Brice Pedroletti dans Le Monde a écrit:
Une vague de manifestations a conduit ces deux dernières semaines à des heurts violents entre la population locale et les forces paramilitaires au Tibet, provoquant lors de la dernière d'entre elles le 8 octobre quatre morts par balles et plusieurs dizaines de blessés parmi les manifestants. Les incidents ont eu lieu dans le comté de Driru (Biru en chinois), au nord-est de Lhassa, qui appartient à la préfecture de Nagchu, l'une des six que compte la Région autonome tibétaine. Deux jours plus tôt, le 6 octobre, la dispersion d'un rassemblement a fait 60 blessés par balle dont au moins deux seraient dans un état critique, selon l'ONG Free Tibet et les informations relayées par les divers médias et organisations tibétaines en exil. Les témoins cités par les ONG décrivent une mobilisation massive des forces de l'ordre pour mater l'insurrection à Driru.
Un embrasement d'une telle ampleur – plusieurs bourgs et villages de Driru sont concernés - est rare dans la Région autonome tibétaine, plus isolée, moins connectée et plus contrôlée que les zones tibétaines des provinces chinoises limitrophes, où les cycles de protestation se succèdent depuis 2008. Il reflète les résistances que rencontrent les autorités chinoises dans la mise en place d'un nouveau système de quadrillage administratif et policier de la Région autonome tibétaine annoncé en février dernier, et dénoncé comme "orwellien" par les ONG telles que Human Rights Watch qui a consacré un rapport à la question.
Plusieurs cas de brutalités policières ayant entraîné des blessés et des morts par balle ont été répertoriés dans les zones tibétaines des provinces chinoises, comme à Tawu dans le Sichuan en juillet dernier, ainsi qu'à Drango et Serthar dans la même province en janvier 2012. Plus d'une centaine d'immolations par le feu y ont également eut lieu, en majorité en 2012-2013.
CAMPAGNE PATRIOTIQUE CHINOISE
A Driru, le mécontentement de la population semble avoir été déclenché par une campagne patriotique obligeant les villageois à hisser un drapeau chinois sur les maisons à l'approche de la fête nationale du 1er octobre. Un homme de 68 ans, Dayang, avait déjà été arrêté le 3 septembre pour avoir crié des slogans appelant au retour du dalai-lama lors d'une cérémonie culturelle officielle où les participants devaient faire allégeance au drapeau chinois. Selon le service en tibétain de Radio Free Asia (RFA), la radio financée par le Congrès américain, il n'est réapparu que le 7 octobre sous bonne garde dans un hôpital de Driru avec des blessures graves découlant de tortures, et a prestement été condamné à deux ans et demi de détention.
Le 28 septembre, la campagne patriotique a rencontré une franche opposition dans le bourg de Mowa, où les habitants ont jeté dans une rivière les drapeaux qu'ils avaient reçu l'instruction d'arborer, entraînant des heurts avec les forces paramilitaires. Plusieurs dizaines de personnes ont alors été arrêtées et battues, selon Free Tibet. Les enfants dont les parents ont participé au boycott des drapeaux se seraient vu refuser l'accès aux écoles, ce qui a entraîné un boycott généralisé des classes. Près d'un millier de Tibétains auraient entrepris une grève de la faim devant les bâtiments du gouvernement local et auraient obtenu la libération d'une partie des personnes détenues plus tôt dans la journée.
Quant aux manifestants du 6 octobre, ils s'étaient rassemblés pour protester contre la détention depuis le 1er octobre de Dorje Dragtsel, un villageois décrit comme l'un des meneurs du mouvement de boycott des drapeaux chinois. La police s'était rendue dans son village afin d'y mener une perquisition, selon RFA.
L'ONG International Campaign for Tibet, proche du gouvernement tibétain en exil à Dharamsala (Inde), en a appelé le 10 octobre les Nations Unies à tenir compte des brutalités policières à Driru, lors de l'Examen Périodique Universel (EPU) qui doit passer en revue le 22 octobre les réalisations de la Chine en matière de droits de l'homme sous l'égide du Conseil des droits de l'homme de l'ONU à Genève. " La Chine a recouru à l'usage indiscriminé de la force, à la torture, et au déni de la liberté d'expression. Les gouvernements qui participent à l'Examen Périodique Universel [de la Chine] doivent faire en sorte que les délégués chinois soient sommés de répondre à ces violations des droits de l'homme de base " a déclaré dans un communiqué Todd Stein, le directeur des relations avec les gouvernements d'ICT.