Du Rififi au Parti

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Messagepar laoshi » 12 Fév 2012, 08:49

Un article qui en dit long sur les luttes intestines du PCC mais aussi sur le degré de collusion existant entre certains cadres et la mafia.

Philippe Grangereau, correspondant de Libération à Pékin a écrit:
L’inquiétante disparition de l’incorruptible de Chongqing

Le chef de la police de la métropole chinoise a été arrêté mardi après s’être rendu au consulat américain. Il aurait révélé les liens entre le maire et la mafia.

Une extravagante affaire vient d’éclater, mêlant soupçons de trahison, mafia et lutte de pouvoir au sommet du Parti communiste. Elle a pour personnage principal Wang Lijun, 52 ans, vice-maire et chef de la toute puissante police de Chongqing, une municipalité tentaculaire de 30 millions d’habitants au centre de la Chine. L’homme, qui a l’apparence d’un bureaucrate zélé, a acquis depuis 2009 une réputation d’incorruptible en raison de la brutalité sans mesure avec laquelle il est parvenu à «nettoyer» cette ville d’une mafia qui régnait jusqu’alors en maître.

Lundi, ce légendaire haut gradé de la police chinoise s’est rendu en voiture, apparemment seul, au consulat américain de Chengdu, à 500 km de Chongqing. Chose inhabituelle, et contraire au protocole, il y a passé plus de vingt-quatre heures. Peu après son entrée dans le bâtiment, des dizaines de policiers ont cerné les lieux, comme le prouvent des photos postées sur Internet par des blogueurs. Une rumeur, selon laquelle Wang Lijun «chercherait à faire défection» a circulé. Lorsque, le lendemain, l’officiel est ressorti du consulat, les agents lui ont immédiatement mis le grappin dessus et un cortège de voitures noires l’ont conduit vers un lieu inconnu. Le porte-parole du consulat américain n’a pas voulu dévoiler le contenu des conversations avec Wang, mais a précisé que celui-ci était reparti «de son plein gré».

Disgrâce. Qu’est-ce que Wang Lijun est allé faire au consulat américain ? La question a aussitôt fait le tour de millions de microblogs chinois, en dépit des efforts de la censure pour bloquer tous les mots-clés en rapport avec cette mystérieuse affaire. Nombre de commentateurs en déduisirent que Wang, numéro 2 de Chongqing, était tombé en disgrâce et qu’il risquait d’entraîner dans sa chute le «numéro 1», Bo Xilai. L’intrigant Bo Xilai, 63 ans, espère devenir cette année l’un des 9 membres du comité permanent du bureau politique du Parti communiste - et ainsi l’un des hommes les plus puissants du pays. Pour faire taire les rumeurs, la municipalité de Chongqing a annoncé mercredi, assez maladroitement, que Wang était «surmené et malade» et qu’il «avait accepté un traitement médical de style vacances». Jeudi, l’agence Chine nouvelle a fini par reconnaître que Wang avait passé vingt-quatre heures au consulat américain, et qu’il avait en conséquence été placé «sous enquête». Selon diverses sources chinoises pour l’instant invérifiables, il semblerait qu’une haute personnalité ait décidé il y a déjà quelque temps d’empêcher Bo Xilai d’accéder à l’enceinte dirigeante du politburo - dont la composition doit être renouvelée cet automne. C’est son bras droit - Wang Lijun - qui aurait été visé pour l’atteindre. La Commission centrale de discipline, chargée d’enquêter sur les affaires de corruption au sein du Parti, a alors été lancée à ses trousses pour monter un dossier contre lui. L’apprenant, Bo Xilai aurait aussitôt décidé de sacrifier son fidèle second pour sauver ses chances de promotion. Wang, qui en raison de ses fonctions sait beaucoup de choses embarrassantes sur le compte de son mentor, aurait alors décidé de mettre en lieu sûr certains dossiers afin d’esquiver le couperet.

«Assurance-vie». Wang, lui-même adepte des procédures expéditives, sait mieux qu’un autre le risque qu’il encourt. Il a fait torturer des dizaines de suspects pour mener à bien la campagne anticriminalité dite «d’élimination du mal» qui l’a rendu célèbre. Dans une série de procès, il a fait condamner à mort pour collusion avec la mafia le vice-chef de la police de la ville et huit autres personnes. Un avocat qui avait osé défendre un accusé en plaidant que ses aveux avaient été extorqués sous la torture a lui-même fini en prison… Wang a-t-il mis en lieu sûr des documents accablants, par exemple en les confiant à des diplomates américains ? L’hypothèse d’une sorte «d’assurance-vie» sous forme de pièces à charge contre Bo Xilai a été renforcée hier par l’apparition sur Internet, même si son authenticité reste à prouver, d’une «lettre ouverte au monde entier» signée de Wang Lijun. «Quand vous lirez cette lettre, je serais soit mort ou privé de ma liberté, écrit-il. J’ai agi ainsi car l’homme le plus perfide du Parti, Bo Xilai, ne doit pas être promu. Si un officiel aussi nuisible que lui arrive au sommet du pouvoir, ce sera une calamité pour la Chine.» Bo Xilai, qui est le fils d’un des maréchaux qui ont fondé la République populaire en 1949, «est un despote qui traite les gens comme du chewing-gum. Il vous mâche un moment, puis vous recrache sans remords, écrit Wang, qui accuse encore Bo d’être le véritable chef de la mafia» de Chongqing, et qu’il «brûle de devenir le chef de la mafia du pays». Wang conclut «qu’un gentleman préfère la mort à l’humiliation» et il se dit prêt à «tout sacrifier pour débarrasser la Chine de cet intrigant sans foi ni loi».

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Chongqing rouge et Canton bleu ?

