Raymond Delambre commente la Berlinale

postez ici vos impressions, vos analyses, vos comptes rendus, résumés ou commentaires des films chinois ou des films ayant trait à la Chine que vous avez aimés ou détestés,

Raymond Delambre commente la Berlinale

Messagepar laoshi » 14 Mai 2018, 12:54

Raymond Delambre, commentant la Berlinale, a écrit:

Le Prix des Prix ou la géopolitique des Ours d'or et compagnie

Cet article aide les agents, les cinéastes, les producteurs à combattre les préjugés contre le cinéma chinois. De l’esprit, de bons scripts qui dépassent le marketing influencé par le modèle hollywoodien. Plutôt.

La géopolitique du cinéma est déterminée par des facteurs endogènes et exogènes. Ces facteurs, entremêlés, se recoupent. Puisque le réchauffement climatique nous joue des tours, il est temps, sur une terre qui se refroidit, de porter de la fourrure pour affronter ce que j’appelle la guerre froide soft.

Ce que coûtent les prix : comment remporter les lions, les ours et les léopards d’or

Commençons par répondre à la question de savoir pourquoi les principaux festivals européens de cinéma semblent ne pas s’intéresser aux films chinois. Le 68° festival international de Berlin, fondé en 1951, à Berlin Ouest, pour réhabiliter l’ancien-Reich, n’a sélectionné aucun film chinois, qu’il s’agisse de la Chine populaire, de Hong Kong, de Taïwan, préférant faire de la publicité autour des ragots de « me-too » et de ses chouchous Gus Van Sant, du compositeur Ryuichi Sakamoto qui a composé la musique militariste de Merry Christmas, Mr. Lawrence, de Nagisha Oshima. « Va t’faire, homme incorrec’ voir par les Grecs » : Georges Brassens, pornographe. Qui plus est, les films qui s’aventurent sur le marché mondial sont confrontés à bien des obstacles. Réinterpréter l’expansionnisme comme la frontière du cliché.

Il est de fait que les résultats, sur la scène internationale, sont décevants. No res ipsa loquitur (aucune chose ne parle d'elle-même). A l’encontre de ce qui se passe pour Hollywood globalisé, la chose ne va pas de soi pour les non-Chinois. L’écart culturel est un mur, non seulement parce que manque la connaissance du contexte culturel mais encore parce que la manière de raconter des histoires diffère.

Définissons la culture comme une programmation collective de l’esprit permettant de distinguer une catégorie d’une autre. Les productions médiatiques qui traversent les frontières souffrent d’une dévaluation. Ils sont sous-évalués dès lors que les spectateurs échouent à identifier le contenu, les thèmes et les valeurs véhiculés par les produits d’importation. Les différences des normes sociales les rendent moins attractifs.

Et cela inclut les aspects techniques de la narration. Mon collègue Shilo Mc Lean, entre autres, articule la technique de production cinématographique à l’art de la narration. Digital Storytelling: The Narrative Power of Visual Effects in Film. Les films chinois se caractérisent par des séquences de dialogue, silences, images fixes. Le langage est un élément essentiel de la dépréciation.

Bien sûr, on peut traduire les dialogues mais quelque chose se perd dans la traduction. Les adaptations bâclées et le doublage compromettent la réception du film.

Les « films embarqués ». Bien que, pour un petit nombre de spectateurs, les productions étrangères aient pour elles l’attrait de la nouveauté, le fait d’être étrangères constitue plutôt un inconvénient dans la mesure où la majorité du public a tendance à les mettre sur le même plan que les productions locales. Black Coal, Thin Ice, de Diao Yi Nan, Ours d’or 2014, n’a été exceptionnellement récompensé que grâce à des contresens sur ce qu’est un film d’art et d’essai. Les histoires de détective, les corps en morceaux, les tueurs en série, les justiciers, les films noirs à suspense, appartiennent au genre. Ce que j’appelle « Chollywood » a rencontré Le Silence des Agneaux. Lors de la compétition de 2016, maints journalistes se sont endormis pendant la projection de Chang Jiang Tu, coproduit par Yang Ming Ming, notre Yang Zi Map, meilleure transposition que Crosscurrent, le seul film en langue chinoise sélectionné. Yang Chao a produit 柔情史 de Ming Ming, qui décrypte ma Romance mieux que ne le fait Girls Always Happy. Résultat du statut de film étranger, voire chinois. D’« embedded » (« embarqué », littéralement « mis dans le même lit que ») à « bed » (« lit ») la conséquence est bonne.

