Connaissez-vous Lei Feng ?

Connaissez-vous Lei Feng ?

Messagepar laoshi » 05 Mars 2012, 11:32

Connaissez-vous Lei Feng ? Personnellement, j'ai appris son existence dans Les Cygnes sauvages, où Jung Chang raconte comment les jeunes Chinois furent endoctrinés à vouer un culte à ce saint maoïste à partir de mars 1963 de telle sorte qu'ils célèbrent, à travers lui, celui du dieu vivant Mao. J'appends, par un article de Xinhua, que ce culte revient au premier plan dans la Chine d'aujourd'hui. Je vous en dirai plus tout à l'heure... j'ai faim !
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Re: Connaissez-vous Lei Feng ?

Messagepar mandarine » 06 Mars 2012, 11:15

ça me rappelle mes années de scoutisme !mais je n'étais pas dans la jeunesse communiste

"Emprunter le métro de manière civilisée, faire la queue. Le prix à payer est cher lorsque nous jetons les détritus n'importe où", scande en rimes ce jeune homme de 23 ans avec ses compagnons qui agitent des slogans, tels que "Prêt à aider autrui à tout moment", ou "Faisons preuve de courtoisie en public".

et ça va loin !je m'imagine dans les bras d'un bel étudiant chinois dans le métro de shanghai ; j'ai vraiment raté ça !
plaisanterie mise à part , il faudrait les inviter en France , dans le métro parisien car voilà une bonne idée de rapprochement des peuples !
Selon le Comité municipal de Shanghai de la Ligue de la jeunesse communiste chinoise, sponsor de cette activité, un millier d'étudiants universitaires de Shanghai ont, à leur manière, partagé lundi avec le public leur interprétation de l'esprit de Lei Feng.

En plus d'un rap, ils ont pris des poses pour imiter Lei Feng, serré des étrangers dans leurs bras et prôné les bonnes manières dans les rames du métro.
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
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Lei Feng vu par Jung Chang dans Les Cygnes sauvages

Messagepar laoshi » 06 Mars 2012, 11:25

Lei Feng, cité comme « ouvrier modèle » dans une aciérie de Mandchourie, soldat de l'armée rouge, serait mort à l'âge de vingt-deux ans après avoir « accompli quantité de bonnes actions, volant au secours des gens âgés, des malades et des pauvres ». Le jeune communiste, dont la mère se serait suicidée après avoir été violée par un seigneur de la guerre alors qu'il n'avait que sept ans, incarne à lui seul le contraste entre les abominations d’une Chine dominée par le Guomindang et le bonheur de vivre « sous le soleil de Mao ». Victime d'un accident de voiture en 1962, il n’hésitait pas à donner ses rations alimentaires à ses camarades d’hôpital ; à sa mort, il laissait non seulement ses économies à des organisations caritatives mais surtout un journal édifiant, émaillé d'innombrables citations de Mao. Ses actes de générosité et d'abnégation, « miraculeusement immortalisés par un photographe officiel », ont servi d'exemples à des générations d'écoliers, à l'image de Jung Chang. On peut voir ces photos dans le Musée qui lui est consacré. Chaque année, le 5 mars, les Chinois célèbrent sa mémoire en s'efforçant d'accomplir, comme lui, leur B.A. Je suppose que la date du 5 mars correspond à la date anniversaire du discours dans lequel Mao demandait au peuple chinois et, en particulier, aux jeunes gens, de « mettre à profit la leçon de Lei Feng. » C’est en effet en mars 1963 que Mao, mis sur la touche après le Grand Bond en avant, amorça son retour sur la scène politique en utilisant Lei Feng pour construire son propre culte.

