Voilà la critique du Monde :
Le Monde a écrit:
"Apart Together" : entre Taipeh et Shanghaï, un amour à la sauce aigre douce
Les deux précédents films, distribués en France, du réalisateur chinois Wang Quan'an - Le Mariage de Tuya en 2006, La Tisseuse en 2009 - avaient révélé son goût du mélodrame, et plus encore les dilemmes moraux dans lesquels il aime à plonger ses héroïnes, confrontées à de taraudantes alternatives sentimentales. C'est de nouveau le cas de Apart Together, son cinquième long métrage, qui déploie cette fois ce motif sur fond de césure historique.
L'histoire commence avec le retour de Liu, vieux Taïwanais, en Chine continentale, qu'il a quittée comme soldat du Kuomintang en 1949, lors de la victoire des troupes communistes. Profitant de la relative normalisation entre les deux pays, il accoste à Shanghaï après un demi-siècle d'absence, où l'attend Qiao Yu'e, la femme dont il a été séparé alors qu'elle était enceinte de leur fils.
Liu, dont la femme vient de mourir à Taïwan, arrive en réalité pour reconquérir Qiao Yu'e, et la ramener à Taïwan, pour y accomplir avec elle dans leurs vieux jours ce que les aléas de l'Histoire leur ont interdit de vivre dans leur jeunesse.
Le problème est que Qiao Yu'e n'est pas seule dans le comité d'accueil. Outre le fils de Liu, qui ne veut même pas entendre parler de son père, il y a là la nombreuse famille dont la vieille femme est aujourd'hui l'ancêtre, ainsi que l'homme généreux qui l'a épousée alors qu'elle était bannie de la société en tant que femme de nationaliste.
Exemplaire, le vieux Lu ne l'est pas qu'à ce titre. Il accueille Liu à bras ouverts, comme un frère, l'héberge au foyer familial, dépense sa maigre solde en mets rares pour rendre honneur à son hôte.
Il pousse même l'abnégation, et l'amour de sa femme, jusqu'à prêter une oreille attentive, voire bienveillante, aux insinuations de plus en plus explicites que fait Liu à son grand projet, lequel va jusqu'à envisager d'indemniser Lu pour lui reprendre sa femme.
Qiao Yu'e est, quant à elle, déchirée entre le désir de rédimer son amour de jeunesse avorté et la tendre reconnaissance qu'elle voue à Lu.
De cette situation qui semble tout de même un peu tirée par les cheveux, quand bien même des événements réels l'auraient inspirée au cinéaste, Wang Quan'an semble le premier embarrassé.
Hésitant entre le pur mélo et la comédie douce-amère, il fait suivre à son film une ligne déconcertante par ses changements de ton. Frôlant la mièvrerie et l'invraisemblance dans le registre grave, le film fait en revanche finement mouche dans les moments plus distanciés.
Un de ses sommets est d'ailleurs une réunion familiale où les enfants et petits-enfants sont conviés à donner leur avis sur l'éventuel départ de Qiao Yu'e, l'assemblée déviant assez rapidement du sujet pour offrir un tableau de pugilat général, dont le sordide assumé évoque la comédie à l'italienne.
Mais l'embarras du cinéaste ne se limite pas à la dramaturgie. Il relève à l'évidence, aussi et peut-être surtout, du facteur politique, eu égard aux relations conflictuelles entre la Chine et Taïwan. Et s'il est bien un sujet que le film évite, c'est celui-ci.
Multipliant les situations de commensalité, filmant ses personnages autour d'une table plus souvent que partout ailleurs, privilégiant d'une manière générale leur rencontre autour des quelques vestiges de la culture traditionnelle qui les unit, Wang Quan'an met surtout l'accent sur la souffrance humaine générée par ce conflit et sur son absurdité.
Ce faisant, il signe une allégorie humaniste acceptable, qui a le mérite d'enjamber l'abîme et le défaut de ne pas y plonger.