Réveillons-nous donc ! Notre sinitude, en créant une distorsion topographique et géopolitique, explique tout cela. Au moins en France. Je suis le seul universitaire qui comprenne le lien entre Jin Ling Shi San Chai (Flowers of War), le chef d’œuvre de Zhang Yimou, l’ancien lauréat des compétitions cinématographiques, et le merveilleux Hong Lou Meng (Le Rêve dans le Pavillon rouge). Dès lors que les questions politiques biaisent l’interprétation de cette œuvre commémorant les massacres de Nankin, en lieu et place de la propagande anti-japonaise et nationaliste, avec 40% d’anglais, les efforts précédents sont anéantis. Dénigrer Zhang Yimou devient la règle, malheureusement. Casualties of War (littéralement « Blessures de guerre », titre d’un film de Brian de Palma, 1989) et réception.

A la Berlinale, Xiao Mei, du Taïwanais Maren Hwang, qui traite de la présence de l’absence, exige que l’on soit conscient de la disparition au Japon des gens insignifiants, qui s’effacent sans laisser de trace. En réalité, Formosa est essentiellement chinoise mais elle garde une humeur japonaise.

Bien que les personnages féminins ne figurent pas seulement sur des vases ravissants, le commerce chinois manque encore d’un star-système et de marques commerciales mondialement reconnues. Fan Bing Bing elle-même n’a pas été censurée, mais, pire que cela, sa présence dans la version internationale d’Iron Man 3 était déplacée. Du sex-appeal au porno sociologique, peep-show des érudits, la conséquence est bonne.

L’affiche allemande et français de Big Other (Le Grand Autre) et non Big Brother, sur les migrants sans travail, est trop mystérieuse. Qu’on ait vu ou non le politiquement correct Little Wenzhou, de Sarah Lévy, le seul (télé)film sur la diaspora chinoise en France (cf. ma collègue Andréa Gruner), alors qu’ils sont les plus nombreux parmi ceux qui vivent en Europe. Le post-colonialisme supposé fait semblant de décoloniser. Comme preuve irréfutable de ma thèse, souvenez-vous du dénigrement systématique dont a été victime La Grande Muraille de Zhang Yimou et du prétendu « whitewashing » de Matt Damon. Comme d’habitude, les anti-racistes n’avaient pas vu La Grande Muraille. Et la Chine, de fait, n’a jamais été colonisée.

L’Ouest aime le misérabilisme, à la différence de la RPC. Hoi polloi (littéralement « la multitude », en grec) : la plèbe. C’est pourquoi, fondamentalement, les documentaristes comme Philippine Lav Diaz dans Ang Panahon ng Halimaw, Season of the Devil, reçoivent les éloges de la critique. Cela rappelle Cesare deve morire, le docu-drama de Vittorio et Paolo Taviani sur les prisons italiennes, qui fut Ours d’or. La France, qui est la plus misérabiliste de tous les pays occidentaux, championne des prélèvements fiscaux, a financé les deux premiers films de la Berlinale, même si elle ne leur a pas ajouté le drapeau français.

L’idéologie occidentale, la doxa universitaire n’aime pas la Chine mais le trash. » Que la chinoiserie aille se faire foutre », s’écrie notre collègue Allen Chun. C’est la raison principale pour laquelle Lou Ye, mal conseillé par la France, a pu un jour fouler brièvement le tapis rouge et c’est pourquoi les chefs-d’œuvre de Chen Kaige et Zhang Yimou ne sont plus systématiquement diffusés. Il suffit de jeter un œil sur Zhou Xun urinant dans Suzhou River : acclamé à Londres. Sous La Forme de l’eau, qui a remporté le Prix de la meilleure image et trois autres Oscars, le réalisateur Gillermo Del Toro se masturbe avec une femme onaniste. Le négatif attire.

