"Apart together", chronique d'une séparation

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"Apart together", chronique d'une séparation

Messagepar laoshi » 10 Mars 2012, 11:12

J'entendais cette annonce ce matin sur France Culture, qui est partenaire la réalisation : un autre film chinois vient de sortir en salle. Il s'agit d' Apart together, par le réalisateur du Mariage de Tuya, que j'ai adoré. Mandarine et ZhenZooNaiCha y trouveront chacun une des villes de leurs amours, Shanghai et Taïpei...
Voilà la critique du Monde :


Le Monde a écrit:
"Apart Together" : entre Taipeh et Shanghaï, un amour à la sauce aigre douce

Les deux précédents films, distribués en France, du réalisateur chinois Wang Quan'an - Le Mariage de Tuya en 2006, La Tisseuse en 2009 - avaient révélé son goût du mélodrame, et plus encore les dilemmes moraux dans lesquels il aime à plonger ses héroïnes, confrontées à de taraudantes alternatives sentimentales. C'est de nouveau le cas de Apart Together, son cinquième long métrage, qui déploie cette fois ce motif sur fond de césure historique.
L'histoire commence avec le retour de Liu, vieux Taïwanais, en Chine continentale, qu'il a quittée comme soldat du Kuomintang en 1949, lors de la victoire des troupes communistes. Profitant de la relative normalisation entre les deux pays, il accoste à Shanghaï après un demi-siècle d'absence, où l'attend Qiao Yu'e, la femme dont il a été séparé alors qu'elle était enceinte de leur fils.

Liu, dont la femme vient de mourir à Taïwan, arrive en réalité pour reconquérir Qiao Yu'e, et la ramener à Taïwan, pour y accomplir avec elle dans leurs vieux jours ce que les aléas de l'Histoire leur ont interdit de vivre dans leur jeunesse.

Le problème est que Qiao Yu'e n'est pas seule dans le comité d'accueil. Outre le fils de Liu, qui ne veut même pas entendre parler de son père, il y a là la nombreuse famille dont la vieille femme est aujourd'hui l'ancêtre, ainsi que l'homme généreux qui l'a épousée alors qu'elle était bannie de la société en tant que femme de nationaliste.

Exemplaire, le vieux Lu ne l'est pas qu'à ce titre. Il accueille Liu à bras ouverts, comme un frère, l'héberge au foyer familial, dépense sa maigre solde en mets rares pour rendre honneur à son hôte.

Il pousse même l'abnégation, et l'amour de sa femme, jusqu'à prêter une oreille attentive, voire bienveillante, aux insinuations de plus en plus explicites que fait Liu à son grand projet, lequel va jusqu'à envisager d'indemniser Lu pour lui reprendre sa femme.

Qiao Yu'e est, quant à elle, déchirée entre le désir de rédimer son amour de jeunesse avorté et la tendre reconnaissance qu'elle voue à Lu.

De cette situation qui semble tout de même un peu tirée par les cheveux, quand bien même des événements réels l'auraient inspirée au cinéaste, Wang Quan'an semble le premier embarrassé.

Hésitant entre le pur mélo et la comédie douce-amère, il fait suivre à son film une ligne déconcertante par ses changements de ton. Frôlant la mièvrerie et l'invraisemblance dans le registre grave, le film fait en revanche finement mouche dans les moments plus distanciés.

Un de ses sommets est d'ailleurs une réunion familiale où les enfants et petits-enfants sont conviés à donner leur avis sur l'éventuel départ de Qiao Yu'e, l'assemblée déviant assez rapidement du sujet pour offrir un tableau de pugilat général, dont le sordide assumé évoque la comédie à l'italienne.

Mais l'embarras du cinéaste ne se limite pas à la dramaturgie. Il relève à l'évidence, aussi et peut-être surtout, du facteur politique, eu égard aux relations conflictuelles entre la Chine et Taïwan. Et s'il est bien un sujet que le film évite, c'est celui-ci.

Multipliant les situations de commensalité, filmant ses personnages autour d'une table plus souvent que partout ailleurs, privilégiant d'une manière générale leur rencontre autour des quelques vestiges de la culture traditionnelle qui les unit, Wang Quan'an met surtout l'accent sur la souffrance humaine générée par ce conflit et sur son absurdité.