Messagepar laoshi » 12 Fév 2012, 10:24

Des bons apôtres n'ont de cesse de fustiger notre vieille démocratie (qui est en effet loin d'être irréprochable) pour mieux exonérer le système du Parti unique de toute critique... L'affaire Wang Lijun, à laquelle Rue89 consacre un article fort intéressant les fera peut-être réfléchir...
Si les partis d'opposition avaient droit de cité en Chine, si le débat contradictoire était autorisé, sans doute aurait-on évité cette affaire calamiteuse digne d'un mauvais polar ou d'un mauvais roman d'espionnage. Il semble bien en tout cas que la toile de fond de ce règlement de comptes soit la lutte entre l'aile conservatrice des maoïstes purs et durs de Chongqing et l'aile libérale du Parti, incarnée par chef du Parti Communiste du Guangdong... Je me demande d'ailleurs si cette affaire n'éclaire pas, à sa manière, la violente diatribe du toniturant professeur rouge Kong Qingdong contre les locuteurs du cantonais...
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Re: Du Rififi au Parti

Messagepar jolvil » 12 Fév 2012, 21:04

Mesage édité, je me suis trompé de dicussion
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Re: Du Rififi au Parti

Messagepar laoshi » 13 Fév 2012, 21:53

Plusieurs articles du Monde éclairent un peu plus encore cette affaire. J'en retiens que Wang Lijun, tombé en disgrâce, aurait bien pu demander en vain l'asile aux Américains : à la veille du voyage de Xi Jinping, futur n° 1 du PCC aux Etats-Unis, ils ne peuvent pas se payer le luxe d'un incident diplomatique de cette ampleur. Les Américains auraient donc cédé aux exigences de Pékin et livré leur hôte à ses "camarades" non sans obtenir des garanties quant au sort qui lui serait réservé, espérons-le pour celui-ci.
Cette affaire "rocambolesque" serait un effet de surface de la lutte qui se joue entre le camp des "libéraux" du régime, incarné par le n°1 de Canton, Wang Yang, et celui des durs du maoïsme, incarnés par le n°1 de Chongqing, Bo Xilai.


Le Monde, citant Li Cheng, directeur de recherches du China Center de la Brookings Institution à Washington, a écrit:les tactiques extrêmes de M. Bo lui ont aliéné une grande partie de son propre camp : des cadres dirigeants, en exercice ou à la retraite, auraient été horrifiés par sa rhétorique empruntée au maoïsme, ses méthodes expéditives et ses illusions de grandeurs. Certains seraient donc prêts à le lâcher, malgré sa popularité.
Né en 1949, Bo Xilai a fait partie du "comité d'action unie", l'une des factions les plus extrémistes et violentes des gardes rouges, composée à l'époque de fils de dignitaires (son père, Bo Yibo, était un "immortel" du parti).

Car les "gardes-rouges", contrairement à ce que l'on croit souvent, ont d'abord été des enfants des cercles dirigeants du pouvoir, ce qui précisément leur assurait l'impunité malgré les violences inouïes auxquelles ils se livraient. Le retour en force de ces durs du maoïsme a été favorisé, voire suscité ou, à tout le moins instrumentalisé, par le pouvoir pour faire pièce aux revendications de liberté et de démocratie portées par les rédacteurs de la Charte 08, comme Liu Xiaobo et autres dissidents, dont le plus populaire d'entre eux, Ai Weiwei. Mais, comme en témoigne l'affaire de la statue de Confucius, installée en grande pompe Place Tian'Anmen pour incarner l'idéal de la "Société harmonieuse" de Hu Jintao puis reléguée dans une cour intérieure du Musée national, à l'abri des regards, on n'éteint pas toujours facilement les contre-feux qu'on a soi-même allumés pour lutter contre l'incendie. Bo Xilai, avec sa rhétorique ultra-maoïste, sa promotion des "chants rouges" et des opéras rouges, s'est acquis une immense popularité, et a fini par inquiéter en haut lieu... d'autant plus qu'il revendique l'un des sept sièges qui seront bientôt à pourvoir au Politburo, l'organe suprême du pouvoir. Or "Il s'est servi du modèle de Chongqing pour faire sa promotion" : en maître de la propagande, si l'on en croit une lettre attribuée à Wang Xilun publiée sur "le site dissident Boxun, hébergé aux Etats-Unis", il a su faire de la "révolution culturelle" de Chongqing un "show pour servir ses ambitions de pouvoir".

Wang Lijun, subitement "démis de toutes ses fonctions dans la sécurité et la justice pour se voir attribuer le portefeuille de l'éducation et de l'environnement", le 2 février, a eu droit à un "hommage officiel" qui ressemblait fort à un enterrement de première classe : M. Wang s'est forgé "une excellente réputation dans l'opinion publique", pouvait-on y lire, mais cet "homme de principe discipliné, qui n'hésite pas à s'attaquer de front aux difficultés a un tempérament chaud et ne fait pas assez attention aux formes quand il s'agit de critiquer les autres".

A-t-on tenté, à travers lui, d'atteindre Bo Xilai ? ou bien a-t-il été victime de son supérieur qui serait en cheville avec un chef de la mafia ? dans la même lettre, Wang Jilun dénoncerait "ce tyran tue ceux qui ne lui obéissent pas, et force ceux qui sont en dessous de lui à faire l'impossible". Il se pourrait donc qu'en s'attaquant à , on vise en réalité son maître Bo Xilai.

Le "chevalier blanc" de la lutte contre la corruption ne serait pas aussi honnête qu'il paraît, pas plus que son patron Bo Xilai :

Le Monde a écrit: Wang Lijun ne serait pas le M. Propre que sa légende prétend. Il aurait des intérêts dans des mines contrôlées par la mafia et monopoliserait les achats de matériel de la police de Chongqing, récupérant des commissions à l'étranger. Epinglé par la commission de discipline du parti, il aurait refusé d'être lâché par Bo Xilai, en raison des malversations prêtées à ce dernier. Le chef du parti de Chongqing ferait lui, notamment, financer les études de son fils par un homme d'affaires ami à qui il octroierait d'énormes avantages.

L'arrestation et la mise en "congé de maladie" de Wang Lijun en raison du "surmenage et du stress psychologique immense" dont il souffre et la "thérapie de type vacances", qui lui a, paraît-il, été accordée, font en tout cas craindre le pire : espérons pour lui qu'il ne passera pas ses congés forcés dans un hôpital psychiatrique...

Les articles du Monde :

le 9/2 :
Disparition rocambolesque d'un "superflic" en Chine

le 10/2 :
L'affaire qui dévoile les luttes de clans en Chine
Le mystère perdure autour de la disparition d'un "superflic" chinois
Le flot d'informations sur Internet dérange les autorités
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Re: Du Rififi au Parti

Messagepar mandarine » 14 Fév 2012, 09:05

vous avez bien raison de parler de Rififi ! c'est très drôle ce terme mais bien approprié
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
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Bo Xilai limogé !

