Le Point a écrit:Affaire Bo Xilai : le procès Gu Kailai annonce-t-il un printemps chinois ?
Les dirigeants actuels chinois ont écarté la ligne néo-maoïste incarnée par le prince de Chongqing. Un prélude à l'ouverture politique ?
Le choix du moment compte beaucoup dans le fonctionnement du Parti communiste chinois. En mars dernier à Pékin, Bo Xilai, numéro un du PC de la mégapole de Chongqing, participe, comme ses fonctions l'y obligent, à la session annuelle de l'Assemblée nationale populaire. Il est limogé le 15, à la fin de cette importante réunion. On ne lui laisse pas la possibilité d'aller retrouver des soutiens dans sa ville. Il est depuis - dit-on - en résidence surveillée, entre les mains de la commission de discipline du Parti.
De son côté, Gu Kailai, l'épouse de Bo Xilai, est accusée d'avoir empoisonné Neil Heywood, un ami britannique qui aurait cherché à lui soutirer de l'argent. L'homme d'affaires serait allé jusqu'à menacer le fils Bo après l'avoir aidé à faire des études aux États-Unis. Gu Kailai est jugée le 9 août. La sentence est annoncée une dizaine de jours plus tard, le 20 août. Entre ces deux dates, les dirigeants chinois tiennent leur traditionnel séminaire estival à Beidaihe, station balnéaire des bords de la mer Jaune. Belle occasion pour le président Hu Jintao et le Premier ministre Wen Jiabao de vérifier que personne dans la haute direction communiste n'ose contester le verdict qui frappe Gu Kailai.
Volonté de transparence
Telle qu'elle est présentée, la culpabilité de cette ancienne avocate internationale n'est guère contestable. D'ailleurs, elle aurait avoué. Et au moment du verdict, elle déclare : "Je trouve la sentence juste, elle montre que notre justice respecte totalement et sérieusement la loi."
Côté scène, le pouvoir a montré que la justice s'attaque aux puissants lorsqu'ils commettent des fautes graves. Dès lors que Wang Lijun, l'ancien adjoint pour la police de Chongqing, était allé en février faire des révélations dans un consulat américain, il n'était plus question d'enterrer les "graves déficiences" de gestion de cette municipalité. Au contraire, l'entourage du président Hu Jintao s'est appliqué à donner une impression de transparence.
Mais côté coulisses, rien n'est simple. L'opinion chinoise a de tels doutes sur la régularité des procès que nombre d'internautes se demandent quel arrangement dissimule la condamnation de Gu Kailai. Certains vont même jusqu'à estimer que c'est un sosie qui a comparu devant le tribunal ! Chacun sait en Chine que derrière tout tribunal siège un "comité du jugement" chargé de faire appliquer la loi selon les critères du Parti. Tous les blogueurs s'intéressant à l'affaire constatent en tout cas les sommes considérables que Neil Heywood manipulait dans l'entourage de Bo Xilai. Les soupçons de corruption et de sortie illégale d'argent vont bon train et s'étendent à l'ensemble de la classe politique. Le "tous pourris" n'est pas loin.
L'autre bataille
Ce n'est guère la préoccupation principale des dirigeants chinois. Car un autre combat vient de se jouer à l'intérieur du Parti communiste. Objectif : maintenir la cohésion sur la ligne des réformes suivie par Hu Jintao. Et donc écarter la ligne de Bo Xilai, empreinte de populisme et fortement teintée de références au maoïsme, une stratégie qui lui avait permis d'entrer cet automne au Comité permanent du Parti et d'être très populaire dans sa ville de Chongqing et au-delà.
Inacceptable pour l'entourage de Hu Jintao, chef de file des "modernes". Il n'a sans doute pas été si facile de convaincre les nombreux cadres du Parti devenus des admirateurs du modèle de Chongqing. Ni ceux qui trouvaient expéditif le limogeage de Bo Xilai. Pour le discréditer, des éléments montrant qu'il avait entravé l'enquête au lendemain de la mort de Neil Heywood ont circulé. Pire, il a été avancé que Neil Heywood aurait appartenu aux services secrets anglais : la famille Bo aurait donc fréquenté un espion ! Une accusation très grave.
Le 18e congrès du Parti communiste se déroulera cet automne. Après dix années à la direction du pays, Hu Jintao et Wen Jiabao se retirent, assurés que leur influence se maintiendra : aucun partisan de Bo Xilai ne sera parmi les neuf membres du Comité permanent du Bureau politique, véritable coeur du pouvoir en Chine. Une majorité des prochains hauts dirigeants devrait être en accord avec la politique menée par le président et le Premier ministre sortants. Et même les conservateurs modérés ou les simples opposants au style de pouvoir de Hu Jintao ne sont plus en position de force.
Vers une ouverture politique
La voie semble libre pour avancer vers de nouvelles réformes. Wen Jiabao était le seul depuis quelque temps à déclarer que les changements économiques de la Chine devaient être complétés par des avancées politiques. Or, voilà que Zhou Yongkang, qui était un des soutiens de Bo Xilai au Comité permanent, appelle le 20 août lors d'une tournée d'inspection des tribunaux de Tianjin "à la mise en oeuvre totale du principe de l'État de droit et à une meilleure répartition des pouvoirs de justice et de police". Des termes qui sous-entendraient une sérieuse évolution du régime.
En 1980, le procès de Jiang Qing, la veuve de Mao à la tête de la bande des Quatre, avait donné le signal d'un virage économique. Deng Xiaoping, l'homme fort de l'après-maoïsme, avait lancé la "modernisation et l'ouverture" qui, trente ans plus tard, ont fait de la Chine la deuxième économie au monde. Toute proportion gardée, le procès de Gu Kailai marque aussi un tournant. L'enjeu des prochaines années est qu'une nouvelle génération de dirigeants chinois ait l'audace d'aller vers une démocratisation qui comporterait un développement des libertés et une séparation des pouvoirs. Mais sans mettre en cause le monopole du Parti. Une partie serrée.