Rescapé du camp 14

Rescapé du camp 14

Messagepar laoshi » 16 Août 2012, 09:54

Il est des livres qu’on a le devoir d’acheter et de lire. Rescapé du camp 14, de Blaine Harden (éd. Belfond), est de ceux-là, pour tous ceux que préoccupent les droits de l’homme, en Chine et ailleurs.

Le « camp 14 » n’est pas un camp du laogai chinois ; c’est l’enfer des esclaves nord-coréens dont le jeune Shin Dong-hyuk a réussi à s’évader à l’âge de 23 ans. Si le livre concerne la Chine, c’est non seulement parce que Shin, comme tous les transfuges nord-coréens, a réussi à gagner « l’eldorado » chinois mais encore parce que le la dynastie Kim, qui fait régner la terreur sur « son » peuple, doit sa survie politique au grand frère chinois. Hu Jintao, je l’ai expliqué ailleurs, ne veut pas lâcher le régime criminel de Pyongyang même s’il œuvre discrètement pour le convertir à « l’ouverture » économique qui a si bien réussi à la Chine.

Dernier bastion d’un stalinisme dramatiquement caricatural, la « République populaire et démocratique » de Corée du Nord, qui s’est proclamée « le paradis des travailleurs », a défini une terrifiante idéologie du sang : divisée en trois grandes castes (le « noyau central », la « classe indécise » et la « classe hostile ») et en 51 sous-groupes, la population tout entière est enfermée dans un immense goulag où les pères, les frères et les fils expient les crimes des leurs sur trois générations ! Entre 150 et 200 000 esclaves (pour une population totale de 23 ou 24 000 000 d’habitants) croupissent dans ces camps permanents où l’on dépasse rarement 45 ou 50 ans, sans compter les dizaines de milliers de détenus des camps de rééducation par le travail qui ont « la chance » de purger une peine limitée dans le temps.

Qu’a fait Shin pour être réduit en esclavage sa vie durant ? a-t-il comploté contre le régime ? a-t-il exprimé une opinion subversive ou contre-révolutionnaire ? Pas du tout ! La faute impardonnable qu’il a commise n’est pas la sienne mais celle de deux de ses oncles paternels qui ont fui vers le Sud en 1951, pendant la guerre fratricide qui a ravagé la péninsule sous l’égide des armées de Mao d’une part et des Américains d’autre part. C’est en vertu de cette idée monstrueuse de la responsabilité familiale que son père a été arrêté en 1965. Quant à lui, il n’a eu que le tort de naître…. Comme le « péché originel », le crime se transmet de génération en génération et doit être expié par le travail dans l’empire des Kim !

Né dans le camp, Shin a tout ignoré du monde extérieur ou presque jusqu’à l’âge de 23 ans, y compris l’existence du « grand leader » et de sa glorieuse descendance ! Il croyait que ses conditions d’existence étaient celles de l’humanité tout entière : une chambre au sol de béton sans aucun mobilier, ni lit, ni couvertures, une cuisine commune pour quatre « familles », une casserole unique pour faire la bouillie quotidienne, quelques bols et des cuillers, un uniforme tous les deux ans pour les écoliers, tous les six mois pour les adultes, pas de sous-vêtements, pas de savon ou presque, pas de livre d’école, un travail éreintant 18 heures par jour, la délation obligatoire, les punitions et la torture…

Lorsque le maître d’école bat à mort une petite fille qui a osé voler cinq grains de maïs, les élèves ne se révoltent pas, le maître n’a fait qu’appliquer l’un des « dix commandements » du camp ! Lorsque Shin, à l’âge de treize ans, surprend sa mère en train d’évoquer un projet d’évasion en compagnie de son frère aîné, il croit faire son devoir en les dénonçant immédiatement à un gardien. On lui a appris qu’il est là pour expier les péchés de ses parents et que la délation est nécessaire à sa « rédemption »…. Il sait que sa mère et son frère seront exécutés s’il les dénonce mais il ignore tout de l’amour qu’un enfant peut avoir pour les siens ; sa mère n’est pour lui qu’une marâtre qui le battait cruellement quand, enfant, il lui volait sa ration de nourriture pour assurer sa propre survie ; quant à son frère, il le connaît à peine, il comprend seulement qu’il a fait quelque chose de « mal » et que sa mère veut l’aider à s’évader pour lui éviter le pire….