Messagepar laoshi » 15 Mars 2012, 11:04

Une nouvelle qui n'est sans doute pas sans rapport avec le discours de Wen Jiabao lors de sa toute récente conférence de presse, Bo Xilai a été limogé.
Libération du 15 mars 2012 a écrit:
Bo Xilai, chute d'une étoile montante du Parti communiste chinois

L'homme fort de Chongqing, qui aspirait à entrer au comité permanent du Bureau politique du PCC, a été démis de ses fonctions.

Bo Xilai, chef charismatique mais controversé du Parti communiste de la mégapole de Chongqing, étiqueté conservateur, a été limogé, a annoncé jeudi l'agence Chine nouvelle, alors qu'il aspirait à devenir membre du cénacle des plus hauts dirigeants chinois cet automne.

Bo Xilai avait été fragilisé en février par la chute de son adjoint, Wang Lijun, sanctionné après sa rocambolesque visite dans un consulat américain où il aurait tenté d'obtenir l'asile politique. L'agence officielle a également officialisé jeudi le limogeage de Wang de ses fonctions de maire-adjoint de Chongqing, dans le sud-ouest de la Chine.

La chute de Wang avait été perçue par les analystes comme le signe que la carrière nationale de Bo Xilai, qui ambitionnait de devenir l'un des membres du comité permanent du Bureau politique du Parti communiste chinois (PCC) - neuf actuellement - était fortement compromise.

Son limogeage au lendemain de la clôture de la session plénière annuelle du parlement, un temps fort de la vie politique chinoise, n'en constitue pas moins une «surprise», selon un diplomate occidental en poste à Pékin.

«On pensait qu'il n'aurait aucune chance de rentrer au comité permanent, mais que d'ici là (le congrès du Parti communiste à l'automne : ndlr), pour calmer le jeu, on le laisserait à son poste», a-t-il déclaré à l'AFP.

Congrès en octobre

Il y a une semaine, Bo avait été absent d'une session parlementaire consacrée à la réforme du code de procédure pénale, où se trouvaient les autres membres du Bureau politique, dont il fait partie. Il avait justifié cette absence par une grippe.

Il a été remplacé par Zhang Dejiang, un vice-Premier ministre réputé conservateur plus orthodoxe. Le changement d'hommes a été décidé «après mûre réflexion» par le Comité central du PCC, a précisé Chine nouvelle.

Ce limogeage emblématique intervient alors que l'équipe au pouvoir à Pékin doit être remplacée par des dirigeants plus jeunes lors du XVIIIe congrès du Parti en octobre, une transition politique qui s'accompagne de luttes intenses en coulisse pour les postes clés au sommet.

Les observateurs s'interrogeaient jeudi pour savoir si le limogeage de Bo Xilai allait bénéficier aux conservateurs ou aux réformateurs.

«Est-ce que cela veut dire que Xi Jinping (le probable futur numéro un chinois) va épouser les réformes de Wen Jiabao (l'actuel Premier ministre) et accélérer le processus de réformes politiques ? C'est trop tôt pour le dire», estime Jean-Pierre Cabestan, directeur du département d'études politiques de la Hong Kong Baptist University.

Mais pour le chercheur Guo Yingjie, le limogeage de Bo peut être le signal d'une attaque de la faction plus réformiste du PCC avec Wen, et dans une moindre mesure le président Hu Jintao, contre l'aile conservatrice.

«Je crois que Hu Jintao et Wen Jiabao envoient un signal à Xi Jinping pour qu'il ne penche pas trop à gauche», dit Guo Yingjie, de l'Université de technology à Sydney.

Bo Xilai est connu pour avoir été le maître d'oeuvre de la spectaculaire transformation de Chongqing, municipalité-laboratoire de 33 millions d'habitants avec en son centre une ville de 12 millions d'habitants, l'une des cinq plus grandes de Chine, devenue sous la direction de Bo un pôle économique majeur.

Cet ancien ministre du Commerce, qui a mené une vigoureuse campagne antimafia dans son fief, est aussi réputé pour avoir souhaité faire revivre à Chongqing l'idéal révolutionnaire, plus de 30 ans après la mort de Mao Zedong.

«Campagne extrêmement féroce»

Cette campagne contre le crime organisé, assortie de nombreuses exécutions, lui a valu un grand nombre d'ennemis.

«Sa campagne antimafia a été extrêmement féroce et s'est faite au mépris des règles juridiques, y compris en Chine», observe Jean-Pierre Cabestan.

Cette lutte était notamment menée par Wang Lijun, que Bo a cherché à protéger jusqu'au bout, en le faisant transférer «du poste-clé de responsable de la Sécurité publique à un poste moins important du gouvernement (de Chongqing), celui de responsable de l'Education et de la culture. Il l'a conservé sous son aile, il l'a protégé et cette décision l'a condamné», selon le politologue.

Son style atypique dérangeait également.

«Il est très ouvert, a beaucoup de confiance en lui et est charismatique, ce n'est pas comme cela que la plupart des dirigeants chinois se comportent», relève Patrick Chovanec, un analyste qui enseigne à l'Université Tsinghua de Pékin.

«Bo Xilai a toujours mis mal à l'aise une grande partie de la direction. Ils prenaient ombrage de sa manière de faire campagne pour un siège au comité permanent» notamment en courtisant la presse, ajoute Patrick Chovanec.

(AFP)

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l'affaire commentée par l'Express

Messagepar laoshi » 15 Mars 2012, 13:20

L'Express a écrit:
Chine: Bo Xilai, la chute d'une étoile montante du Parti communiste

Le dirigeant en vue du Parti communiste avait pour ambition de devenir l'un des neuf membres du comité permanent du Bureau politique du Parti communiste chinois, en octobre. Il a été limogé.

C'est la chute pour un homme à qui l'on prédisait un brillant avenir. Bo Xilai, chef charismatique mais controversé du Parti communiste de la mégapole de Chongqing -31 millions d'habitants-, a été limogé, a annoncé jeudi l'agence Chine nouvelle. Bo Xilai aspirait à devenir membre du cénacle des plus hauts dirigeants chinois cet automne.

Bo Xilai avait été fragilisé en février par la chute de son adjoint, Wang Lijun, sanctionné après sa rocambolesque visite dans un consulat américain où il aurait tenté d'obtenir l'asile politique.

