Un livre fascinant : Petite Fleur de Manchourie !

Un livre fascinant : Petite Fleur de Manchourie !

Messagepar laoshi » 29 Sep 2011, 15:52

ImageJe viens de relire le livre passionnant et émouvant de Xu Ge Fei, Petite Fleur de Mandchourie. Une nouvelle fois, je l’ai dévoré.

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, « Petite Fleur » n’est pas la petite fille au regard volontaire et un peu boudeur que l’on voit, dans sa robe blanche, sur la première de couverture ! non, Petite Fleur est tout bêtement… un petit cochon.

Et voilà que ce petit cochon – dont pourtant elle ignore tout -, s’invite dans l’imaginaire de la jeune femme devenue, en quelques années, une femme d’affaires sûre d’elle-même. Alors qu’elle négocie un contrat pour une entreprise de pétrochimie avec un client allemand, du haut d’un grand building de Shanghai, voilà qu’elle découvre, au beau milieu du bureau climatisé, le petit animal avec sa tache sur l’œil. Phénomène paranormal ? Hallucination ? Symptôme d’une tumeur au cerveau ? Terrorisée par cette apparition, qui la poursuit jusque dans sa cuisine, Xu Ge Fei découvre que le petit cochon existe bel et bien : sa mère lui révèle qu’elle l’a amoureusement engraissé pendant toute sa grossesse, au fin fond d’un camp forestier, en Mandchourie, aux confins de la Chine et de la Corée et qu’elle l’a nommé « Petite Fleur » en raison de la tache rose qu’il a sur l’œil. Pragmatique, la jeune femme avait l’intention de vendre l’animal au marché pour acheter une machine-à-coudre qui lui permettrait non seulement de confectionner des vêtements pour ses deux enfants mais encore de proposer ses services aux forestiers du camp et de se faire ainsi un peu d’argent pour améliorer l’ordinaire, fort maigre, de sa famille. C’était sans compter sur le caractère fantasque du père qui ramena, au lieu de la machine-à-coudre tant convoitée, un superbe radiocassette qui allait sceller le destin de la petite fille et de toute sa famille. Car c’est en écoutant les chansons anglaises de ces cassettes que Xu Ge Mei découvrira son désir d’apprendre les langues étrangères.

Simple artifice d’écriture ou non, cette apparition déclenche le récit autobiographique de Xu Ge Fei. Persuadée qu’elle va mourir, comme sa grand-mère qui avait elle-même reçu la visite d’un renard quelque temps avant sa mort, elle se met à raconter son histoire au petit cochon qui a présidé à sa naissance...

Et cette histoire nous plonge dans une réalité chinoise que nous avons peine à imaginer ; réalité géographique et climatique, réalité matérielle et sociale, réalité historique et économique… Comment, dans la Chine des années 2000, une jeune fille sans bagages (sans diplômes universitaires, sans fortune, sans relations), née au fin fond de la Mandchourie, peut-elle devenir successivement préposée au courrier des auditeurs d’une émission pour adolescents, vendeuse de rasoirs jetables à Changchun, caissière dans un restaurant à hôtesses de Dalian, commerciale de haut vol dans diverses sociétés à Shenzhen puis à Shanghai et enfin, après divers petits boulots de traîne-misère, créer sa maison d’édition à Paris ? Une telle mobilité géographique et sociale demande une force de caractère hors-du-commun, forgée par l’histoire personnelle et collective !

L’histoire familiale joue évidemment un rôle majeur dans cette aventure. C’est celle du père, qui, épris d’idéal, « aurait donné sa vie pour le camarade Mao » avait quitté sa famille à seize ans, en 1968, pour rejoindre « l’élite du prolétariat » et « intégrer les vraies valeurs du communisme » auprès de ses « camarades paysans ». Sa mère étant une authentique princesse mandchoue et son père appartenant à une riche famille de propriétaires et de lettrés, c’était une chance pour lui d’échapper à la malédiction de ses origines. D’autant que son père avait ajouté une faute idéologique majeure à l’infamie sociologique de sa condition. Devenu instituteur par la grâce du communisme, il était tombé dans le piège tendu par Mao aux intellectuels en 1958, « faire sortir les serpents de leur trou pour leur couper la tête » ; il avait écopé de 4 ans de prison, suivis de 17 années de camp de rééducation, pour avoir affirmé « qu’il était temps d’instaurer l’égalité des chances pour accéder à des postes de responsabilité grâce à des concours »...

