par laoshi » 06 Oct 2015, 07:07
Le prix Nobel de médecine honore, pour la première fois, une chercheuse chinoise, dont les travaux portent sur le traitement du paludisme par une plante médicinale traditionnelle. Après le prix Nobel de la paix, décerné à Liu Xiaobo, condamné en décembre 2009 à 11 ans de prison pour avoir réclamé la démocratisation du régime, après le prix Nobel de littérature, décerné à MO Yan, "deux Nobel chinois aux destins opposés", ce sont donc les scientifiques chinois qui sont reconnus par le prestigieux jury du Nobel mais aussi la médecine traditionnelle, qui constitue, en Chine, une médecine à part entière.

Il va sans dire qu'en chinois, celle que les médias français appellent "Youyou Tu" s'appelle en réalité "Tu Youyou" 屠呦呦 [tú yōuyōu], puisque le nom précède toujours le prénom en chinois !
Le Monde a écrit: 2 000 herbes médicinales passées au crible Dans les années 1960, la perspective d’une éradication de cette infection s’éloignait. La professeure Youyou Tu, qui a fait toute sa carrière à l’Académie de médecine traditionnelle chinoise, passe au crible quelque 2 000 herbes médicinales utilisées en Chine contre les formes de paludisme chez l’animal. Elle s’intéresse particulièrement à une armoise, Artemisia annua. Les résultats obtenus sont assez fluctuants, ce qui la conduit à travailler à isoler et à purifier le principe actif de cette herbe.
L’artémisinine est identifiée en 1972, mais une controverse se développe sur la paternité de la découverte. Une péripétie qui explique qu’en Chine Youyou Tu n’ait pas été récompensée par une distinction prestigieuse, ni élue à l’une des principales académies scientifiques, alors qu’elle a reçu le prix Albert-Lasker en 2011. Première scientifique chinoise devenue lauréate du prix Nobel en travaillant dans son pays, elle a en tout cas démontré la forte efficacité de l’artémisinine contre le plasmodium, aussi bien chez l’animal que chez l’homme. Depuis, la synthèse de ce principe actif a été effectuée. Une étape importante compte tenu des limites de la production d’Artemisia annua, essentiellement chinoise.
« Issue de la médecine traditionnelle chinoise, l’artémisinine et ses dérivés sont arrivés à point nommé face à la situation d’impasse thérapeutique apparue à partir des années 1970-1980, explique le professeur Pierre-Marie Girard, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Saint-Antoine (Paris). Les combinaisons à base d’artémisinine ont permis de contourner les résistances aux traitements antipaludéens. De plus, l’artémisinine a supplanté la quinine comme traitement préférentiel des formes sévères. »
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par laoshi » 06 Oct 2015, 09:23
J'ai voulu en savoir plus sur Tu Youyou : comme souvent, la presse anglophone est plus bavarde que la presse française ; on apprend ainsi dans The Guardian que les recherches de Mme Tu ont été décrétées par Mao en personne pour des raisons de stratégie et de politique internationale. Le projet, top-secret, était destiné, d'abord et avant tout, à préserver de la malaria les soldats communistes du Nord-Vietnam, soutenus par la Chine, contre les Américains (la guerre du Vietnam a duré de 1955 à 1975). Résultat non négligeable, la découverte permettait aussi de faire reconnaître la Chine une bienfaitrice de l'Afrique, en proie à cette redoutable maladie... J'ai traduit pour vous l'article du Guardian : The Guardian a écrit:Comment un défi lancé par Mao conduit une pionnière de la malaria au Nobel Chargée de trouver un remède contre la malaria en 1969, la première lauréate chinoise du prix Nobel de médecine s’est tournée vers la nature et la médecine traditionnelle.
Photographe : Jin Liwang/AP C’est le 21 janvier 1969 que Mao lança à une chercheuse de 39 ans originaire du Zhejiang le défi de sa vie.
La Chine était alors en pleine révolution culturelle, les universités fermaient leurs portes tandis que les gardes rouges entraient en insurrection. Au cœur de cette folie, Tu Youyou, qui était alors chercheur à l’Académie de médecine traditionnelle de Pékin, était chargée d’une mission redoutable : trouver un remède à la malaria.
« Cette tâche était la priorité absolue, se rappellera ensuite la scientifique à la modestie légendaire , aussi étais-je prête à y sacrifier ma vie »,.
Lundi dernier, près d’un demi-siècle après le début de la quête qui allait changer sa vie, Mme Tu a été récompensée par le prix Nobel pour son rôle dans la mise au point d’un médicament qui a permis de faire baisser le taux de mortalité en Asie et en Afrique, en sauvant des millions de vies humaines.