La chute de Wang avait été perçue par les analystes comme le signe que la carrière nationale de Bo Xilai, ancien ministre du commerce, qui ambitionnait de devenir l'un des membres du comité permanent du Bureau politique du Parti communiste chinois (PCC) -neuf actuellement- est fortement compromise.

"Bo était le seul homme politique depuis 1978 à avoir créé son propre mouvement au sein du parti. Cela a dû effrayer d'autres personnalités du PCC, qui craignaient qu'il puisse bouleverser les équilibres politiques", analyse Victor Shih, un expert de la Chine à la Northwestern University, interrogé par le Guardian.

Son limogeage au lendemain de la clôture de la session plénière annuelle du parlement, un temps fort de la vie politique chinoise, n'en constitue pas moins une "surprise", selon un diplomate occidental en poste à Pékin.

Il y a une semaine, Bo avait été absent d'une session parlementaire consacrée à la réforme du code de procédure pénale, où se trouvaient les autres membres du Bureau politique, dont il fait partie. Il avait justifié cette absence par une grippe.

Il a été remplacé par Zhang Dejiang, un vice-Premier ministre réputé conservateur plus orthodoxe. Le changement d'hommes a été décidé "après mûre réflexion" par le Comité central du PCC, a précisé Chine nouvelle.

Luttes intenses en vue du XVIIIe congrès du Parti en octobre

Ce limogeage emblématique intervient alors que l'équipe au pouvoir à Pékin doit être remplacée par des dirigeants plus jeunes lors du XVIIIe congrès du Parti en octobre, une transition politique qui s'accompagne de luttes intenses en coulisse pour les postes clés au sommet.

Les observateurs s'interrogeaient jeudi pour savoir si le limogeage de Bo Xilai allait bénéficier aux conservateurs ou aux réformateurs.

"Est-ce que cela veut dire que Xi Jinping (le probable futur numéro un chinois) va épouser les réformes de Wen Jiabao (l'actuel Premier ministre) et accélérer le processus de réformes politiques ' C'est trop tôt pour le dire", estime Jean-Pierre Cabestan, directeur du département d'études politiques de la Hong Kong Baptist University.

Bo Xilai est connu pour avoir été le maître d'oeuvre de la spectaculaire transformation de Chongqing, municipalité-laboratoire de 33 millions d'habitants avec en son centre une ville de 12 millions d'habitants, l'une des cinq plus grandes de Chine, devenue sous la direction de Bo un pôle économique majeur.

Cet ancien ministre du Commerce, qui a mené une vigoureuse campagne antimafia dans son fief, est aussi réputé pour avoir souhaité faire revivre à Chongqing l'idéal révolutionnaire, plus de 30 ans après la mort de Mao Zedong.

Une féroce campagne antimafia, au mépris des règles juridiques

Cette campagne contre le crime organisé, assortie de nombreuses exécutions, lui a valu un grand nombre d'ennemis. "Sa campagne antimafia a été extrêmement féroce et s'est faite au mépris des règles juridiques, y compris en Chine", observe Jean-Pierre Cabestan. "La campagne antimafia est devenue un mode de gouvernement et d'administration de la société par la terreur. Il utilisait notamment la torture pour extorquer des aveux des personnes poursuivies. Ces méthodes vont à l'encontre des stipulations de la Constitution", explique Tong Zhiwei, un professeur à l'université de droit et politique de Huadong à Shanghaï, interrogé par Le Monde. Et on l'a aussi accusé "de ne cibler que les hommes d'affaires puissants qui n'étaient pas ses alliés politiques", explique le Financial Times.

Cette lutte était notamment menée par Wang Lijun, que Bo a cherché à protéger jusqu'au bout, en le faisant transférer "du poste-clé de responsable de la Sécurité publique à un poste moins important du gouvernement (de Chongqing), celui de responsable de l'Education et de la culture. Il l'a conservé sous son aile, il l'a protégé et cette décision l'a condamné", selon le politologue. L'agence officielle a également officialisé jeudi le limogeage de Wang Lijun de ses fonctions de maire-adjoint de Chongqing.
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Re: Du Rififi au Parti

Messagepar laoshi » 15 Mars 2012, 18:13

L'affaire fait grand bruit et les articles intéressants sont nombreux, en voici un autre, consacré à la personnalité de Bo Xilai, il apporte un éclairage nouveau sur la biographie de ce personnage majeur de l'histoire récente du PCC

Sébastien Blanc, pour l'Agence France-Presse, à Pékin dans Cyberpress a écrit:
Le Parti communiste chinois montre la porte à Bo Xilai

À la fois maoïste et dirigeant moderne séduisant, le flamboyant Bo Xilai vient de subir l'affront paradoxal d'être limogé par le Parti communiste chinois dont il a tant fait la promotion à la tête de sa métropole géante de Chongqing.
Âgé de 62 ans tout comme la République populaire de Chine, l'ambitieux M. Bo voit son ascension arrêtée brutalement quelques mois avant le XVIIIe congrès du Parti au cours duquel il espérait intégrer le «Saint des Saints» du pouvoir en Chine: le Comité permanent du Bureau politique.

La chute est rude pour cet homme élégant, aux costumes soignés, considéré comme l'une -si ce n'est la première- des étoiles politiques montantes du pays.

Il est d'ailleurs justement né sous une bonne étoile, dans le Shanxi (nord): son père Bo Yibo, révolutionnaire de la première heure, fut lui-même membre du bureau politique.


Cela n'empêchera pas le fils, comme d'autres «princes rouges», d'endurer la déchéance provisoire de son père, victime d'une purge durant la Révolution culturelle.

Certaines biographies officielles de Bo Xilai ne commencent qu'en 1968, avec ses cinq ans de «prisonnier durant la Révolution culturelle». Elles omettent ainsi ses années de garde rouge dans l'une des organisations les plus radicales, la brigade Liandong.

Bo Xilai n'adhère officiellement au Parti communiste qu'en octobre 1980, pendant ses années d'études à l'Académie des sciences sociales, dont il sort diplômé en journalisme.

Son ascension suit la voie classique de l'apparatchik bâtissant sa carrière en province, au Liaoning, une province industrielle du nord-est qu'il gouverna de 2001 à 2004, et notamment à Dalian, la préfecture dont il fut maire (1993-2000).