Jung Chang au chapitre 14 des Cygnes sauvagesCygnes sauvages a écrit:Lei Feng ne tarda pas à dominer mon existence. Tous les après-midi, nous quittions l'école pour aller « faire de bonnes actions comme Feng ». Nous nous rendions à la gare, dans l’intention d’aider les vieilles dames à porter leurs bagages, à l’instar de notre héros. Nous étions quelquefois obligés de leur arracher littéralement leurs paquets : certaines paysannes nous prenaient pour des voleurs. Les jours de pluie, je me posais ans la rue avec un parapluie, dans l’espoir qu’une femme âgée viendrait à passer et me donnerait ainsi l’occasion de l’escorter jusque chez elle, comme le faisait Lei Feng. Quand je voyais quelqu’un transporter des seaux d’eau suspendus à une perche en équilibre sur ses épaules – certains foyers n’ayant toujours pas l’eau courante -, j’essayais en vain de m’armer de suffisamment de courage pour lui proposer mon aide, sans savoir si je serais en mesure de supporter une telle charge.
Durant l’année 1964, le culte de Maos supplanta peu à peu ces bonnes actions dignes des boys scouts. Nos professeurs nous expliquèrent que la force de Lei Feng résidait dans « son amour et son dévouement infinis pour le président Mao ». Avant d’entreprendre quoi que ce soit, Lei réfléchissait toujours aux paroles de notre leader. On publia son journal, qui devint notre code éthique. A chaque page ou presque figurait une promesse du style : « J’étudierai les écrits du président Mao, j’obéirai aux préceptes du président Mao, je suivrai les instructions du président Mao, je serai un bon et loyal serviteur du président Mao. » Nous jurions d’imiter Lei Feng, et nous nous déclarions prêts à « escalader des montagnes de couteaux et à descende dans des mers de flammes », à voir nos corps réduits en poudre et nos os en cendres », à nous « soumettre inconditionnellement à l’autorité de notre Grand Leader ». Le culte de Mao et celui de Lei Feng étaient les deux facettes de la même médaille : côté pile, le culte de la personnalité, côté face, son corollaire, le culte de l’impersonnalité
.

Le culte du bon samaritain maoïste, qui pourrait paraître généreux, va en effet de pair avec une terrible logique d’exclusion ! Une éducation à la cruauté pour « les ennemis de classe » accompagne ces leçons de charité révolutionnaire :

Jung Chang au chapitre 14 des Cygnes sauvages a écrit: Je lus mon premier article rédigé par Mao en 1964, à une époque où deux de ses slogans dominaient nos vies : « Servez le peuple », et « N’oubliez jamais la lutte des classes ». Ces deux devises complémentaires étaient illustrées par un poème de Lei Feng intitulé Les Quatre saisons, que nous apprîmes par cœur :

    A l’instar du printemps, je traite mes camarades avec douceur
    A l’instar de l’été, je suis plein d’ardeur dans mon travail révolutionnaire
    Je chasse tout individualisme comme la tempête d’automne balaie les feuilles mortes,
    Envers les ennemis de classe, je me montre aussi impitoyable et cruel que l’hiver
    .
Conformément à ces préceptes, nos enseignants nous incitaient à choisir avec soin les bénéficiaires de nos bonnes actions. Nous ne devions surtout pas aider les « ennemis de classe ». Seulement, je ne comprenais pas du tout de qui il s’agissait. Quand je posais la question, mes professeurs et mes parents ne se montraient guère disposés à me donner des détails. On me répondait souvent : « Ils sont comme les méchants dans les films. » J’avais beau regarder autour de moi, je ne voyais personne qui ressemblât de près ni de loin aux personnages mauvais, très caricaturaux, du cinéma. Cela me posait un grave problème. J’hésitais désormais à m’emparer des ballots des vieilles dames. Je pouvais difficilement leur demander : « Faites-vous partie des ennemis de classe ? »

En butte au cynisme d’un jeune fainéant qui exploite sans vergogne les émules de Lei Feng, l’adolescente ne sait plus à quel saint se vouer : sachant « qu’il travaillait en usine, et [que] les ouvriers constituaient le haut du panier, la classe dirigeante de la révolution », elle croit devoir réprimer en elle le dégoût qu’il lui inspire. A l’inverse, apprenant que certains « ennemis de classe » étaient condamnés à des travaux pénibles, elle n’ose plus leur apporter le secours que lui inspire leur condition misérable :

Jung Chang au chapitre 14 des Cygnes sauvages a écrit:Une de mes camarades de classe me déclara un jour très sérieusement que la plupart des charretiers étaient des ennemis de classe astreints à des travaux forcés. J’avais donc tort de vouloir les aider, m’assura-t-elle. J’interrogeai un de mes professeurs. Cette dernière, pourtant très sûre d’elle d’ordinaire, parut perplexe et me répondit qu’elle n’était pas certaine de la réponse à me donner, ce qui me laissa pantoise. En réalité, on avait effectivement imposé le métier de charretier à des gens accusés d’avoir eu des liens avec le Kuo-min-tang, ainsi qu’aux victimes des purges politiques. Mon professeur ne voulait évidemment pas me le dire ; elle me pria cependant de ne plus leur prêter main-forte. A partir de ce moment-là, chaque fois que je tombais sur une charrette dans la rue, je détournais le regard pour ne pas voir la forme humaine pliée sous la charge, et déguerpissais au plus vite, le cœur gros.

Ne plus voir ce que l’on a sous les yeux, ne plus entendre ce qui vous vrille les oreilles, ne pas dire ce qui vous brûle la langue, comment accepter une telle aliénation ?
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Re: Connaissez-vous Lei Feng ?

Messagepar mandarine » 06 Mars 2012, 19:42

Quand je disais que ces actions me rappelaient mes années Louveteau !

