Même si la situation est loin d’être rose pour les gays et les lesbiennes chinois, le « mariage » de deux jeunes homosexuels au mois d’août à Shenzhen (le mariage n'a pas été enregistré par les services de l'état civil mais la cérémonie, organisée dans un hôtel, était publique) confirme les progrès de la Chine en matière de liberté sexuelle.
Si l'on en croit un article publié dans China Daily le 24/02/2010, la situation des homosexuels chinois est en effet en train de changer.
Le journal a interrogé Ba Li, un homme de 72 ans, dont la vie témoigne du chemin parcouru en une trentaine d'années.
Dénoncé à la police par un autre homosexuel en 77, cet ancien professeur a alors non seulement immédiatement perdu son travail mais il a encore été condamné à trois ans de camp de rééducation pour "sodomie", un crime jugé "impardonnable".
Après avoir purgé sa peine, il est à nouveau interné en 82 puis en 84, pour deux ans à chaque fois, et subit de telles brimades de la part de ses codétenus qu'il songe au suicide. Pourtant, dès sa sortie de prison, en 86, il commence à voir un changement dans les médias, qui n'hésitent plus à employer le mot "homosexuel", jusqu'alors tabou, au lieu des infamants quolibets alors en vigueur dans la rue (le mot "lapin" étant le moins injurieux de tous).
Bénévole dans une association de prévention du SIDA, Ba Li note aussi un changement certain dans l'attitude des autorités : à sa sortie de prison, en 86, la police avait encore coutume de saisir les tracts de l'association censés "pornographiques" mais, dès le début des années 90, le gouvernement commence à se montrer plus tolérant. En 97, il dépénalise la sodomie ; en 2000, avant même que l'Organisation Mondiale de la Santé ne retire l'homosexualité de la liste des maladies mentales (ce qu'elle ne fera qu'en 2001), Li Yinhe, sexologue renommée, membre de l'Institut de sociologie de l'Académie chinoise des sciences humaines, propose au Congrès du peuple la légalisation du mariage homosexuel ! La proposition, qui ne sera discutée qu'en 2003, a été finalement rejetée mais elle témoigne d'une incontestable prise de conscience des autorités (rappelons que le mariage homosexuel n'existe pas non plus en France et que les débats sur le PACS de 99 ont été particulièrement houleux).
Ces changements ne doivent pas faire oublier les discriminations auxquelles sont encore en butte les homosexuels. Liu Dalin, professeur à l'université de Shanghai, estime que 90% d'entre eux sont ou seront contraints au mariage par la pression familiale. Selon une étude menée en 2008 sur 1295 homosexuels masculins par Zhang Beichuan, professeur à l'université Qingdao dans la province du Shandong, dans 62% des cas, ce n'est pas la personne concernée qui a fait son "coming out" mais un tiers qui a révélé son homosexualité à son entourage ou à son employeur. Si 18% des homosexuels interrogés disent avoir révélé eux-mêmes leur homosexualité et n'avoir subi aucune discrimination à la suite de cette révélation, 9% d'entre eux affirment avoir perdu leur travail pour cette raison et 5% se sentent lésés dans leur carrière. 20% des homosexuels disent avoir subi des violences verbales ou physiques, voire avoir été victimes de racket de la part d'autres homosexuels ; 35% déclarent enfin avoir envisagé le suicide et 13% sont passés à l'acte, un chiffre qui n'étonne pas Liu Huaqing, psychiatre à l'hôpital Huilongguan de Pékin : nombreux sont en effet les homosexuels qui souffrent de dépression ou qui consultent pour tenter de "corriger" leur orientation sexuelle.
En Chine comme en France, c'est malheureusement l'épidémie du SIDA qui a conduit les autorités à prendre en compte la "question" homosexuelle. Selon une enquête récente, faite à la demande du gouvernement, le pourcentage des homosexuels masculins porteurs du SIDA serait aujourd'hui de près de 5%, soit un taux dix fois supérieur à ce qu'il était il y a 10 ans. Le Ministère de la Santé a recensé 48 000 nouvelles infections l'an dernier, dont 32 % d'origine homosexuelle ; or, les malades étant mariés dans leur grande majorité, les femmes sont touchées à leur tour, ce qui porte à 42% le taux d'infection par voie hétérosexuelle. La "question" homosexuelle devient ainsi un enjeu de santé publique.
On estime actuellement à 30 millions le nombre des homosexuel(le)s contraints de cacher leur préférence sexuelle en Chine du fait des préjugés persistants : si la frange la plus éduquée de la population se montre relativement tolérante, une étude menée en 2008 montre que l'opinion dominante considère encore que les métiers de l'enseignement devraient être interdits aux homosexuels des deux sexes et que l'homosexualité est une "perversion absolue". Il arrive même que certains soient assassinés pour cette prétendue "perversion".
Seule une tolérance accrue ferait pourtant reculer l'épidémie de SIDA. Certes, on constate quelques signes encourageants de ce côté-là : un manuel scolaire publié en 2005 met ainsi les élèves en garde contre l'homophobie mais la loi interdit encore de mentionner l'homosexualité dans les films, à la télévision ou dans les romans, même si elle n'est plus assimilée à de la pornographie. Brokeback Mountain, par exemple, le film couronné d'Oscars dans lequel Ang Lee met en scène une histoire d'amour entre deux cow-boys, n'a toujours pas été diffusé en Chine continentale.
Le gouvernement n'envisage pourtant l'homosexualité de manière relativement ouverte que dans son rapport au SIDA, au risque, d'ailleurs, d'accroître la méfiance à l'égard des homosexuels donc les discriminations dont ils sont victimes et, partant, la contagion contre laquelle il prétend lutter. D'un côté, comme il l'a fait en 2007, il encourage les organisations non-gouvernementales à promouvoir la tolérance dans les médias, de l'autre, il continue à réprimer les manifestations homosexuelles : le premier concours de beauté masculine, organisé par Mr Gay China, a été interdit une heure avant son ouverture en janvier 2010 et de nombreux sites web, accusés de pornographie, ont été fermés en 2008.
Les intellectuels qui luttent auprès des homosexuels chinois n'ont pas pourtant pas l'intention d'abdiquer : Li Yinhe entend bien proposer à nouveau la légalisation du mariage homosexuel lors des deux prochaines sessions du Congrès du Peuple et Zhang Beichuan a récemment appelé le gouvernement à abolir la censure de l'homosexualité au cinéma, sans succès pour le moment.
Les homosexuels chinois commencent donc à "sortir du placard" : l'étude de Zhang Beichuan montre qu'ils revendiquent à 64 % la protection de leur vie privée, à 46% le droit au mariage et à 40 % la fin des discriminations professionnelles. Quant à Ba Li, à 72 ans, il dit enfin pouvoir marcher "la tête haute". Reste que le combat n'est pas gagné et la photo qui accompagne l'article de China Daily, deux jeunes femmes enlacées en robe de mariée, à Qianmen, lors de la Gay Pride de Pékin, témoigne des ambiguïtés de la situation des homosexuel(le)s chinois : la mine goguenarde des badauds regardant la scène montre que le chemin sera encore long pour qu'ils et qu'elles aient droit à l'indifférence.