Après avoir pris les rênes en 2004 du ministère du Commerce à Pékin, il peaufine sa réputation de négociateur ferme mais charismatique, se débrouillant bien en anglais.

Pouvant se targuer des excellentes performances des exportations chinoises, il est promu en 2007 au sein de l'une des plus hautes instances dirigeantes de la Chine, le Bureau politique du Parti communiste, composé de 25 membres.

Mais c'est à Chongqing, mégalopole du Centre-Ouest dont il devient secrétaire du Parti, que le «Kennedy chinois» va réaliser ses véritables faits d'armes. En quelques années, il transforme tambour battant cette ville-laboratoire en pôle économique majeur.

Ce développement s'accompagne d'une croisade contre la corruption, avec des milliers d'arrestations brutales et des retentissants procès antimafia, une opération mains propres vivement critiquée par les défenseurs des droits de l'homme et qui lui vaut de nombreux ennemis.

L'influent M. Bo fait aussi des vagues en voulant faire revivre à Chongqing l'idéal révolutionnaire de Mao Zedong. Il lance une vaste campagne de propagande, à coups de slogans et «chants rouges» patriotiques.

«Les milieux juridiques étaient extrêmement critiques à l'égard de Bo Xilai, notamment autour de l'affaire Li Zhuang, l'avocat de l'un des criminels, qui a été arrêté pour des motifs extrêmement ténus», explique Jean-Pierre Cabestan, un expert de la Chine.

Et selon Patrick Chovanec, un spécialiste de l'Université de Tsinghua (Pékin), Bo Xilai a «indisposé» de nombreux leaders chinois avec son style atypique. «Il est très ouvert, très confiant, très charismatique et la majorité des dirigeants chinois ne se comportent pas ainsi».
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Re: Du Rififi au Parti

Messagepar laoshi » 15 Mars 2012, 18:20

L'affaire commentée par un journaliste du Monde , François Bougon, qui répond aux questions des internautes de manière très précise :

Le Monde a écrit:La Chine est "dans une période sensible de transition politique"

François Bougon :
Bonjour.

Bilout : Comment faut-il interpréter la mise à l'écart de Bo Xilai ?
Il y a deux aspects à prendre en compte. Le premier, purement local, lié à la situation de Chongqing. Le second, lié à la situation politique nationale et à la prochaine transition au pouvoir, à l'occasion du 18e congrès du Parti communiste à l'automne. Sur le plan local, l'action de Bo Xilai a soulevé énormément de critiques, notamment pour sa gestion de la lutte contre la mafia. Certains avocats ont dénoncé des bavures, des cas de torture à l'encontre d'entrepreneurs locaux. Selon les avocats, Bo Xilai se serait servi de cette lutte pour à la fois consolider ses ambitions de pouvoir au niveau national et spolier les richesses des entrepreneurs locaux.

Guest : Que peut-il arriver à Bo Xilai ?
Il y a deux scenarii possibles. Soit le pouvoir central a décidé de le priver uniquement de son poste de numéro 1 de Chongqing. Dans ce cas, il peut réapparaître et conserver son poste pour l'instant au bureau politique. Mais sa carrière de premier plan sera terminée. L'autre scénario est beaucoup plus inquiétant pour lui. Si les enquêtes en cours menées depuis la tentative de défection de son ancien bras droit, Wang Lijun, montrent que Bo Xilai a été impliqué dans des affaires, de corruption par exemple, dans ce cas, il pourrait éventuellement avoir affaire avec la justice. C'est ce qui s'est passé en 2006 avec le secrétaire du Parti communiste de Shanghai, Chen Liangyu, qui est tombé pour corruption, a été exclu du Parti, et condamné à 18 ans de prison pour corruption.

Paul : Je n'ai pas bien saisi les tenants et les aboutissants de la fuite de son bras droit...
Actuellement, nous ne disposons que de peu d'éléments. Ce que nous savons, ce sont les informations délivrées à la fois sur les réseaux sociaux, par des sources qui ne sont pas forcément fiables, dans la presse de Hongkong et, bien sûr, par les médias officiels. Ce qui semble sûr à l'heure actuelle, c'est que Wang Lijun s'est fortement opposé à Bo Xilai et qu'il aurait menacé de dévoiler un certain nombre de dossiers gênants. Il faudra attendre les résultats de l'enquête officielle, qui seront bien évidemment très parcellaires, et aussi la version des fonctionnaires américains qui se trouvaient au consulat de Chengdu. Donc beaucoup d'interrogations mais peu de réponses satisfaisantes.

Michel : Le limogeage d'un chef local peut-il constituer un élément en faveur d'une transition démocratique ?
Non. Ce n'est qu'une péripétie d'un paysage politique très opaque. Nous sommes dans une période sensible de transition politique, où les luttes de pouvoir et les ambitions sont démultipliées. Ce qui est intéressant d'un point de vue strictement démocratique, c'est de voir à quel point, premièrement, les réseaux sociaux ont joué un rôle assez intéressant, en particulier pour diffuser l'information et réclamer que la lumière soit faite. Deuxièmement, on peut voir aussi que la fraction la plus "ouverte" du Parti communiste a pu imposer son point de vue, car personne ne s'attendait au limogeage de Bo Xilai.

jessy : Pensez-vous réellement que le régime chinois montre des signes encourageants pour une transition démocratique ?
Le régime en lui-même, non ; cependant, la société civile, elle, montre qu'elle a une soif de liberté et d'expression sur des sujets qui l'intéressent, comme l'environnement, le droit de donner son avis dans des débats d'intérêt général.

titi : Y a t'il un ou des mouvements réformateurs dans l'appareil politique ?
C'est très difficile de répondre à cette question. Le Parti communiste est très opaque, mais on peut supposer qu'il existe, au sein de ce parti, un mouvement d'hommes politiques qui sont prêts à ouvrir un peu plus le jeu politique en direction de la société, et donc d'accepter un certain degré de démocratie.