Ce faisant, il signe une allégorie humaniste acceptable, qui a le mérite d'enjamber l'abîme et le défaut de ne pas y plonger
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Re: "Apart together", chronique d'une séparation

Messagepar mandarine » 10 Mars 2012, 12:57

snif:ce film est projeté dans 23 salles en France mais toujours pas à Reims ni ses environs proches !
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
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Re: "Apart together", chronique d'une séparation

Messagepar laoshi » 10 Mars 2012, 13:29

Un petit tour à Paris, ce n'est pas désagréable, n'est-ce pas ? Personnellement, je n'ai pu y mettre les pieds depuis le 26 août, à cause de la maladie de ma vieille chatte et ça me manque infiniment...
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Re: "Apart together", chronique d'une séparation

Messagepar mandarine » 10 Mars 2012, 14:16

oui il va falloir penser à me rendre à paris pour un film , ça me changera du shopping et ce sera meilleur pour mon portemonnaie
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
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Re: "Apart together", chronique d'une séparation

Messagepar laoshi » 28 Oct 2015, 18:55

Ce qui m’a frappée, en regardant Apart Together, ou plutôt Les Retrouvailles, 团圆 [tuán yuán] en chinois simplifié, c’est d’abord un problème linguistique.

Ce n’est pas Qiao Yu'e qui lit la lettre de Liu, l’homme qui l’a abandonnée pour se replier à Taïwan avec son régiment du Guomindang le 14 février 1949, c’est sa petite-fille. Encore celle-ci ânonne-t-elle le texte, écrit en mandarin, comme si ce n’était pas sa langue. Tout au long du film, les deux langues s’opposeront et se répondront : « as-tu oublié ton shanghaïen ? », demande significativement Qiao Yu’e au vieux Liu, son amour de jeunesse. Le vétéran taïwanais, qui dit encore le comprendre mais ne plus savoir le parler, lui répondra donc en mandarin, la langue du pouvoir central, qu’il soit de Taïwan ou de Pékin, tandis qu’elle lui parlera, le plus souvent, dans son dialecte originel.

Même si la directrice du Comité de quartier semble elle aussi parler en shanghaïen, le PCC, à travers elle, dépossède d’emblée Qiao Yu’e de ses retrouvailles avec son ancien mari. Restée en retrait derrière sa nouvelle famille et les officiels du quartier, Qiao Yu’e semble n’être qu’un pion au service d’un projet politique qui la dépasse. Car la volubile camarade Lan s’immisce jusque dans la maison, c’est elle qui porte le premier toast au Taïwanais, privant ainsi Qiao Yu’e, qui se contente de faire les présentations (en mandarin cette fois), de la parole. Il s’agit en effet, à travers les retrouvailles programmées des « amoureux » séparés par l’histoire (un lapsus de midinette que la camarade Lan corrige vite au profit du mot « familles »), de démontrer aux ressortissants de Taïwan autorisés à passer quelques jours sur le continent la supériorité de la Chine communiste sur la Chine capitaliste. Les Taïwanais, accueillis en fanfare, promenés en autocar à travers les rues de Shanghai, seront priés par leur « guide » touristique, dans un mandarin parfait, de s’incliner devant les symboles de l’Ouverture et de la prospérité de la « nouvelle Chine » (on leur annonce même la construction d’une tour qui dépassera de 101 m la plus haute tour de Taïwan) !

Deux espaces s’opposent en effet dans le film, comme en témoigne cette image, emblématique du partage entre deux mondes qui redouble, au sein même de Shanghai, celui qui sépare la Chine populaire de Taïwan ; le monde de la ville ancienne, avec ses lilong, ses ruelles aux maisons basses promises à la démolition, le monde du capitalisme à la chinoise, adossé à la toute puissance du Parti, qui écrase de toute sa hauteur les individus et les solidarités traditionnelles.

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deux mondes opposés
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lilong
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Mais Wang Quan’an a su éviter le piège d’une opposition manichéenne entre les deux espaces et entre les deux Chines. Certes, la camarade Lan entre comme dans un moulin dans la maison de Qiao Yue, certes, la cuisine reste collective et les commerçants du quartier, comme les voisins, s’enquièrent des dépenses faites pour le nouveau-venu aussi efficacement que le feraient les écrans de Big Brother mais un sens réel de la convivialité sous-tend aussi ces pratiques de contrôle… bienveillant.

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un contrôle "bienveillant"
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Si la rue s’invite dans la maison, à l’inverse, la maison s’invite dans la rue : faute de place et de lumière, on n’hésite pas à sortir la table dans la rue, quitte à devoir se replier à l’intérieur sous une averse.

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la convivialité du lilong
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C’est cette Chine qui va disparaître avec l’Ouverture, comme en témoigne l’image symbolique de la table pleine de victuailles abandonnée par les convives à la fin du film.

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la table sous la pluie
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Les habitants du lilong seront bientôt expulsés du centre ville vers de lointaines banlieues dans des immeubles sans âme où l’on ne peut se rendre qu’en train !