La mère de Shin, comme son père, était une esclave du camp 14. Sans doute parce qu’elle avait toujours rempli, voire dépassé, ses quotas de production, ou parce qu’elle s’était montrée une délatrice zélée, les gardiens lui ont fait une fleur : ils l’ont « mariée » à son père (qui a « mérité » la même faveur pour avoir su faire fonctionner un tour à métaux) et lui ont permis de quitter son dortoir pour le « village modèle » où Shin a vécu ses premières années. Les « époux », bien sûr, ne se sont pas choisis mais ils ont bénéficié de 5 nuits de « liberté » sexuelle ; depuis lors, ils ont été autorisés à se rencontrer quelques rares fois par an…. Toute union sexuelle entre détenus, sans la bénédiction des gardiens, est immédiatement punie de mort. Malheur aux femmes qui tombent enceintes même si elles sont victimes de viol, y compris de la part des gardiens : elles sont immédiatement exécutées.

Les enfants nés dans « la légalité » - comme Shin, né en 1982 et son frère aîné né huit ans plus tôt -, ne sont en contact qu’avec les enfants nés dans le camp ; ceux qui ont été arrêtés en compagnie de leurs parents sont relégués ailleurs ; quant aux enfants des gardiens, ils ne se mêlent pas à ces petits pouilleux qu’ils se contentent de lapider de loin quand ils le peuvent. A 12 ans, l’enfant quitte définitivement la « maison » de sa mère pour intégrer le dortoir de l’école, où l’on apprend les rudiments de l’écriture et du calcul (Shin ne connaît que deux opérations, l’addition et la soustraction) ; à 16 ans, devenu « adulte », il rejoint son équipe de travail mais l’apprentissage a commencé très tôt : Shin est descendu dans la mine à 10 ans….

Mais la mine n’est rien par rapport à la prison souterraine dans laquelle Shin et son père ont été incarcérés et torturés pendant huit mois après la tentative d’évasion de sa mère : les gardes qui empêchent une évasion bénéficiant d’une promotion, celui auprès duquel Shin a mouchardé s’est bien gardé de révéler qu’il était le délateur, il s’est attribué tout le mérite de l’affaire. Shin – qui croyait obtenir « plus à manger » en récompense -, a donc été puni en conséquence du principe de culpabilité familiale dont je parlais plus haut : pendu la tête en bas pendant des journées entières, rôti comme un vulgaire poulet au-dessus d’un feu de charbon de bois incandescent, cet enfant de treize ans devra sa guérison aux soins intensifs que lui donnera un détenu enfermé dans la prison souterraine depuis des années. C’est la première fois que Shin vivra une relation humaine, la première fois aussi qu’il entendra parler du dehors et, en particulier, des raffinements de la cuisine coréenne. Pour lui, le mot « liberté » devient synonyme de « viande grillée ». Quand il reviendra au jour, après avoir signé un engagement de « confidentialité » sur ce qu’il a enduré, ce sera pour assister à l’exécution de son frère et de sa mère. Il n’éprouvera alors aucune émotion altruiste ; il sera seulement soulagé de n’être pas à leur place !

La vie de Shin reprendra alors son horrible train-train entre cruauté, délation, humiliation. De retour à l’école, il subit les brimades de son maître, furieux de n’avoir pas été choisi comme « confident », et de ses camarades, encouragés par celui-ci à en faire le souffre-douleur de l’école. Heureusement pour Shin, un nouveau maître remplace son tortionnaire et l’affecte à la ferme du camp où les prisonniers élèvent volaille, vaches et cochons pour les familles des gardiens. Il pourra alors chaparder de quoi manger à sa faim, ou presque, en volant la pitance destinée aux gorets….

