Li Chenpeng : Confessions d'un traître à la patrie

Li Chenpeng : Confessions d'un traître à la patrie

Messagepar laoshi » 31 Août 2015, 09:56

Rien n'est plus infâmant, pour un Chinois, que d'être désigné comme "traître à la patrie", c’est pourtant le titre que revendique Li Chenpeng, dans son blog, en brandissant comme un drapeau l’insulte que lui lancent les "wu mao" (les internautes qui vendent leur âme pour cinquante centimes), les ultra-maoïstes et les nationalistes fanatiques qui confondent mensonge et patriotisme.

Li Chenpeng comprend autrement le patriotisme, il le dit haut et fort dans en quoi suis-je patriote, que l’on peut lire en ligne sur le site de la maison d’édition. Il y raconte comment la catastrophe du Sichuan a dessillé son regard, comment après avoir vu une mère impuissante à sauver sa petite fille bougeant encore sous les décombres, il a compris que le patriotisme était un leurre :


Li Chenpeng a écrit:
[…] au lycée n° 1 de la sous-préfecture de Beichuan, je fus saisi par une question lancinante : pourquoi les gravats d’un immeuble de cinq étages de construction récente qui venait de s’effondrer n’occupaient pas plus de surface qu’un demi-terrain de basket, alors que les immeubles anciens construits plusieurs dizaines d’années auparavant tenaient encore debout ? Pourquoi, après que cet immeuble se fut effrité comme un biscuit, seules de rares armatures métalliques émergeaient des décombres, pourquoi les élèves qui avaient cours au rez-de-chaussée n’avaient pas eu le temps de fuir ? Une femme, qui faisait des allers-retours près de moi, aphone à force d’avoir pleuré, montrait les petits débris en disant d’une voix éraillée : « Regardez, c’est ma gamine ! Sa main bouge encore, elle n’est pas morte, mais je n’arrive pas à la sortir de là… » La scène était affligeante. J’aperçus un bout du vêtement à fleurs de la petite fille, parmi des morceaux d’habits d’autres enfants ; beaucoup bougeaient encore, une main, un pied s’agitaient et l’on entendait d’infimes gémissements. Mais l’armée avait donné ordre de ne pas approcher des lieux du sinistre. À l’entendre, marcher sur les débris pourrait provoquer un deuxième éboulement.
Je vis ainsi, impuissant, les corps des enfants qui remuaient encore devenir peu à peu froids et silencieux parmi les gravats.
Avant cette catastrophe, j’étais un jeune patriote croyant que les malheurs de la vie étaient l’œuvre de forces étrangères hostiles. […] Debout devant les ruines de ce lycée du Sichuan du Nord, la perplexité me gagna. J’aimais toujours mon pays mais je comprenais peu à peu que ce n’étaient pas les impérialistes qui étaient venus voler en douce les armatures métalliques des décombres ; ces enfants n’étaient pas morts entre les griffes de ces démons d’agresseurs, mais entre les sales mains de gens de notre camp. Je ne comprenais pas pourquoi tous les morts du 11-Septembre avaient un nom alors que nos enfants n’en avaient pas…
Si à la fin de ma vie j’écris mes mémoires, je prendrai pour repère l’année 2008. Avant cette date, j’étais un idiot, assez présomptueux, ne doutant jamais de rien. Je croyais avoir saisi les grands principes de la société, comme si je lisais dans les lignes de ma main.
Un jour, je découvris par hasard une "école de l’espoir" (= construite à l’aide de fonds privés) intacte, dont les vitres n’avaient subi que de légères brisures. J’appris qu’après le tremblement de terre, les enfants, guidés par leurs maîtres, avaient franchi trois hautes montagnes et s’étaient réfugiés, sains et saufs, dans la vallée. Je demandai au directeur de l’école et aux maîtres comment un tel miracle avait pu se produire. Ils me répondirent d’une seule voix que c’était grâce à l’inspecteur des travaux.
L’inspecteur en question avait été mandaté par l’entreprise chargée de gérer les fonds destinés à la construction. Chaque jour, il était allé sonder les piliers en béton de l’école avec un petit marteau. Soldat du génie de formation, il était capable d’évaluer, à partir du son, la proportion de sable et de gravier contenue dans le béton et si la qualité du ciment était satisfaisante. Si ce n’était pas le cas, il ordonnait à l’équipe de maçons de refaire le travail, et si les maçons refusaient, il faisait un scandale. […] Les médias officiels n’évoquèrent jamais son rôle et il fut interdit de publier son nom […].

[...] le patriotisme n’est pas qu’une résistance aux ennemis extérieurs ; le patriotisme, c’est plutôt oser résister aux pourris de l’intérieur. […] J’estime être un patriote, mais après avoir connu les Jeux olympiques de 2008, l’affaire du lait frelaté et surtout le grand tremblement de terre de Wenchuan, j’ai revu ma conception du patriotisme : le patriotisme, ce n’est pas accuser des étrangers de s’emparer de notre territoire, tout en rasant nos propres maisons ; ce n’est pas dire qu’à cause de méchants voisins nous manquons de pétrole, tout en ordonnant que la Commission nationale du développement et de la réforme fasse en sorte que le prix du pétrole monte sans cesse ; ce n’est pas crier que des bandits ont violé notre mère, tout en outrageant tant de mères lors d’un grand séisme. Je voudrais que tout le monde se souvienne de cette femme, impuissante, voyant un bout de vêtement de son enfant et sa petite main bouger.
[…]Le patriotisme, ce n’est pas posséder un territoire immense mais offrir à chacun une vie digne ; le patriotisme, ce n’est pas soutenir les mécanismes dictatoriaux mais aimer un système de valeurs commun ; le patriotisme, ce n’est jamais léser l’individu au nom de l’État, mais donner à chaque individu le pouvoir de s’opposer aux injustices de l’État, et du même coup protéger sa minuscule personne…

Depuis lors, Li Chenpeng s'attache à dénoncer les mensonges du pouvoir, à ses risques et périls :

l’éditeur, dans sa présentation a écrit:
Écrire pour donner la parole au peuple chinois: c’est ce que Li Chengpeng fait sur son blog, depuis des années. Sans tabou, il aborde tous les sujets qui fâchent: la liberté d’expression, les avortements forcés, les scandales immobiliers et sanitaires, la pollution, la corruption des politiques, les vagues de suicides dans certaines usines... Li Chengpeng déploie des trésors d’ingéniosité pour échapper à la police d’Internet. Cela fait de ces billets des petits chefs-d’œuvre d’inventivité. Dire la vérité en Chine n’a rien de facile. Pourtant, malgré la censure et les démonstrations de force des ultrapatriotes, plus de 700 000 exemplaires du livre qui réunit ces textes ont été vendus avant son interdiction, moins d’un an après sa parution.

Je vous conseille de lire l'excellente présentation du livre par François Bougon, dans Le Monde

Confessions d'un traître à la patrie , de Li Chengpeng, est traduit du chinois par Hervé Denès aux éditions Liana Levi
Date de parution : 02-04-2015
224 pages
isbn : 9782867467714
prix : 19 €
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Re: Li Chenpeng : Confessions d'un traître à la patrie

Messagepar mandarine » 31 Août 2015, 16:42

Il rejoint Chen Guangcheng sur ma liste d'achat.
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
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