Francois : Quels sont les candidats au bureau politique pour le prochain congrès ?
Il n'y a pas de candidat. Ce qu'on sait actuellement, c'est qu'il y a deux personnes qui vont accéder au Comité permanent du bureau politique : Xi Jinping et Li Keqiang. Le premier doit normalement devenir le secrétaire général du Parti communiste, puis président ; le deuxième, n° 2 du Comité permanent et premier ministre. Quant aux autres noms, des listes circulent à l'heure actuelle, mais on ne connaîtra officiellement la composition du Comité permanent qu'à l'occasion du congrès du Parti communiste. Généralement, dans les mois qui précèdent le congrès, il y a énormément de spéculations, des noms circulent, mais les heureux élus ne sont pas forcément au sein de ces listes.

ben : Quelles qualités faut-il avoir pour accéder aux hautes sphères du pouvoir ?
Il faut être endurant ;-) Nous ne sommes plus à l'époque où la Chine était dirigée uniquement par une seule personne. Depuis les excès du maoïsme et la fin de l'ère Deng Xiaoping, le système fonctionne de manière collégiale et consensuel. C'est le Comité permanent du bureau politique qui dirige le pays. Les décisions sont l'objet de négociations entre les différentes factions, entre les différentes personnalités. Donc cela suppose, de la part de ceux qui accèdent à ce niveau de pouvoir, une capacité à gérer les oppositions, à ne pas se faire trop d'ennemis, et en même temps, à se constituer de solides réseaux, non seulement au sein du parti, mais aussi dans l'armée, par exemple.

Félix : Les membres du Comité permanent du bureau permanent sont-ils élus ?
Officiellement, ils sont élus par les membres du bureau politique, qui est en gros le Parlement du Parti communiste. Mais dans les faits, c'est quand même beaucoup plus compliqué.

Lam : On dit que Xi Jinping est moins conservateur que Hu, est-ce vrai ?
Difficile à dire. Une chose est sûre, c'est qu'on a tendance à considérer en Occident que chaque nouveau dirigeant chinois va être beaucoup plus réformateur que son prédécesseur. Quand Hu Jintao et Wen Jiabao sont arrivés au pouvoir, on a vu le même type de discours, les présentant comme les prochains Gorbatchev de la Chine. L'histoire nous a montré que ce n'était pas le cas et qu'ils avaient avant tout pour objectif d'assurer la continuité du régime communiste.

Thomas : Xi Jinping et Li Keqiang sont déjà dans le comité permanent du bureau politique, non ?
Oui, ils sont entrés au Comité permanent lors du 17e congrès, en 2007. C'est une manière de préparer la succession en douceur.

sylvie : Comment qualifier le tandem Hu Jintao et Wen Jiabao ?
On pourrait, en plaisantant, les présenter comme le "méchant flic" et le "bon flic". L'un beaucoup plus conservateur, et l'autre plus ouvert. Ce qui est sûr, c'est qu'ils ont réussi à rester au pouvoir pendant dix ans, à organiser les Jeux olympiques et à gérer des crises économiques. C'est ce qu'on peut retenir de leur bilan.

LB : Pouvez vous nous présenter succinctement les deux factions principales au sein du PC et leurs relais dans la nouvelle génération de leaders attendus cette année ?
Il est assez difficile de répondre à cette question. Il est évident qu'il existe au sein du Parti communiste une génération de dirigeants qui ont envie que le système évolue et qu'il prenne en compte l'ouverture croissante de la société. Ils existent à tous les niveaux. Cependant, il est difficile de donner des noms actuellement, car le système et la période ne leur permettent pas de véritablement s'exprimer. En période de transition politique, la règle primordiale pour un homme politique chinois est de ne pas faire de vagues. Bo Xilai vient de l'apprendre à ses dépens.

Noob : Pourriez-vous expliquer à un novice pourquoi parle-t-on d'une guerre des chefs en Chine ?
Tout simplement parce que, comme dans n'importe quel pays, qu'il soit autoritaire ou démocratique, nous sommes en présence de personnalités qui se battent pour avoir le pouvoir. Mais dans un système opaque comme celui du Parti communiste, cela donne lieu parfois à des purges ou à des limogeages comme celui de Bo Xilai. Souvent, ils sont présentés comme des affaires de corruption, mais leur caractère politique est évident aux yeux de nombreux observateurs.

Francois : La mise à l'écart de Bo Xilai est-elle plutôt une victoire pour le camp réformiste ou conservateur ?
A première vue, elle constitue plutôt une victoire pour le camp réformiste. Bo Xilai s'était caractérisé par un non-respect des règles de droit en vigueur en Chine dans sa lutte contre la mafia.

SWB : On dit que le premier ministre Wen est un réformateur, est-ce vrai ?
Je serais tenté de répondre par l'affirmative. Wen Jiabao a été proche des dirigeants réformateurs des années 1980, qui ont été victimes de limogeage : Hu Yaobang et Zhao Ziyang. Ses discours s'attachent à la défense d'une démocratie au sein du parti, et par conséquent, on peut le qualifier comme réformateur.

HRG : Pensez vous qu'une révolution style Gorbatchev est possible en Chine ? Et quel est le scenario probable pour le processus démocratique ?
C'est la question à 1 million de dollars ! Je n'y crois pas beaucoup dans l'immédiat, car comparer l'Union soviétique de Gorbatchev et la Chine de Hu et de Wen n'a aucun sens, à mon avis. L'Union soviétique se trouvait en situation de faillite économique face à un monde occidental triomphant. La Chine actuelle est la deuxième économie mondiale face à un Occident qui doute de son modèle. Je pense qu'on assistera à une évolution démocratique qui ne passera pas forcément par l'adoption immédiate d'un système multipartite comme en France, par exemple. Mais l'évolution de Taïwan montre qu'on peut avoir à terme un système de démocratie dans un pays marqué par le confucianisme.

pierre : D'après vous, il faut encore combien de temps pour voir réellement se mettre en place une gestion démocratique en Chine ?
Donner une échelle temporelle est impossible. On voit émerger des phénomènes en Chine qui permettent de penser qu'on arrivera un jour ou l'autre à un système beaucoup plus ouvert, voire démocratique. Mais l'expérience, concernant les affaires de la Chine, me pousse à rester prudent en matière de prévision.