Devenu mécanicien à l’atelier de confection qui fabrique des uniformes pour l’armée, Shin voit brutalement changer son destin. C’est l’incarcération d’un proche du régime, dont on lui confie la surveillance, qui lui révèle sa propre humanité. Lorsque Park, le nouveau-venu, lui demande poliment d’où il vient, Shin ne comprend pas : d’où pourrait-il bien être ? « c’est ici chez moi », répond-il naïvement…. Park n’est pas un prisonnier comme les autres, au lieu de se comporter comme un « animal affolé », il garde sa dignité même quand il a faim. Il contraint Shin à réprimer ses instincts pour faire cuire les rats qu’il dévorerait volontiers tout crus lorsqu’il a la chance d’en attraper un pour « améliorer » son ordinaire. Pour la première fois de sa vie, Shin prend une décision d’homme libre : il ne mouchardera pas. Complétant les leçons du détenu qui l’avait soigné dans la prison souterraine, Park lui apprendra l’existence de Pyongyang, d’un pays appelé « la Chine » et du reste du monde. C’est ensemble qu’ils tenteront l’évasion qui devait mener Shin de l’enfer du camp à la liberté.

Shin essaie aujourd’hui de se construire, de retrouver l’humanité qu’on a niée si longtemps en lui et de lutter pour que les codétenus nord-coréens ne soient pas les oubliés du monde libre.

La Corée du Nord est sans doute le pays le plus cynique du monde. Alors qu’elle consacre la majeure partie de son budget aux dépenses d’armement et à l’entretien d’une armée de plus d’un million de soldats (les hommes doivent 10 ans de service miliaire et les femmes 7 ans), elle compte sur la solidarité internationale pour nourrir son peuple en jouant du chantage nucléaire pour refuser toute « ingérence » dans la distribution de l’aide alimentaire que lui consentent les autres pays, singulièrement l’Amérique et la Corée du Sud. Les habitants du « paradis des travailleurs », mesurent en moyenne 13 cm de moins que leurs voisins du Sud et pèsent 11 kg de moins qu’eux. Mais le goulag des Kim commence à craquer de toutes parts : les appareils de radio venus de Chine vendus à des prix dérisoires, les feuilletons sud-coréens piratés qui présentent un monde enchanté mettent à mal les mensonges de la propagande officielle. De plus en plus de gens savent désormais que le monde extérieur n’est pas l’enfer décrit par le régime ; ils savent qu’on y mange plus souvent à sa faim que sous la houlette du « grand leader bien aimé », qu’on y respire un air de liberté inconnu à Pyongyang…. Pourtant, même si les jours de la dynastie Kim sont comptés, les Nord-Coréens sont encore loin d’être tirés d’affaire ! Tant que la Chine soutiendra le régime, de peur de voir se propager la contagion démocratique à ses frontières, tant que l’opinion internationale restera sourde aux témoignages des transfuges du nord, les mafieux qui ont mis le pays en coupe réglée pourront continuer à s’enrichir : une réunification à l’allemande coûterait au moins 60 ans d’efforts et de rigueur budgétaire à la Corée du Sud… Il n’est pas sûr que la population du Sud soit prête à les consentir….

En attendant, chacun de nous peut faire ce qui dépend de lui ; pour chaque exemplaire vendu de Rescapé du camp 14, 0,50€ sont reversés au Comité d'aide à la population nord-coréenne....

Je ne vous dis rien de la formidable odyssée qui a mené Shin du Camp 14 à la liberté, elle est aussi hallucinante que son séjour en enfer….
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Re: Rescapé du camp 14

Messagepar mandarine » 17 Août 2012, 09:00

je suis bouleversée à la lecture de votre message , et en colère aussi
je vais prendre un peu de recul avant de participer
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
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Re: Rescapé du camp 14

Messagepar mandarine » 21 Août 2012, 19:38

Si ce récit était paru dans "le Monde" , nul doute que nous aurions trouvé une levée de boucliers pour mettre en doute la véracité de celui-ci .
" Il n'y a pire sourd que celui qui ne veut entendre et pire aveugle que celui qui ne veut voir "
J'achèterai ce livre mais ne sais si j'aurai le courage de le lire , ce récit me rappelle des évènements que ma famille a elle-même connus

