M. Bellassen ayant parlé de Nanniwan dans l'un des cours de chinois du MOOC de l'INALCO comme d'une chanson célèbre, j'ai fait quelques recherches sur internet.
Nanniwan est une vallée profonde à 90 km au sud-est de Yan’nan ; pour répondre au blocus imposé aux communistes par l’armée japonaise et le Guomindang, Mao entreprit la culture du pavot, la production et le trafic de l’opium (ce dont le PCC ne se vante pas) ; le chef de la commission pour la production de l’Opium était Ren Bishi ; il entreprit aussi l’expérimentation à petite échelle du développement agricole dans le but de rendre ses troupes autosuffisantes sur le plan alimentaire. La 359ème brigade de la Huitième Armée de Route fut déployée à Nanniwan pour améliorer la productivité. L’expérience fut considérée comme un succès et devint un thème majeur de la propagande à partir de 1943. La chanson fut composée sur commande du Parti cette année même par He Jingzhi pour les paroles et Ma Ke pour la musique ; elle est inspirée d’une chanson folklorique du nord du Shaanxi. Restée populaire depuis sa création, elle a été remise au goût du jour en 1991 dans une version rock et a largement profité de la vogue des « chants rouges ».
Il semble que d’innombrables films aient été faits sur cette expérience de Nanniwan, qui préfigure, à bien des égards, le Grand Bond en avant. Je viens d’en voir un sur Youtube ; il fait, bien sûr, l’impasse sur le volet « opium » de la campagne de Nanniwan.
L’héroïne est une jeune femme, ingénieur agronome, qui est envoyée derrière les lignes japonaises pour chercher les semences qui permettront aux braves soldats de la 359 ème brigade de transformer une terre inhospitalière, infestée de loups et vierge de toute culture, en une vallée verdoyante regorgeant de rizières, de champs nourriciers et de prés où paîtront par milliers les bœufs, les moutons et les chevaux.
Lorsque Miaozi (c’est son nom) arrive dans la brigade en 1939, elle a été horriblement torturée par les Japonais qui l’ont rendue muette en lui brûlant la gorge avec un brandon incandescent. Porteuse d'un ordre écrit de la main même de Mao, elle s’impose aux soldats qui renâclent à devenir paysans au lieu de combattre l’ennemi : la parole du chef fait des miracles… Après des épreuves sans nom, ils réussiront dans leur mission malgré les innombrables héros tombés sur la route, victimes de la faim ou de la mitraille des « diables étrangers ».
L’émulation entre les chefs portera ses fruits : « si tu bêches un acre de terre, dit l’un deux à son rival, j’en bêcherai deux, si tu en bêches deux, j’en bêcherai quatre, si tu en bêches quatre, j’en bêcherai huit ! » Pour épargner les paysans, dont les outils sont la seule richesse, les soldats remplaceront les fers usés de leurs houes avec les éclats d’obus qu’ils aiguiseront et ils s’empareront des rails servant à l’approvisionnement de l’ennemi. Tous les thèmes du Grand Bond en avant sont déjà là, on le voit ! même la production d’acier à partir de la fonte de métaux de récupération. Seule différence, peut-être, la place de la science. Car Maozi, l’ingénieur agronome, est respectée tandis que la folie du Grand Bond en avant était fondée sur un mépris affirmé des spécialistes (sauf, évidemment, de ceux qui acceptaient de dévoyer la science au profit de l’idéologie).
Accessoirement, j'ai trouvé comment on disait la langue des signes en regardant le film :
手语 [shǒu yǔ] langue des signes (littéralement "la langue de la main")
打手语 [dǎ shǒu yǔ] "utiliser la langue des signes"