Après un an à « apprendre auprès des paysans », le jeune garde rouge avait perdu son enthousiasme et ses illusions mais il avait dû attendre six ans à gratter la terre dix à douze heures par jour pour une « promotion » et devenir bûcheron dans un camp forestier à la frontière de Corée. C’est là qu’il avait rencontré la jeune illettrée qu’il allait épouser, faisant ainsi un pas supplémentaire pour se laver de sa « nature sale » au contact de la « nature propre » de cette fille de paysans pauvres qui allait bientôt devenir la mère de Xu Ge Fei. Car si les jeunes gens respectaient en public « la distance physique dictée par la morale du parti » entre amoureux – jamais moins de dix mètres -, on ne peut pas discipliner le corps aussi facilement que l’on soumet les esprits à la discipline idéologique : bon gré mal gré, le Parti dut se résigner à cette union peu orthodoxe !... Fort heureusement pour la « dynastie » des Xu, l’enfant « avait une poignée » ; on le prénomma « Feng » ; en ces temps où s’annonçait la politique de l’enfant unique, il valait mieux qu’il en fût ainsi… Mais la contraception n’étant jamais infaillible, une deuxième grossesse s’était annoncée dix-huit mois plus tard au grand désespoir des parents incapables de payer l’amende. Les rigueurs du climat, rendant les routes impraticables et empêchant l’avortement, décidèrent de la venue au monde d’un « petit phénix » après celle du « petit dragon » ! Les subtilités du calendrier lunaire permirent aux parents d’échapper à l’amende (plus d’un an de salaire du bûcheron) : née le 11 octobre 1979, Ge Fei fut déclarée avoir vu le jour le 21 août, avant l’entrée en vigueur des lois sur l’enfant unique ! Ses parents gardèrent ainsi le bénéfice des 180 kg de maïs auxquels donnait droit une naissance dans les normes… S’y ajoutèrent la vieille poule que sa belle-mère avait apportée à la jeune accouchée pour la remettre sur pied grâce aux qualités nutritives que lui prête la croyance traditionnelle et les 450 œufs qu’elle y avait joints pour lui permettre d’avoir suffisamment de lait pour nourrir le bébé.

Le nom qui fut donné au petit Phénix fut choisi par le grand-père, tout juste réhabilité, en prenant en compte « les éléments, les signes, les sons, le sens et le nombre de traits de chaque idéogramme » : « Xu Ge Fei » signifie « petit à petit, par la révolution, éliminer les injustices »... Et tandis que Feng, le petit garçon suivait ses grands-parents à Changchun, la petite fille vivait le printemps de sa vie en pleine forêt, entourée d’affection, au cœur de l’hiver manchou. Son père, qui avait pu quitter le camp pour un poste administratif dans une école de Changchun, ne lui rendait plus visite qu’une fois ou deux tous les six mois mais il adulait sa fille. Au cours de ces brefs séjours, il lui apprit à lire à raison de vingt caractères par jour : à l’âge de trois ans, Fei connaissait déjà cinq cent mots et elle récitait par cœur, devant un public ébahi, des poèmes anciens auxquels elle ne comprenait rien avec une aisance qui faisait la fierté de son géniteur !

Vers l’âge de quatre ans, en quittant la forêt pour la ville de Changchun où sa mère venait rejoindre son mari, son fils et ses beaux-parents et allait devenir ouvrière dans une usine de cigarettes, Fei quittait le paradis de l’enfance. Malgré ses dons exceptionnels, elle n’avait pas l’heur de susciter l’intérêt de son grand-père, le vieux lettré qui avait repris toute sa superbe d’antan après la Révolution culturelle. Il régnait en maître sur la maisonnée et c’est à Feng, le petit-prince héritier de la dynastie, qu’il voulait transmettre la culture chinoise, à Feng qu’il souhaitait enseigner le japonais ! Traitée en parente pauvre, sa mère, convaincue que « quand on vous donne un verre d’eau, vous devez rendre une rivière », était tombée « sous la domination des codes les plus durs de la morale confucéenne ». Après avoir trimé toute la journée à l’usine, fait les courses, le ménage, la lessive, la cuisine, elle était servie la dernière à table : l’unique morceau de viande revenait à Feng et la hiérarchie alimentaire épousait rigoureusement la hiérarchie familiale : les grands-parents, le père, Fei, et, bonne dernière, la mère ! La hiérarchie spatiale de la tablée n’était pas moins humiliante : Feng, assis à la droite du patriarche, qui faisait face à la porte, occupait la place la plus importante après lui ; à la gauche du grand-père, son épouse, puis venaient le père, la mère et enfin la benjamine, Fei…. Curieuse manière d’éliminer les injustices !...