Je savais qu'il se passait des choses terribles en Corée du Nord mais j'étais loin d'imaginer à quel point , de nos jours , un peuple entier peut être prisonnier de la folie d'un seul homme , d'un régime .
Des potentats continuent de tomber régulièrement mais il en reste toujours .
Ce qui se passe en Corée du Nord n'est même pas comparable à ce que furent les nazis,les évènements du Rwanda ou du Biafra...
Rien ne sert de leçon
car tout de même,cette situation est connue des plus grands de ce monde,et non seulement on laisse perdurer mais on "colmate"pour se donner bonne conscience
Je suis en colère contre notre lâcheté,notre indifférence,nos compromis ,notre "confort" intellectuel et matériel

Le récit de ce rescapé du"Camp 14" vaut infiniment plus que le Prix Confucius décerné par la Chine, voisine de la Corée du Nord, à Poutine , autre voisin de la Corée du Nord.
Les petits cadeaux renforcent "l'amitié"; à l'occasion , c'est peut-être un antidote contre ces épidémies qui ont tendance à se déclarer au printemps et à l'éclosion du Jasmin

aux amateurs des Fables de la Fontaine, le septième vers des Animaux malades de la peste.:
:
Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés


C'est ce que je souhaite à tous ces potentats,présents et à venir, et à ceux qui les soutiennent
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Re: Rescapé du camp 14

Messagepar mandarine » 22 Août 2012, 06:36

No Comment ...

Issue de la propagande nord-coréenne, cette photo diffusée le 19 août ne rend pas franchement service à Kim Jong-Un : ce sont des visages crispés - pour ne pas dire effrayés - qui entourent le dirigeant suprême tandis qu'il rend visite à des familles de soldats, sur l'île de Mu. (KCNA/CHINE NOUVELLE/SIPA)



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Re: Rescapé du camp 14

Messagepar laoshi » 22 Août 2012, 08:18

Mandarine a écrit: Si ce récit était paru dans "le Monde" , nul doute que nous aurions trouvé une levée de boucliers pour mettre en doute la véracité de celui-ci .


Vous ne croyez pas si bien dire, Mandarine ! j'ai lu dans le courrier des lecteurs du Monde exactement le même genre de messages concernant la Corée du Nord que ceux que nous servent régulièrement les dévots du PCC ailleurs ! même déni de réalité, même aveuglement volontaire, même hargne contre ceux qui osent écorner le mythe ! je ne sais plus à quelle occasion : avènement du petit dernier de la dynastie, visite de Hu Jintao ? En tout cas, je n'en croyais pas mes yeux...

Votre photo est en elle-même un formidable aveu ! c'est, comme dirait Freud, "le retour du refoulé" !
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une interview de Shin sur France 2

Messagepar laoshi » 27 Août 2012, 09:26

Vous pouvez voir un bref reportage de France 2 consacré à Shin Dong Hyuk (durée de 3 minutes 17) ; et voici le texte du reportage...
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Le camp 14 sur ARTE

Messagepar Faustula » 04 Mars 2014, 15:17

Camp 14, dans l'enfer nord-coréen, un documentaire de 55 minues sera diffusé sur ARTE jeudi 6 mars à 0H 20. J'espère qu'il sera visible sur le site de la chaîne, parce qu'à cette heure-là...
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Re: Rescapé du camp 14

Messagepar laoshi » 06 Mars 2014, 08:03

Merci pour l'info, Faustula. J'essaierai d'enregistrer...
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Re: Rescapé du camp 14

Messagepar mandarine » 07 Mars 2014, 07:30

:(
J'ai "tenu " jusque 00.58 et n'ai rien vu venir ,
ou bien , j'ai patienté devant la mauvaise chaine...à moitié endormie.

Je viens de voir qu'il était possible de revoir la diffusion en Replay TV jusqu'au 13 mars ,si j'ai bien lu.
Le film dure 1h30.
Merci pour l'info Faustula.
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Re: Rescapé du camp 14

Messagepar laoshi » 07 Mars 2014, 08:37

Je n'ai pas réussi à tenir jusque là. Je me suis endormie sur mon livre... J'espère pouvoir regarder le documentaire sur le site d'Arte.
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