Dans une interview accordée par téléphone à CNN le 3 mai, au lendemain de son admission à l'hôpital, Chen Guangcheng dit clairement avoir subi d'intenses pressions de la part des Etats-Unis pour quitter l'ambassade ; il affirme qu'il se sent non seulement trompé mais abandonné par le personnel diplomatique qui semble avoir été plus soucieux de se débarrasser de lui que de veiller à sa sécurité. Il explique aussi pourquoi il a changé d'a vis et a demandé à quitter la Chine alors qu'il aurait souhaité y rester. Je l'ai traduite pour vous : Les autorités prétendaient que vous sembliez optimiste en quittant l'ambassade des Etats-Unis. Pourquoi ce revirement ?
A ce moment-là, j'avais très peu d'informations, je n'étais pas autorisé à appeler mes amis de l'intérieur de l'ambassade, j'ignorais donc à peu près tout de ce qui se passait à l'extérieur.
Le personnel diplomatique n'a eu de cesse de me persuader de quitter l'ambassade en me promettant que quelqu'un resterait à mes côtés à l'hôpital mais cette après-midi, quand je me suis retrouvé dans ma chambre, j'ai constaté qu'ils étaient tous partis.
Etes-vous déçu par le gouvernement américain ?
Très déçu. Je crois qu'en l'occurrence les autorités américaines ne protègent pas les droits de l'homme.
Que diriez-vous au président Obama si vous pouviez lui parler ?
Je lui demanderais de faire tout son possible pour nous faire sortir d'ici, ma famille et moi !
Que vous a raconté votre femme sur ce qui s'est passé après votre évasion ?
Ma femme a été ligotée sur une chaise pendant deux jours par la police. Ensuite les policiers ont apporté des bâtons à la maison et l'ont menacée de la battre à mort. Ils se sont installés à la maison, mangeant à notre table et utilisant nos affaires. Notre maison grouille de forces de sécurité, sur le toit comme dans la cour. Ils ont installé 7 caméras de surveillance à l'intérieur de la maison et des clôtures électriques tout autour de la cour.
De quoi les autorités l'ont-elles menacée pour vous contraindre à quitter l'ambassade des Etats-Unis ?
On m’a dit qu'elle serait renvoyée au Shandong et qu'elle y serait battue.
Il n'y a donc pas d'avenir pour vous en Chine ?
Je le crains.
Vous n'avez appris tout cela qu'après avoir quitté l'ambassade des Etats Unis ?
Oui, pour l’essentiel.
Est-ce que votre femme et vos enfants sont à vos côtés ?
Oui. Je viens juste de retrouver l’usage de mon téléphone portable. Pendant plusieurs jours, je n’ai pu ni donner ni recevoir aucun appel. En ce moment, je peux recevoir les appels mais je ne peux pas appeler moi-même.
Est-il vrai que l'ambassade des Etats-Unis a refusé de prendre vos appels téléphoniques ?
Oui. J'ai appelé deux membres de l'ambassade à plusieurs reprises, en vain.
Que souhaiteriez-vous dire au gouvernement américain ?
Je voudrais qu’il mette en œuvre des actions concrètes pour protéger les droits de l’homme. Nous sommes en danger. Si vous pouvez joindre Hillary Clinton, j’espère qu’elle pourra nous aider, ma famille et moi, à quitter la Chine.
Aussi vite que possible
Oui, aussi vite que possible.
Le monde entier a les yeux braqués sur vous. Quel sentiment est-ce que cela vous inspire ?
Beaucoup de reconnaissance. Je crois que les gens se sentent sincèrement concernés et qu’ils ne font pas semblant pour la galerie….
Avez-vous l'impression que le personnel de l'ambassade des Etats-Unis vous a menti ?
C'est un peu ça !
Qu'est-ce que cette épreuve vous a appris ?
Je constate que chacun poursuit avant tout ses propres intérêts [au lieu de se battre pour les valeurs qu'il proclame] au risque de perdre sa crédibilité.
Vous êtes tous les deux encore debout à près de 3 h du matin, est-ce parce que vous êtes angoissés
Oui, nous sommes très angoissés. J’ai dit à l’ambassade que je souhaiterais parler au révérend Smith [Chris Smith, un membre du Congrès] mais ils n’ont rien fait pour me permettre de le joindre. Je me sens un peu perplexe….
Questions à Yuan Weijing, la femme de Chen Guangcheng :
Est-ce que votre situation a empiré après l’évasion de votre mari ?
Oui.
Où est sa mère ?
Elle est rentrée à la maison [après avoir été mise en garde à vue pendant quelques jours] et les forces de sécurité s'y sont installées. Jusqu'alors, il s'agissait de civils recrutés localement maintenant, il s'agit de policiers. Ils nous ont menacés de nous briser. Ils sont en train de creuser à l'extérieur de notre cour. Je ne sais ce qu'ils sont en train d'installer.
Que s'est-il passé quand ils vous ont mise en prison après l’évasion de votre mari ?
Ils voulaient savoir comment exactement il s'était échappé : "Chen est aveugle, disaient-ils, et nous avons recruté un si grand nombre de gardes ! Comment a-t-il pu nous échapper et que compte-t-il faire après son évasion ?"
Après l'évasion, le gouvernement a essayé de me persuader de rester en Chine mais ils me tenaient à leur merci. Si nous revenions à la maison, ils nous enfermeraient dans une cage de fer.
Que diriez-vous à Hillary Clinton si vous pouviez lui parler ?
Je sais bien que les relations sino-américaines sont très complexes et que beaucoup de questions entrent en jeu. Mais nos vies sont réellement en danger. Si nous restions ici ou si nous retournions dans la province du Shandong, nous serions réellement tenus en laisse. J'espère que le gouvernement américain prendra en compte les droits de l'homme pour nous protéger et nous faire sortir de Chine.
Vous êtes-vous préparés à ne pas pouvoir revenir ?
Nous y sommes prêts parce que nous sommes en grand danger ici. On nous a fait beaucoup de promesses mais nous ne pouvons même pas utiliser notre téléphone librement, et je n'ai même pas le droit de sortir de l'hôpital. Cela prouve bien que nos droits ne sont pas protégés...
Est-ce que vous êtes sous surveillance à l'hôpital ?
Oui, ils ont des forces de sécurité sur place.
Est-ce que le personnel de l'ambassade a quitté l'hôpital ?
Oui, ils avaient promis de rester sur place aux côtés de Guangcheng et cela nous aurait donné un sentiment de sécurité. Mais nous n'avons vu personne depuis qu'il est hospitalisé. J'ai moi-même persuadé Guangcheng de se faire soigner à l’hôpital mais je ne savais pas que le personnel de l'ambassade avait fait pression sur lui pour qu'il quitte les lieux.