"La Chine d'en bas" de Liao Yiwu

"La Chine d'en bas" de Liao Yiwu

Messagepar mandarine » 14 Avr 2014, 15:16

Une nouveauté de Liao Yiwu nous est signalée.

Sans l'avoir lu vous-même, nous conseilleriez-vous ce livre ,Laoshi?

http://www.13enote.com/auteurs.php?id=53

La Chine d'en bas
Liao Yiwu (13e Note Editions) mars 2014 Image


L’idée qu’un monde communiste vantant les louanges de l’égalité, prétendant abolir les classes et célébrant la venue de l’homme nouveau puisse instaurer dans le mouvement même de son accomplissement de nouvelles formes de marginalité serait sans doute perçu comme un mensonge éhonté par les dirigeants du parti en question.

Prenons en acte. Les personnes auxquelles Liao Yiwu donne la parole dans son livre n’existent donc pas. Du moins pas officiellement. Et cela tombe bien puisque l’histoire de la Chine dont ils ont été témoins et qu’ils portent dans leur récit n’existe pas non plus. Du moins pas officiellement… Quelle place pour les êtres vestiges d’un monde "ancien" qui n’a pu disparaître de lui-même à l’arrivée de Mao au pouvoir ? Abbé bouddhiste, ancien propriétaire foncier, pleureur professionnel qui continue à célébrer les funérailles selon une coutume qui a su rester tenace face aux brimades des autorités… et puis le père d’un enfant disparu à Tiananmen par on ne sait quel sortilège puisque les autorités n’ont jamais reconnu le moindre massacre…

A travers ces témoignages croisés émerge un monde disparu. Monde dans lequel les personnes mortes loin de leur village font le trajet de retour chez elles en marchant, accompagnées d’un promeneur de cadavres agitant devant leur visage une lanterne. La magnificence d’une temple bouddhiste profané par la ferveur hystérique de milices communistes, qui s’acharnent au passage sur le corps du premier abbé du lieu, Wu Hong, qui était impeccablement conservé depuis six siècles (une photographie de 1940 en est la seule preuve), renaît par les souvenirs de l’abbé témoin impuissant du saccage.

Refont également surface les évènements les plus sombres de l’histoire récente de la Chine. De la famine engendrée par le "Grand bon en avant" durant lequel tous les chinois ont suivi les ordres de Mao, qui voulait faire de la Chine le premier producteur mondial d’acier, en désertant les champs pour se faire fondeurs. Trente millions de personnes mortes entre 1958 et 1961, et des actes de cannibalisme dont un ancien fonctionnaire fut témoin.

Une "Révolution culturelle" durant laquelle les gardes rouges, jeunes rebelles qui n’hésitent pas à tabasser leurs professeurs et toutes les figures d’autorité, sèment la terreur tout en brandissant le Petit Livre Rouge de Mao.

Et puis le début d’ouverture permis par Deng Ziaoping. Nouveau mot d’ordre : "enrichissez-vous !". Ouverture qui en soulage certains pour finir d’en perdre d’autres. Un instituteur à la retraite qui garde en lui fermement ancrés les principes moraux recteurs de toute sa vie retrouve un de ses anciens élèves. Pour le remercier de l’attention particulière que lui avait porté son maître, celui-ci veut le faire coucher avec la plus jolie fille du bordel dont il est propriétaire, la tabassant au passage : "Je tiens à changer la conception que votre génération se fait du monde". Générations qui se succèdent sans se comprendre. En perspective, la Chine d’aujourd’hui dont il est bien peu dit, mais que le lecteur peut interroger à partir de ce patchwork de témoignages recueillis pour la plus grande partie dans les années 90.

Liao Yiwu ouvre avec ce livre une problématique à laquelle la Chine ne pourra pas échapper et à laquelle les occidentaux que nous sommes sont particulièrement sensibles : celle de la nécessité du travail de mémoire pour permettre à une société de ne pas imploser. Comme le dit Zhang, l’un des témoins très largement éprouvé dans son histoire personnelle : "Aucun meurtrier ne se vante de son passé "héroïque" auprès de ses enfants. Même le Parti communiste se garde de l’évoquer trop souvent ; il encourage les gens à aller de l’avant". Eternel mouvement qu’invoquent les gouvernements, peut-être pour que leurs administrés ne soient pas trop remuants… Liao Yiwu est de ceux qui donnent la force d’enfin demander : pour aller où ?


http://www.froggydelight.com/article-14 ... n_bas.html
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Re: "La Chine d'en bas" de Liao Yiwu

Messagepar laoshi » 14 Avr 2014, 17:51

Merci pour cette information bibliographique, Mandarine. Le livre est sur ma liste d'achats...