Canu : Compte tenu des dispositions autoritaires du régime chinois, n'est-il pas un peu hâtif de parler de "transition démocratique" ?
Il est certainement hâtif de parler de transition démocratique. Cependant, une partie de la société chinoise n'a plus envie qu'on lui dicte ce qu'elle doit regarder à la télévision, n'a plus envie qu'on lui supprime des messages sur les réseaux sociaux, bref, a envie de participer à des discussions sans tabous et librement. Cela dit, on ne peut pas nier qu'il existe au sein du régime chinois une composante autoritaire et des systèmes de sécurité, que ce soit la police ou l'armée, qui, eux, prônent le renforcement des contrôles.

giuseppe : Le printemps arabe peut-il faire tâche d'huile en Chine ?
On a vu l'année dernière que les tentatives de reproduire les appels à manifester sur le modèle du "printemps arabe" ont échoué. Il existe un mécontentement populaire en Chine, on assiste tous les jours à des "incidents de masse", à des protestations de villageois contre des phénomènes de corruption, mais ces manifestations restent très localisées. Et le Parti communiste fait en sorte qu'il n'existe pas d'opposition organisée pour pouvoir fédérer ces mécontentements.

giuseppe : Y a-t-il des risques d'éclatement aux confins de la Chine, à savoir au Tibet et au Xinjiang ?
Pour l'instant, on ne peut pas dire qu'il existe des risques d'éclatement. Les situations au Tibet et au Xinjiang sont très différentes. Autant au Xinjiang on peut voir certains mouvements extrémistes et armés, autant au Tibet ce n'est pas le cas. Ces deux régions frontalières ont une valeur stratégique primordiale pour la Chine, et par conséquent, on y observe une forte présence militaire qui, pour l'heure, exclut tout risque d'éclatement. De plus, ses voisins et la communauté internationale en général ne soutiennent pas les mouvements séparatistes.
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Xi Jinping s'en mêle

Messagepar laoshi » 18 Mars 2012, 08:28

Deux articles de Caroline Puel, parus dans Le Point éclairent cette affaire complexe.

Caroline Puel dans Le Point a écrit:Chine : Bo Xilai, la chute du "prince rouge"

Limogé par le Parti, le charismatique maoïste voit son ascension brutalement arrêtée quelques mois avant le 18e congrès du Parti.

C'est un véritable coup de tonnerre qui a retenti jeudi matin dans la vie politique chinoise. L'agence officielle Chine nouvelle a annoncé à 10 heures (4 heures, heure de Paris) que Bo Xilai, l'une des personnalités les plus en vue dans la course à la succession qui doit s'opérer cet automne, était démis de ses fonctions de secrétaire du Parti de la mégapole de Chongqing, 30 millions d'habitants. Il est remplacé par le vice-Premier ministre Zhang Dejiang, proche du président Hu Jintao. L'information est tombée trop tard pour être reprise dans les grands médias chinois, mais elle figure déjà en une du site internet du China Daily, le quotidien officiel en anglais.

La centrale du Weibo, le Twitter chinois, a failli exploser sous l'avalanche de commentaires. Plus d'un million et demi de micro-messages en moins de deux heures ! Beaucoup sont favorables au "prince rouge", charismatique, mais parfois trop arrogant et ambitieux. De très nombreux messages, provenant de Chongqing, la ville que Bo Xilai dirigeait depuis un peu plus de quatre ans, expriment le regret de voir disparaître l'homme qui a fait renaître cette ville, soulignant l'importance des transformations opérées sur les infrastructures, la rénovation de la grande cité, devenue le poumon du développement au centre de la Chine, et la lutte contre la mafia. C'est cette dernière mesure qui avait été critiquée, de nombreux universitaires libéraux s'inquiétant des méthodes expéditives employées à Chongqing - plus de 2 000 personnes arrêtées et jugées dans de grands procès en 2009 -, faisant peu de cas du Code pénal et du rôle des avocats avec treize personnes exécutées de manière très expéditive.

Trop poussé par son ambition
C'est surtout l'an dernier que le "beau Bo" a fait, poussé par son ambition, un pas de trop en remettant au goût du jour la "culture rouge" et les chants révolutionnaires de l'époque maoïste. Une mesure qu'il présentait comme une manière de souder une population de plus en plus nombreuse et hétérogène dans de grand-messes du samedi soir sur les places de la cité pour danser sur les airs des années 1950 et 1960, et était plutôt appréciée par la population locale. Mais à Pékin, le courant des réformistes a frémi. Ces refrains rappelaient d'autres souvenirs : la période d'hégémonisme politique du président Mao et toutes les errances des premiers temps du communisme qui ont coûté la vie à des dizaines de millions de Chinois et marqué à jamais les générations qui vécurent cette période de Révolution culturelle s'étalant de 1966 à 1976.

Né en 1949, fils de Bo Yibo, un révolutionnaire et économiste de la première heure, qui fut lui-même emprisonné pendant la Révolution culturelle, Bo Xilai rêvait depuis longtemps d'entrer au sein du secrétariat permanent du Parti communiste, qui compte neuf membres. Déjà en 2003, puis en 2007, les portes de ce cercle étroit de la direction collégiale s'étaient refermées devant lui, les représentants du courant réformiste se montrant prudents face à ses dérives populistes, déjà observées lors de ses précédents postes, à Dalian, puis à la direction de la province du Liaoning. Bo Xilai faisait, en revanche, partie des vingt-cinq hauts dirigeants qui composent le bureau politique et ce titre n'a pas encore été remis en cause. Mais il pourrait l'être d'ici au 18e congrès, au mois d'octobre. Des sources proches du pouvoir laissent entendre que l'enquête sur sa personne se poursuit et qu'il ne devrait pas quitter Pékin dans les prochaines semaines.

Le cerveau du régime devant être renouvelé en octobre 2012, Bo Xilai espérait, par ses actions d'éclat, attirer l'attention et enfin entrer au secrétariat. Le "modèle de Chongqing" a certes attiré l'oeil de Pékin, de nombreux hauts dirigeants de la nouvelle génération se sont rendus en visite dans ce fief, mais le président Hu Jintao et le Premier ministre Wen Jiabao se sont abstenus de faire ce voyage ces derniers mois, laissant entendre que cette mobilisation des masses ne plaisait pas forcément au tandem.