Jung Chang au chapitre 14 :

Durant l’année 1964, le culte de Maos supplanta peu à peu ces bonnes actions dignes des boys scouts.
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Re: Connaissez-vous Lei Feng ?

Messagepar mandarine » 06 Mars 2012, 19:47

merci pour ce document , je ne connaissais pas ce personnage .Dommage qu'il n'ait pas croisé Soeur Emmanuelle ou l'Abbé Pierre.....
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un détournement plaisant de Lei Feng

Messagepar laoshi » 07 Mars 2012, 18:31

Vous trouverez, dans le dixième épisode de Sifflet de Pigeon, un détourement plaisant du modèle édifiant de Lei Feng.

Xioaju et Shengzi, qui pratiquent la vente à la sauvette et en ont assez de fuir la police, utilisent le brave Lei Feng pour protéger leur petite entreprise. Xiaoju, qui est la tête pensante du tandem, envoie Shengzi voler deux blouses marquées du logo d'une boutique ayant pignon sur rue. Elle installe ensuite sa cuisine roulante en toute tranquillité sur le trottoir d'un boulevard très fréquenté, à quelques pas d'un arrêt de bus. Quand arrive la brigade de sécurité, elle joue l'émule naïve de Lei Feng faisant sa B.A. quotidienne : la boutique, dit-elle, a eu l'idée, par ce froid glacial, d'apporter du réconfort aux travailleurs sur place au lieu de les contraindre à se déplacer pour acheter ses délicieuses boulettes de viande toutes chaudes ; et aujourd'hui, c'est à leur tour à Shengzi et à elle de "servir le peuple" mais, si par hasard il était interdit de vendre dans la rue, ils rentreraient immédiatement, bien sûr ! Les policiers, devant ces braves jeunes gens, laissent se poursuivre la vente non sans avoir, au passage, bénéficié d'une ration de boulettes malgré leurs vertueuses protestations d'honnêteté et d'incorruptibilité. Je n'ai malheureusement pas pu enregistrer ce passage comme je le fais d'habitude pour illustrer mon propos mais vous pouvez voir vers la minute 11 de cet épisode.
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Le culte de Lei Feng vu par Ma Jian dans Nouilles Chinoises

Messagepar laoshi » 28 Avr 2012, 08:21

Ma Jian montre dans Nouilles chinoises comment le culte de Lei Feng est relayé par les romanciers professionnels chinois. Je vous renvoie à la rubrique des romans pour plus de détails.
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"Se mettre à l'école de Lei Feng ?"

Messagepar laoshi » 30 Mai 2012, 15:28

Comme les romanciers, les scénaristes des séries télévisées invitent la population chinoise à "se mettre à l'école de Lei Feng".

Paradoxalement, cette icône du désintéressement communiste apparaît dans Nounou du premier mois, le feuilleton que diffuse actuellement CCTV, comme argument commercial au service du capitalisme moderne. La filiale d’une entreprise américaine fabriquant des médicaments anti-rejets s’empare en effet de son image pour faire sa publicité : elle soigne gratuitement une jeune femme qui a eu une greffe du foie après un cancer et qui a voulu quand même mener à bien une grossesse et, bien sûr, elle le fait savoir ! Magazines et journaux télévisés suivent l’affaire pas-à-pas. La naissance de l’enfant est un événement dont le retentissement médiatique assurera à la société une position dominante sur le marché. A l’autre bout de la chaîne, une jeune nounou du premier mois s’occupera gratuitement de la mère et de l’enfant pendant les semaines qui suivent la césarienne. La société civile n’est pas en reste : employés de la société pharmaceutique et internautes anonymes se cotisent pour rémunérer la nounou méritante….

On peut se demander à quoi rime, pour les télespectateurs, le culte de Lei Feng dans un monde où le slogan "servir le peuple", écrit en gros caractères sur tous les bâtiments publics, n'est qu'un mot creux, l'alibi du cynisme, de l'avidité sans frein et de la corruption.
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2012, le cinquantenaire

Messagepar laoshi » 02 Juin 2012, 07:31

Je n'avais pas prêté attention à un détail, c'est que 2012 est l'année du cinquantenaire de la mort de Lei Feng, mort à 22 ans, écrasé par un "poteau télégraphique percuté par le camion dont il guidait la marche arrière". C'est peut-être pour cela que le culte de Lei Feng apparaît si souvent sur les écrans chinois cette année...
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Re: Connaissez-vous Lei Feng ?

Messagepar mandarine » 03 Juin 2012, 13:28

Voilà donc enfin une commémoration autorisée par les autorités chinoises ( car non dérangeante et ça amuse le peuple )
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