Je conseille à tous, évidemment, de lire ce nouveau Liao Yiwu (je n'ai pas eu le temps de faire une fiche de lecture du précédent, que j'ai lu avec beaucoup d'émotion). Les enjeux de la mémoire sont essentiels et tout ce qui contribue au retour du refoulé chinois doit, à mon avis, être encouragé et défendu, sutour en ces temps où la Chine est devenue à la mode et où les autorités profitent de leur nouvelle puissance économique pour verrouiller l'opinion mondiale. Nous en avons eu un témoignage l'an dernier avec le voyage de Liao Yiwu à Rennes, annulé pour de mystérieuses raisons, et un autre avec la petite phrase bredouillée par François Hollande après approbation de la diplomatie chinoise....
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Re: "La Chine d'en bas" de Liao Yiwu

Messagepar mandarine » 06 Mai 2014, 13:07

Présentation de ce livre par Jordan Pouille ,correspondant en Chine .
Cela donne envie de lire le livre.


La Chine d’en bas, par Liao Yiwu
Posted on May 5, 2014 by admin

Ce weekend, j’ai fait main basse sur “La Chine d’en bas” de Liao Yiwu, sorti fin mars.

Le livre est sorti en 2009 aux Etats-Unis. Et porte un titre du même acabit: “ The Corpse Walker: Real Life Stories: China From the Bottom Up“. Au fil des 475 pages, l’auteur a reconstruit des dialogues truculents, partagés avec un ouvrier migrant, un retraité, une pleureuse professionnelle, un musicien aveugle, un professeur de lycée, etc…

J’en suis à la moitié et ne compte pas m’arrêter en si bon chemin. Peut être sommes nous – lecteurs occidentaux- devenus suffisamment familiers de la Chine et des Chinois pour pénétrer désormais dans leur intimité, pour respecter leurs manières de penser, de s’émouvoir de leurs personnalités complexes au delà des poncifs nappant les victimes d’héroïsme, les dissidents d’angélisme et les officiels de tous les vices.

Liao Yiwu le montre avec humour et réalisme. Dans une société malmenée par la Révolution Culturelle puis labourée par le capitalisme d’Etat, les laissés pour compte ne sont pas que des âmes pures, les courageux ouvriers sont parfois d’immondes proxénètes, les paisibles retraités d’anciens tabbasseurs d’intellectuels dans les grandes heures du culte de Mao.

C’est cette richesse humaine qui m’a permis de faire ce métier de correspondent avec autant de plaisir. Observer la vie en Chine peut vous faire basculer de l’émerveillement à l’indignation en quelques minutes. Et vice versa.

Un extrait:

Liao Yiwu à Monsieur Mi, un retraité qui s’ennuie avec ses camarades du comité de quartier, depuis que la police ne les sollicite plus.

Liao: Personnellement, je pense que sous Mao, les comités de voisinage étaient trop puissants. Désormais, on a besoin de lois pour gouverner. Vous ne pouvez plus vous permettre de perquisitionner les gens à votre guise. Les membres des comités de voisinage devraient trouver autre chose à faire pour s’occuper.

Mi: Nous essayer de nous recycler. L’été dernier, le gouvernement nous a alloué des fonds et autorisés à ouvrier une maison de thé. Elle marchait très bien. Au départ, j’avais dans l’idée d’en faire un lieu où on parlerait de la politique du gouvernement. Autrefois, tous les voisins se rassemblaient à l’extérieur, le mercredi après-midi, pour étudier les oeuvres de Mao et lire les journaux du Parti. Je me doutais bien que les anciennes séances d’étude imposés n’étaient plus de mise. Mais je me disais que les gens du quartier pourraient s’y réunir en sirotant leur thé. Autant faire d’une pierre deux coups. Cette maison de thé aurait pu aussi procurer du travail à des jeunes chômeurs. A vrai dire, ce projet a pris une tournure désastreuse. Non seulement personne ne voulait m’écouter lire les journaux à voix haute, mais je me faisais huer dès que je montais sur l’estrade. Ma fille m’a conseillé de faire preuve de plus de souplesse et d’arrêter de prêcher le communisme. Alors on a invité des chanteurs d’opéra du Sichuan à se produire. Les vieux adoraient ça. Mais pas les jeunes, qui trouvaient toujours le moyen de saboter la représentation. Un soir, juste après le début du spectacle, un jeune a appelé la chaîne de télévision locale pour qu’un journaliste viennent constater la pollution sonore de notre maison de thé. Ce reportage déformait complètement la réalité. C’était tellement difficile de plaire à tout le monde qu’en fin de compte, on a laissé les clients prendre les choses en main. Ils ont reconverti notre maison de thé en salle de mah-jong. Son succès a été très rapide; très vite, on a manqué de tables. Qu’importe, les gens en apportaient de chez eux; ils ont aussi branchés quelques ampoules électriques supplémentaire. Quelle honte ! La maison de thé était devenue un tripot. On m’a même conseillé de faire payer l’entrée.

Liao: “Ca a dû vous rapporter pas mal d’argent. Vous connaissez le diction: “Quand le dieu de la Fortune veut entrer, on ne peut pas l’en empêcher!”


http://www.jordanpouille.com/2014/05/05 ... liao-yiwu/
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