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des immeubles sans âme
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Que deviendront, alors, les solidarités anciennes ? Déjà, la logique marchande a remplacé celle des tutelles familiales : le gendre de Qiao Yu’e, qui, en tant que tel, n’a pas voix au chapitre, s’oppose vigoureusement au départ de sa belle-mère au nom des normes contractuelles qu’il pratique dans les affaires ; le vieux Liu a beau proposer 100 000 yuan en guise de dédommagement, il rétorque que cela n’équivaut même pas à la superficie des toilettes d’un appartement dans les quartiers en construction ! L’individualisme moderne, à l’évidence, n’est pas plus libérateur, pour Wang Quan’an, que les pesanteurs de la famille, du quartier ou du Parti. Que le vieux Lu soit pris à parti dans un restaurant pour avoir manqué de « tenue » et pour avoir « parlé trop fort » en dit long sur le savoir-vivre et les mœurs « policées » que les autorités tentent d’imposer à une population habituée à partager bruyamment ses joies et ses peines dans l’espace public.

Mais on peut se demander si la violente altercation du restaurant n’a pas d’autres causes, plus politiques, car le vin aidant, vieux Lu, habitué à se taire, s’est tout-à-coup laissé aller à dire tout haut les injustices depuis son mariage avec Qiao Yu’e. Lieutenant de l’armée de Libération, il était promis, comme l’un de ses camarades devenu général de brigade, à un brillant avenir. En recueillant une femme abandonnée avec son petit, en l’élevant comme son propre fils, il n’avait fait qu’agir selon son idéal communiste. Pensant toujours à autrui avant de penser à lui-même, il avait fait du sacrifice une règle de vie : mesurer chichement ses dépenses, renoncer même à la cigarette au profit du ménage, tout cela, pour lui, était un devoir, l’application même des principes au nom desquels il s’était battu pour « libérer » Shanghai. Et qu’en avait-il retiré ? Le mépris et la méfiance des autorités. Accusé de cacher des nationalistes, arrêté par le chef de la propagande pendant la Révolution culturelle, cantonné toute sa vie au poste de soudeur sur un chantier naval, il n’avait pas même eu le bonheur d’assurer l’avenir de l’enfant qu’il avait recueilli : marqué à jamais du sceau de l’infamie paternelle, le fils du nationaliste s’était même vu refuser le poste de soudeur de son père adoptif (on comprend alors, rétrospectivement, pourquoi ses demi-sœurs reprochent à leur aîné de vivre en parasite et d’avoir joué l’argent qu’elles lui avaient prêté). Et le vieux Lu n’avait même pas gagné l’amour de cette femme qui lui demandait maintenant le divorce afin de vivre enfin « pour elle-même » et non pas « pour sa famille »….

Ultime preuve d’abnégation du vieux Lu, qui dit comprendre maintenant qu’il « faut savoir profiter de la vie », ce divorce est aussi l’emblème de l’inhumanité et l’absurdité de la bureaucratie communiste ; car les deux époux apprennent que leur mariage n’ayant pas été enregistré, c’est bien un « mariage effectif » mais qu’ils ne peuvent divorcer avant de s’être… officiellement mariés. Les voilà donc contraints de faire des photos de mariage pour obtenir, suprême dérision, leur certificat de mariage porteur du signe du double bonheur.

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la photographie de mariage
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le double bonheur
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Et quand enfin ils retournent au bureau de l’état civil, on leur apprend que, puisqu’ils sont désormais mariés en bonne et due forme, ils ne peuvent divorcer avant d’avoir partagé leurs biens, chose qu’ils ne peuvent faire puisque l’immeuble où ils doivent être relogés, en périphérie de Shanghai, n’est pas encore construit ! Ils se retrouvent donc mariés alors qu’ils désiraient officialiser leur séparation comme Qiao Yu’e et son premier mari, Liu, s’étaient retrouvés privés de leur mariage, pourtant officiel, par l’arbitraire d’un Etat ne reconnaissant pas les actes juridiques du régime précédent….

Pourtant, le vieux Lu, victime d’un AVC, ne perdra pas la douce et résignée Qiao Yu’e. Après lui avoir préparé le « délice du Bouddha », un plat rassemblant toutes les familles animales du ciel et de la terre, Liu lui annonce qu’il a renoncé à emmener celle-ci à Taïwan. Le film se termine significativement sur une scène symétrique du banquet donné en l’honneur du vieux Liu dans la première scène. Qiao Yu’e a eu beau préparer un repas de fête, aucun de ses enfants ne viendra pour déjeuner et le mariage de sa petite-fille s’annonce sous de sombres auspices : le fiancé va partir pour deux ans aux USA….

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Re: "Apart together", chronique d'une séparation

Messagepar mandarine » 07 Nov 2015, 21:02

Incroyable histoire !
Les images sont très belles;des scènes de rue que j'ai vues en traversant les lilong de Shanghai,d'identiques tristes histoires de transplantation de la population âgée dans les immeubles neufs à la périphérie de la ville .Lorsque j'y suis revenue , 2 années plus tard,les lilong étaient désertés ,de belles jarres,inutiles en appartement , jonchaient ça et là...
Dernière édition par mandarine le 07 Nov 2015, 21:06, édité 1 fois au total.
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