Disons-le d'emblée, je n'ai pas aimé Hero, de Zhang Yimou ; j'y ai vu un renoncement, une lamentable capitulation ; car si Zhang Yimou utilise souvent « le passé pour ironiser sur le présent », s'il critique la politique du PCC contemporain en s'attaquant en apparence aux archaïsmes féodaux de la Chine d'avant la Révolution, il fait ici exactement le contraire ; il utilise le passé pour justifier le présent !
Je m'explique : l'argument du film, qui me semble d'ailleurs vouloir rivaliser avec L'Empereur et l'Assassin, est assez simple : on est à l'époque des Royaumes combattants, comme dans le film de Cheng Kaige. Un champion en art martial du royaume de Zhao, mystérieusement baptisé Sans Nom, utilise un stratagème pour s'approcher du roi de Qin, qui a envahi son pays, et l'assassiner : pour gagner la confiance du monarque, dont il se prétend l'homme lige, il dit avoir éliminé en combat loyal les trois plus grands champions de l'art de l'épée du Royaume des Zhao, Lame Brisée, Flocon de Neige et Ciel Étoilé . A chaque récit que Sans Nom fait de l’un de ses exploits, le roi des Qin l'autorise à approcher un peu plus du trône, de 100 pas, le héros passe ainsi à 20 pas, à dix pas, à trois pas... mais, alors que sa botte secrète est infaillible à trois pas, Sans Nom, que le roi de Qin a percé à jour, renonce à son noir dessein. Il est convaincu par le discours du dictateur, Ying Zheng, plus connu sous le nom de Qin Shi Huang, le premier empereur de Chine, qui justifie sa politique répressive et hégémonique par la volonté d’unifier le royaume.
Le message est clair, les héros des royaumes envahis doivent se résigner à trahir leur propre cause et à sacrifier leur vie pour la cause suprême qui est l’unité de l’Empire… On ne saurait mieux dire ! A l’évidence, Zhang Yimou fait donc allégeance au PCC, il l’exonère de ses exactions, de ses entorses à la démocratie et de ses atteintes aux Droits de l’homme au nom de la grandeur de la Chine nouvelle. Les Tibétains et tous les dissidents qui croupissent dans les geôles du PCC apprécieront. On comprend que Zhang Yimou ait été récompensé lors des Jeux Olympiques et qu’il ait pu organiser la mise en scène de la cérémonie d’ouverture.
Lorsqu’on lui fait ce reproche, Zhang Yimou répond qu’il « ne fait pas de politique mais du cinéma ». Cet argument est parfaitement recevable. On ne peut, en effet, réduire un film à sa signification idéologique ni mesurer sa valeur à la teneur des engagements du cinéaste : les artistes des pays communistes ont assez souffert de la dictature du « réalisme socialiste » pour revendiquer le droit à « l’art pour l’art ». Reste qu'on ne peut nier la portée idéologique du film : Zhang Yimou lui-même, qui a toujours intégré une réflexion sur le langage artistique dans ses films, affirme d’ailleurs, dans Hero, qu’on peut décrypter l’art de l’épée et les intentions d’un champion des arts martiaux dans le style de ses calligraphies.
Il y a beaucoup d’artistes que j’aime et dont je ne partage absolument pas les engagements idéologiques : Céline était une crapule mais un immense auteur ; Degas était antisémite et antidreyfusard, mais c’est un peintre génial. Or, en l’occurrence, j’ai l’impression que l’art de Zhang Yimou se compromet : j’ai l’impression que son esthétique, reconnaissable à sa palette de couleurs, superbe, comme toujours, à la beauté formelle de ses cadrages, est plaquée sur cette histoire, qu’elle n’est pas en phase avec le propos du film. Bref, j’ai l’impression d’une œuvre de « mauvaise foi », au sens sartrien du terme, d’une œuvre qui abdique les combats passés sans assumer ses choix présents.