« Aujourd’hui que mon gagne-pain C’est d’parler comme un turlupin Je n’pense plus merde, pardi Mais je le dis ». Ce que veut dire Geroges Brassens, c’est que la vulgarité est devenue un moyen de gagner de l’argent. L’Ours d’or 2018 valide notre thèse. Adina Pintilie, qui commençait à vieillir dans le sable et qui manquait d’oxygène, confond intimité et pornographie, fiction et document. Tout au long de Touch Me not (Ne me touche pas), elle se touche et met à mal la liberté et le Berlinois.

La Berlinale a parrainé L’Ile aux Chiens, le film trash de Wes Anderson, Ours d’Argent. Le porno de la pauvreté, l’exotisme révèlent pourquoi Hu Tong, si l’on exepte ses débuts de metteur-en-scène dans Rou Qing Shi (Girls Always Happy) et la matière tibétaine de Lhapal Gyal ou de Pema Tseden hantent les festivals, bien qu’ils soient privés de spectateurs. L’impérialisme médiatique revisité. Les vétérans ont artificiellement soutenu Nie Yin Niang de Hou Hsiao Hsien quelque pathétique que soit L’Assassin.

Une certaine vérité a frappé de plein fouet Wang Xiao Shuai, qui hante la fête. Le romancier Hu Bo n’a pas vécu assez longtemps pour voir la première de l’adaptation de son livre, il s’est suicidé en octobre 2017, à l’âge de 29 ans, après avoir été humilié et spolié par ses producteurs, Wang et Liu Xuan, cofondatrice de la Compagnie indépendante Dongchun Films. Evidemment, les galas privilégient les producteurs prétendument indépendants, les créateurs clandestins, censés briser les tabous.

Mes voyages en Chine continentale m’ont permis de constater le manque de salles d’art et d’essai, les mêmes superproductions envahissant les multiplexes. A titre indicatif, vous pouvez regarder l’un de mes cours diffusé par la télévision scolaire japonaise à travers le non virtuel :

https://vimeo.com/163913871

Apprenez à gérer une salle de cinéma. Et plus.

Enfin, les cinéastes et les actrices devraient comprendre le rôle des festivals. L’industrie du divertissement ne concerne pas seulement les relations.

L’atout des trophées : qui ne risque rien n’a rien

不失不得. Bu She Bu De.

Parallèlement à la croissance impressionnante du marché intérieur (le deuxième en termes de performance au box-office), croissance qui ouvre à un développement ultérieur, la RPC a, ces dernières années, promu ses productions à l’étranger selon le slogan, 走出去, « partir, sortir, aller ». Mot d’ordre le la politique d’internationalisation. Exporter une vision du monde. Un intérêt particulier est accordé à la question de l’évaluation des différentes récompenses. Les principaux prix reflètent les opinions des critiques. Les films sont des aventures marchandes dont on ne peut apprécier pleinement toutes les caractéristiques avant la projection. Une nomination consacrant une œuvre originale et innovante est un signe précurseur crédible du choix des consommateurs.

Au terme de cette analyse, on peut dire que les récompenses sont des indices réputationnels bien qu’ils ne soient pas pleinement de bon augure. Ils ne garantissent ni les recettes de billetterie ni la fréquentation du public aux auteurs en herbe ou aux talents confirmés. A l’ouest, les budgets faramineux, le recours aux stars, les suites, stimulent le maintien en salle et la durée de projection. Les Oscars méritent leur réputation. Le circuit des festivals est un circulaire, fréquenté qu’il est par des participants réguliers, comme Wang Quan’an, Ours d’or du meilleur film… et membre du jury. Néanmoins, les favoris des meilleurs festivals européens échappent aux radars. Pas de chance.

Quand la reconnaissance du cinéma est acquise, puisse la production devenir un moyen valable de promouvoir une meilleure image sur la Nouvelle Route de la Soie dans l’arène universelle. L’art résume la politique, elle devrait le servir.
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23

Retour vers les films

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 1 invité

cron