Paysage politique bouleversé
Depuis le début du mois de février, Bo Xilai se savait en difficulté. Son bras droit, Wang Lijun, a en effet cherché à recevoir l'asile politique au consulat des États-Unis de Chengdu, avant d'être arrêté et expédié à Pékin pour une enquête. Coup monté ? Véritable démarche de son homme de confiance qui a tout de go dénoncé les méthodes de son patron, l'accusant, dans une lettre qui lui est attribuée et qui a circulé sur Internet, d'employer lui-même des méthodes mafieuses pour parvenir à ses fins ? Difficile de savoir tant les coulisses du pouvoir chinois restent opaques. Toujours est-il que cela faisait désordre dans un paysage politique qui veut plus que jamais présenter un visage lisse et "harmonieux". D'autant qu'au même moment le grand rival de Bo Xilai, Wang Yan, qui fut son prédécesseur à Chongqing et dirige actuellement la province du Guangdong, a reçu toute l'attention et les félicitations de Pékin et de la presse pour sa gestion en douceur d'un village réclamant des élections pour se débarrasser d'une équipe corrompue.

Mercredi, à l'occasion de sa dernière rencontre avec la presse internationale et alors qu'il entame la dernière année de son mandat, le Premier ministre Wen Jiabao, chef de file des libéraux, a fait savoir à sa manière quelles étaient ses options. En encourageant le processus des élections dans les villages et en précisant qu'elles doivent remonter au niveau des bourgs et des districts dans le cadre de la démocratisation par la base", il s'est très clairement inscrit en faveur du ticket Wang Yan. Mais en mettant en garde, dans des termes rarement employés, contre le risque de retour à un "climat de Révolution culturelle", il a indirectement mis en cause Bo Xilai.

Six mois avant la grande transition qui doit porter au pouvoir une nouvelle génération politique pour la prochaine décennie, la disparition de Bo Xilai des écrans radars de la succession et la poussée de Zhang Dejiang et de Wang Yan viennent donc bouleverser le paysage et les répartitions de postes.



Caroline Puel, dans Le Point a écrit:
Pourquoi Bo Xilai a été limogé

Au lendemain de la chute de Bo Xilai, qui ambitionnait d'entrer dans le cercle des très hauts dirigeants chinois, le dauphin du régime Xi Jinping s'en mêle.

Le limogeage de Bo Xilai vient de mettre à bas l'unité de façade de l'équipe collégiale chinoise. Les dissensions ont été exposées au grand jour, à six mois de la grande transition politique qui doit amener au pouvoir une nouvelle génération de hauts dirigeants pour la prochaine décennie. Et ce, alors que la société chinoise est tiraillée par de très fortes inégalités et que le régime de Pékin tenait plus que jamais à présenter un visage "harmonieux".

S'il s'est engagé dans ce processus de destitution, c'est assurément après avoir soupesé les risques de turbulences que pouvait occasionner l'affaire Bo Xilai. Le discours de Xi Jinping (rendu public aujourd'hui) avait déjà été prononcé le 1er mars devant les étudiants de l'École centrale du Parti. Le sort de Bo Xilai était donc scellé en interne avant même l'ouverture de la session annuelle de l'Assemblée, qui a entériné sa mise à pied.

Un fils de prince en chasse un autre
Pour autant, la destitution de Bo Xilai ne semble pas résulter véritablement d'une lutte entre les factions. Pour preuve, souligne Jean-Pierre Cabestan, directeur des relations internationales à l'université baptiste de Hong-Kong, Bo Xilai a été remplacé à Chongqing par un autre "fils de prince". Zhang Dejiang, le nouveau secrétaire du Parti à Chongqing, est en effet le fils du général Zhang Ziyi (1912-1997), qui a achevé sa carrière comme vice-commandant de l'artillerie de la région militaire de Jinan (nord-est de la Chine). Il est en outre considéré comme un conservateur. Âgé de 65 ans, il a fait ses études en Corée du Nord. En 2001, lorsque le Parti a décidé de s'ouvrir à la nouvelle élite née des réformes pour perdurer, il faisait partie de ceux qui s'opposaient à l'ouverture du Parti aux entrepreneurs. Mais Zhang est apprécié pour sa loyauté au Parti.

C'est donc Bo Xilai en personne, et plus précisément sa personnalité, qui agaçait en haut lieu. Trop charismatique pour une direction collégiale habituée au consensus, trop personnel... Le discours de Xi Jinping ce matin a ainsi mis en garde la nouvelle génération politique contre la tentation de développer des carrières trop individuelles. "Aujourd'hui, certaines personnes rejoignent le Parti non parce qu'elles croient au marxisme et veulent se consacrer au socialisme chinois, mais parce que devenir membre du Parti leur apporte un bénéfice personnel." Sans que le nom de Bo Xilai soit jamais cité dans ce discours, chacun a bien compris ce matin que la chute du baron de Chongqing servait aussi d'avertissement à la nouvelle génération de dirigeants communistes devant la tentation du populisme ou d'un engagement trop à gauche, alors qu'ils prennent progressivement en main les rênes du pouvoir.

Séduction
Pour autant, la chute de Bo Xilai va entraîner une nouvelle redistribution des cartes pour la composition de la future équipe dirigeante qui compte actuellement neuf membres. Elle pourrait également avoir un impact négatif sur le courant de "la nouvelle gauche" qui avait soutenu le programme de "culture rouge" et le modèle économique de Chongqing. À l'inverse, le courant des hommes politiques libéraux devrait accueillir positivement cette décision. Ce groupe soutenait que le mode de gouvernance de Bo Xilai à Chongqing minait la rationalité de l'économie de marché et encourageait une influence étatique indue. Wang Yang, le chef réformiste du Guangdong et grand rival de Bo Xilai, semble ainsi avoir toutes les chances d'entrer dans ce cercle étroit du secrétariat permanent.

Quant à Bo Xilai lui-même, son sort n'est pas encore scellé. Mais les hauts responsables qui ont décidé de sa disgrâce se retrouvent face à un dilemme. S'ils lui laissent trop de latitude, ce fin politique pourrait bien réactiver ses réseaux et constituer une sorte d'opposition interne au sein du Parti. Mais si sa sanction apparaît trop lourde, c'est l'opinion publique qui pourrait bien se manifester pour défendre le baron déchu. Les réseaux sociaux ne cessent de commenter l'affaire Bo Xilai ces derniers jours, révélant à quel point cet homme charismatique était populaire, non seulement auprès de ses administrés de Chongqing dont il avait réveillé la ville, mais aussi auprès d'une partie de la jeunesse, séduite par son style et son énergie. Selon des sources proches du pouvoir à Pékin, Bo Xilai pourrait ainsi se voir proposer le poste de vice-président du Sénat (CCPPC), un siège honorifique, mais sans pouvoir, qui permettrait de lui ménager une sortie honorable.
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