Malgré ses résultats, Mme Tu, qui a maintenant 84 ans, demeure une personnalité très peu connue, y compris en Chine où elle a sombré dans l’obscurité en dépit de l’importance de sa découverte.
Au moment où la nouvelle de sa victoire atteignait son pays natal, dans la nuit de lundi, un de ses fans a écrit sur Weibo : « enfin reconnue ! »
Mme Tu est née à Ningbo, une cité portuaire à 140 miles au sud de Shanghai, en 1930. Elle doit son prénom à un vers du Livre des Odes, un recueil de poésies anciennes chinoises, dont on croit qu’il a été compilé par Confucius.
Tu au travail avec le professeur Lou Zhicen dans les années 50. Photographe : AP Tu Youyou a choisi la médecine et non la philosophie quand elle a quitté le Zhejiang et rejoint la capitale chinoise pour poursuivre ses études, en 1951. Elle est entrée à la faculté de médecine et en est sortie diplômée du département de pharmacologie quatre ans plus tard. Elle s’est ensuite orientée vers l’Académie de médecine traditionnelle chinoise. Elle a épousé Li Tingzhao, un ancien condisciple devenu ouvrier d’usine dont elle a eu deux filles, et s’est installée à Pékin.
C’est en 1969 que sa vie changea du tout au tout lorsqu’elle fut recrutée pour un projet de recherche si secret qu’il était seulement connu sous le nom de « 523 ». Cette unité de recherche avait été créée deux ans plus tôt – le 23 mars 1967 -, sur les ordres du président Mao, qui espérait trouver un moyen d’arrêter la propagation de la malaria, une maladie décimant les troupes nord-vietnamiennes qui se battaient dans la jungle au sud-ouest de la Chine. Mme Tu reçut la mission de chercher un nouveau traitement contre la malaria dans la nature et elle fut envoyée pour ce faire à Hainan, une île tropicale au large des côtes du sud de la Chine, en proie à cette calamité.
Là, dans la touffeur des forêts tropicales, Mme Tu a pu voir de près les ravages que faisait cette maladie véhiculée par les moustiques : « Jai vu beaucoup d’enfants aux derniers stades de la malaria », déclara-t-elle au New Scientist en 2011, « ces enfants mouraient très rapidement ». Mais c’est dans les manuscrits de la Chine ancienne que Mme Tu découvrit la clef de la guérison de la maladie. De retour à Pékin, Mme Tu et son équipe épluchèrent les livres de médecine traditionnelle à la recherche des substances qui pourraient les aider à combattre la malaria. C’est dans un texte pluriséculaire, le Manuel de la pratique clinique et des remèdes d’urgence de Ge Hong, de la dynastie des Jin de l’Est, qu’ils trouvèrent la mention d’une armoise (Artémisia annua) – en chinois qinhao -, employée dans le traitement de la malaria. Ils testèrent la plante en laboratoire. Les premiers résultats furent mitigés mais, à force de persévérance, ils isolèrent le principe actif qui s’attaque aux parasites causant la maladie inoculés dans le sang, principe qui devait ensuite être connu sous le nom d’artemisinine.
Mais Mme Tu ne se contenta pas d’identifier le remède, qui jusqu’alors n’avait été testé que sur les animaux, elle l’essaya sur elle : « en tant que chef de ce groupe de recherche, dit-elle, j’en avais le devoir ». Le traitement était non seulement efficace mais encore il était sans danger pour les patients. Avec les insecticides pour traiter les moustiquaires, l’artemisinine devint un instrument crucial dans la lutte contre la malaria en Afrique et en Asie. Selon les experts, cette découverte a sauvé des millions de vies humaines.
La reconnaissance est venue tardivement dans la vie de Mme Tu, une femme remarquablement discrète, qui évoque ainsi le moment de sa découverte : « bien sûr, ce fut un moment vraiment heureux dans ma carrière de chercheur. Ce n’est qu’en 2011, lorsque Mme Tu reçut le prestigieux prix de médecine clinique Lasker DeBackey, que les autorités locales du Parti cherchèrent à localiser et à préserver sa maison natale. Interrogée sur ce qu’elle pensait de cette récompense, elle répondit simplement : « je suis trop vieille pour la porter ». Répondant au magazine Global People en 2007, elle insista sur le fait qu’elle n’avait pas donné sa vie à la recherche pour faire les gros titres de la presse : « je ne cherche pas la renommée, dit-elle. De notre temps, aucun essai n’était publié sous le nom de son auteur ». Faisant visiter sa modeste maison à l’est de Pékin aux journalistes, la vieille dame leur montra deux placards et des tiroirs bourrés de compte rendus de laboratoires et de sa correspondance relatant sa quête d’un remède à la malaria : « je n’ai pas gardé tout cela pour la gloire, leur dit-elle, c’est simplement une habitude scientifique ».
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