Pour quelqu’un qui avait passé dix-sept ans en camp de rééducation et qui avait tant souffert des rigueurs révolutionnaires, le grand-père n’avait pas appris grand-chose ! Pas même qu’une petite fille valait bien un petit garçon ! C’est à Feng qu’il rabâchait les principes de la vertu confucéenne sans voir qu’il les enfreignait lui-même en en excluant sa petite-fille : comment enseigner le « Ren », professer qu’il faut « étendre la perception et le sens de soi à tout le genre humain », et ignorer la souffrance de l’enfant que l’on a à ses côtés ? Comment enseigner le « Yi », « la justice du cœur », et se montrer aussi insensible et aussi injuste ? Comment enseigner le « Li », le rite et le respect d’autrui comme « volonté de comprendre les autres mondes et leurs différences » en négligeant la plus universelle de toutes les différences, celle du masculin et du féminin ? Comment enseigner le « Zhi », « la sagesse et l’intelligence », en refusant de transmettre son savoir à sa petite-fille sous prétexte qu’elle ne portera plus le nom des Xu après son mariage ? Comment prétendre au « Xin », mériter la confiance des autres, si l’on ne met pas ses actes en accord avec sa parole ? C’est pourtant ce que fit ce grand lettré en renvoyant la petite Fei à son insignifiance : « une fille mariée est comme de l’eau répandue sur le sable », dit-il en rangeant hors de sa portée le livre de japonais dont il échouait à enseigner les rudiments à Feng et qu’elle brûlait d’apprendre. Ce déni de justice fut le fondement d’une « étrange résolution » dans le cœur de l’enfant : « je me jurais que, une fois parvenue à l’âge adulte, je ne me laisserais rien interdire ; quand je serais grande, je pourrais attraper tous les livres que je voudrais sur les étagères les plus hautes du monde, et je les distribuerais à toutes les petites filles que l’on empêchait de les lire. »

Au terme d’un parcours exemplaire, c’est chose faite, Xu Ge Fei a fait reculer les injustices… par la révolution ! Non pas une révolution violente et collective mais, après la découverte de la philosophie occidentale dans Le Monde de Sophie, acheté à un vendeur de livres d’occasion, par une remise en cause toujours recommencée des positions et des certitudes acquises.

On reste confondu devant le courage et l’énergie de cette toute jeune fille, capable de repartir si souvent à zéro, on admire le don inné qu’elle a pour les rencontres les plus improbables et les plus enrichissantes et on admire sans réserve l'amour que ses parents, « capables de vendre leurs os » pour eux, vouent à leurs deux enfants.

Je ne vous en dis pas plus à ce sujet, vous le découvrirez vous-même en lisant le superbe livre de Xu Ge Fei !
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pour lire des extraits de Petite Fleur de Manchourie !

Messagepar laoshi » 29 Sep 2011, 16:07

je viens de découvrir que l'on pouvait lire les 23 premières pages du livre de Xu Ge Fei ici.

On peut télécharger cet extrait, l'imprimer ou l'envoyer à ses amis....
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un superbe souvenir de lecture !

Messagepar Faustula » 01 Oct 2011, 13:57

J'avais moi aussi adoré ce livre, que j'ai lu d'une traite. Merci de rafraîchir mes souvenirs ! Cette jeune femme fait preuve d'une volonté absolument incroyable. Je crois que seuls les pays et les familles qui ont beaucoup souffert peuvent produire de tels caractères.
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Petite Fleur de Manchourie en édition de poche

Messagepar laoshi » 12 Oct 2015, 07:36

Petite Fleur de Mandchourie est désormais disponible en édition de poche, chez J'ai lu. SI vous n'avez pas encore lu ce livre superbe, ne manquez pas l'occasion de le découvrir !
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