Voies célestes en région enneigée

[laoshi]

Est-ce une coïncidence ? CCTV a commencé à diffuser un feuilleton sur la construction de la voie de chemin de fer destinée à désenclaver le Tibet. Or certains voient dans la prochaine nomination de Xi Jinping à la tête de l'Etat chinois un espoir pour le Tibet.

Xi père ayant été le commissaire politique de l’armée qui avait envahi le Tibet, il avait tenté d’adoucir le choc pour les populations. Et quand Mao l’avait chargé de gérer les relations avec les grands lamas, il avait établi des liens d’amitié avec les jeunes dalaï-lama et panchen-lama. Xi Zhongxun a même réussi à conserver, à travers les tourmentes de la Révolution culturelle, la montre en or que lui avait offerte le dalaï-lama avant sa fuite vers l’Inde.

Depuis la révélation de ces faits par WikiLeaks, ainsi que d’autres détails – comme l’intérêt que Xi Jinping aurait porté au bouddhisme –, l’espoir d’une réouverture des négociations, bloquées depuis plusieurs années, renaît à Dharamsala. Un tel geste permettrait peut-être de stopper la vague dramatique d’immolations par le feu qui endeuille le plateau tibétain. Et, au-delà, de trouver une solution pacifique à cinquante ans de conflit.

Le premier épisode de Voies célestes en région enneigée était un morceau d'anthologie. On ne fait pas plus manichéen ! Le dévouement des Chinois, qui ont sacrifié 22 000 chameaux sur 30 000 rien que pour le repérage du site, en dit long sur l'abnégation du régime confronté, on s'en doute, aux sabotages des résidus de l'armée du Kuomintang, aux résistances ingrates des populations arriérées que l'APL est venue "libérer pacifiquement"... Mais les Tibétains sont bientôt gagnés par la générosité et l'abnégation de leurs frères chinois venus les "libérer" au prix de mille souffrances et souvent au prix de leur vie. Les épisodes suivants sont pourtant un peu moins caricaturaux et le feuilleton ose même montrer les ravages de la campagne "anti-droitiers" parmi les braves qui sacrifient leur bonheur et leur confort à la cause. Le commissaire politique - donc le père de Xi Jinping peut-être -, est mis en scène dans le feuilleton.Il faudrait vérifier qu'il était sur le chantier du chemin de fer Qinhai/Lhassa...

[laoshi]

Le feuilleton vient de se terminer ; pure oeuvre de propagande destinée à ancrer dans l'esprit du spectateur que les Chinois se sont sacrifiés pour leurs frères tibétains, laissant sur les sommets enneigés leur santé, celle de leurs enfants, leur bonheur, leurs vies d'hommes et de femmes, pendant trois générations.

Respectueux des coutumes et des croyances locales, respectueux de l'environnement, de la faune et de la flore, ils gagnent tous ceux qui les voient à l'oeuvre à l'amitié sino-tibétaine. Les mariages mixtes, l'adoption d'une petite Tibétaine par toute une équipe d'ouvriers qui la font opérer à Pékin d'une grave maladie, la décision d'arrêter le chantier pour laisser la voie libre aux antilopes au prix d'énormes pertes, brossent un tableau idyllique de cet incontestable exploit technique.

Il va sans dire que les conditions de travail réelles ont dû être épouvantables, non seulement au temps du Grand Bond en avant, pendant lequel les droitiers et autres "mauvais éléments" étaient condamnés au travail forcé sur le plateau, non seulement pendant la Révolution Culurelle pour les mêmes raisons, mais encore dans les années qui ont suivi "l'ouverture", surtout pour les mingongs. La conscience professionnelle des ouvriers et des ingénieurs est exemplaire, une micro fissure apparaît-elle sur une pile de pont qu'elle est immédiatement détruite à l'explosif et reconstruite, malgré tous les efforts et tous les frais supplémentaires que cela suppose (on aimerait qu'il en soit allé ainsi dans la construction du Barrage des trois gorges dont on sait qu'il est justement fissuré à maints endroits)....

On comprend que tant de Chinois ne voient que l'aspect héroïque des choses et qu'ils considèrent les critiques qui leur sont faites au Tibet comme des témoignages d'ingratitude : "La colonisation sur les rails" titrait Libération après l'achèvement de la ligne menant de Pékin à Lhassa, les spectateurs du feuilleton ne risquent pas de s'en douter... la chanson qui accompagne le film leur promet le paradis au bout des rails !