Libération a écrit:La Chine garde le contrôle sur l'avocat dissident Chen Guangcheng
Plus de dix jours après un accord entre Pékin et Washington sur son départ aux Etats-Unis, Chen Guangcheng est toujours confiné et isolé dans un hôpital de Pékin, une manière pour la Chine de montrer qu’elle reste maîtresse de l’exil de l’un de ses plus célèbres dissidents.
Toutefois, il semble exclu pour les analystes que Pékin revienne sur son engagement de laisser partir le militant des droits civiques étudier aux Etats-Unis.
Ce champion de la lutte contre les stérilisations et avortements forcés avait provoqué un bel imbroglio diplomatique en se réfugiant à l’ambassade des Etats-Unis à Pékin après s'être évadé fin avril de sa résidence surveillée.
Le 5 mai, la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton avait terminé une visite en Chine, plombée par cette affaire, sur un accord obtenu après d'âpres négociations.
La Chine a accepté de donner «au plus vite» à Chen Guangcheng un passeport, avait annoncé le porte-parole de Hillary Clinton, promettant que Washington délivrerait «de manière prioritaire» des visas au militant et à sa famille.
Mais dix jours plus tard, Chen, qui a reçu une offre de bourse de l’Université de New York, n’a toujours pas de passeport.
Les Etats-Unis sont apparemment tout autant dans le flou que Chen puisque, a-t-il indiqué à l’AFP, leurs diplomates lui téléphonent une, voire deux fois, par jour pour demander s’il a reçu les sésames.
Résidence surveillée de facto
En attendant, l’avocat autodidacte aveugle se retrouve de facto en résidence surveillée à l’hôpital de Pékin où il est soigné, et dans une situation ressemblant fort à celle qui prévalait avant son évasion - interdiction de sortie et de visites - violences physiques en moins.
«Les responsables gouvernementaux ne sont pas venus (depuis une semaine). Je ne comprends pas pourquoi c’est retardé», a dit Chen en début de semaine par téléphone à l’AFP, «c’est peut-être pour sauver la face».
Pour Alice Ekman, chercheur à l’Institut français des relations internationales, «ne pas laisser Chen partir tout de suite est une façon pour la Chine de montrer qu’elle est encore maître du jeu, de regagner une partie de la face qu’elle avait perdue» lors de l'évasion du dissident.
Puisque «la crise a été désamorcée» par l’accord entre Pékin et Washington et qu'«il n’y a plus urgence côté chinois», la Chine donne l’impression qu’elle «n’est plus à quelques jours, voire quelques semaines près» et que Chen partira «quand elle le voudra», explique-t-elle.
La Chine «fait traîner et montre que c’est elle qui a le pouvoir», tout en adoptant «une attitude bureaucratique assez classique», relève aussi le sinologue Jean-Philippe Béja.
Chez Human Rights Watch, Nicholas Bequelin avance qu’on peut «spéculer sur le fait que le ministère de la Sécurité publique, qui contrôle la délivrance des passeports et des entrées-sorties du territoire, n’est pas favorable à la solution négociée entre le ministère des Affaires étrangères (chinois) et le Département d’Etat américain».
Toutefois, ajoute-t-il, la décision du départ de Chen «pourrait être hâtée par le calcul de Pékin que (son) maintien en Chine est plus coûteux politiquement que l’acceptation de son départ sous pression des Etats-Unis».
Mais à quelques mois du congrès du Parti communiste, les luttes sont exacerbées entre les partisans d’une répression systématique des dissidents et ceux de davantage d’ouverture, y compris vers l'étranger.
Les analystes n’imaginent pas que Pékin puisse finalement refuser de laisser partir Chen Guangcheng.
«Ils ont donné publiquement leur parole, ce serait très grave s’ils revenaient dessus», estime Jean-Philippe Béja. Et «les Américains ne peuvent pas se permettre un échec (...) en campagne électorale».
Hillary Clinton avait averti que Washington serait vigilant sur la situation du militant.
«La Chine n’a pas intérêt à ce que Chen reste sur son territoire», note aussi Alice Ekman, mais plutôt à ce qu’il tombe dans l’anonymat aux Etats-Unis, comme tant d’autres dissidents exilés.
Finalement, la «vraie question» sera surtout celle de son retour après ses études.
Pékin «ne laissera probablement pas revenir Chen, dont la simple image peut devenir le symbole fédérateur d’un mouvement» de contestation, estime-t-elle.
Les dissidents exilés n’ont jusqu’ici jamais pu rentrer en Chine.
(AFP)