémique à l’encontre de Cary Grant sur un champ de maïs, s’encastre dans un camion-citerne et explose.

Précisément, la bande-son retentit, comme fréquemment chez le réalisateur adepte de musique trop popu(laire), sur l’interprétation d’une telle scène. Songeons à Ren Xiao Yao treize années plus tôt. Parmi les Montagnes, effectivement, l’oreille avertie percevra le message subséquent selon lesquels de nombreux avions chargés d’ensemencement contribuent au progrès. Prêterons-nous le bénéfice d’une ironisation moquant un développement en trompe-l’œil ?

En revanche, Jia Zhang Ke ne cultive guère ce que nous baptisons sinitude, pas seulement en raison de nouveaux décors, océaniens, mais surtout à cause des flots lacrymaux que tente de (dé)verser l’orpheline Tao, suite au décès subit subi par son papa. Le couple Zhang Ke et Zhao Tao mélodramatisent à l’occidentale. L’auteur(isme) verse dans le Ku Ku Ti Ti.

Certes, des Jiao Zi, raviolis, préparés hors champ par Tao, ponctuent le long métrage. Dans la première partie, la séquence de repas dans une boutique d’électroménager occasionne une discorde : Zhang Jinsheng, exprimant son dégoût, refuse de partager avec son rival. Au deuxième épisode, seuls les nombreux raviolis confectionnés par la maman conduiront à un rare instant de partage avec le fils âgé de sept ans.

Hélas, Jia Zhang Ke banalise lui-même la cuisine, parlant, plutôt que de commensalité, de trivialités. Dixit, « il y a ce qui se répète, ce qui est stable dans le quotidien, ne serait-ce, de manière très triviale, que le fait de manger : on a fait des raviolis, on fait des raviolis, on fera des raviolis ». Le temps : explication, justification assez courtes.

Voir aussi la bande annonce et le commentaire de laoshi.
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