Est-il question de cet article que je vous soumets "un peu en vrac..."
http://www.courrierinternational.com/ar ... s-en-enfer Après trois mois au secret dans le sinistre centre d’investigation de Chongqing, au Sichuan, Liao Yiwu est enfin officiellement placé en état d’arrestation le 13 juin 1990. Dans le chapitre qui suit, intitulé “Les morts-vivants”, il raconte son transfert au centre de détention n° 2 de la ville. C’est là qu’il devra attendre son procès. Le fourgon de police roulait à tombeau ouvert, sans s’embarrasser de ralentir dans les virages. Quand il rasa le trottoir en bas d’une descente, les passants effrayés s’enfuirent comme des moineaux.
LITTÉRATURE • Liao Yiwu - Quatre années en enfer
Jamais encore n’avait été publié un témoignage d’une telle force littéraire sur les geôles chinoises. Dans l’empire des ténèbres sort ce mois-ci en France. Le poète Liao Yiwu y relate les quatre années qu’il a passées en détention entre 1990 et 1994, condamné pour avoir dénoncé les massacres de la place Tian’anmen. En voici un extrait exclusif.
Les autres véhicules pilaient ou se rabattaient pour le laisser passer. L’inconscient qui tenait le volant freina brutalement pour s’arrêter à quelques centimètres de la voiture qui nous précédait et mon corps poursuivit sur la lancée. Grosses lunettes et moi fûmes projetés vers l’avant comme des diables pressés de rejoindre l’enfer. Notre camionnette se faufilait dans la circulation, et les magasins de part et d’autre s’estompaient pour n’être plus qu’une scène colorée qui filait, dont le rideau s’abaissait et se levait à toute allure. Nous finîmes par atteindre le no 15 de la rue Shibanpo, section nord. Je plissai les yeux et devinai le panneau du centre de détention municipal de Chongqing, où j’allais devoir attendre mon procès.Le policier à l’avant de la voiture se pencha à l’extérieur et tendit une feuille de papier à un planton dont le casque descendait presque jusqu’aux sourcils.
Le garde examina attentivement la feuille et nous fit signe d’avancer vers un lotissement méticuleusement entretenu, submergé de plantes luxuriantes et de fleurs à peine écloses. La voiture se hissa jusqu’en haut d’une butte et contourna un terrain de football où des officiers torse nu s’entraînaient au corps-à-corps. Ils se jetaient à terre ou lançaient des coups de pieds dans les airs en beuglant des “Tue ! Tue !” Je frissonnai nerveusement, comme un rat effrayé.A la deuxième entrée, un gardien me conduisit au-delà de la porte, puis nous traversâmes un grand parking flanqué de part et d’autre d’allées ombragées qui s’enroulaient autour d’un lit de fleurs. On m’ordonna d’attendre ; Grosses lunettes continua sans moi. Dix minutes plus tard, je grimpai les mêmes marches de pierre que lui. Le chemin enchaînait ses méandres au gré de pelouses et d’autres massifs de fleurs. J’étais surpris de ce paysage digne d’un hôtel de luxe, avec des tables et des sièges de pierre posés ici et là.Nous poursuivions notre ascension sur ce raidillon, et le vent qui sifflait me frappait les joues. Le plus grand centre de détention de la ville, perché en haut d’une volée d’escaliers escarpés et caché parmi des monts boisés, se révélait sinistre. De prime abord, on aurait dit un autel dressé là pour un sacrifice ou un temple dédié à un dieu très particulier. Je redressai le dos et me tins au garde-à-vous comme on venait de me l’ordonner, mais je ne pus m’empêcher de tourner la tête pour admirer le coucher du soleil, qui se retirait en un raz-de-marée de lumière. La ville tentaculaire scintillait en contrebas comme une gigantesque
o Yiwu : enfin libre de publier !
A l'occasion de la sortie en France de ses mémoires de prison : Dans l'empire des Ténèbres, le poète Liao Yiwu revient sur la censure en Chine et sa découverte d'un univers où la liberté de parole existe.
Courrier international |
Propos recueillis par Agnès Gaudu |
24 janvier 2013
"Dans l'Empire des Ténèbres", dernier livre de Liao Yiwu, évoque l'enfer qu'a vécu l'écrivain en Chine pour avoir dénoncé le massacre de la place Tian'anmen - Elke Wetzig/CC
Votre livre est à la fois un témoignage et une œuvre littéraire. Quel aspect compte le plus pour vous ?
LIAO YIWU Avant de faire de la prison, le plus important pour moi était la littérature. Après, témoigner est devenu central. Dans un pays comme la Chine, dire la vérité prend la première place. Si l'on met en balance la littérature et la recherche de la vérité, le principal est sans aucun doute de trouver les moyens par l'écriture de rendre le mieux compte de cette réalité.
Quelles sont vos impressions de publication en Occident ?
En Allemagne, même si le texte a subi quelques modifications au cours de la traduction, le travail d'édition a été très sérieux, je n'avais jamais vu ça en Chine. Lorsque, en 2001, j'ai publié sous un pseudonyme L'Empire des bas-fonds [Bleu de Chine, 2003], l'éditeur chinois avait dû faire très attention à certains aspects politiques. Il lui fallait être vigilant sur certains aspects trop sombres, trop politiques, pour passer le cap de la censure. Je ne supporte pas cette censure. Cela m'a conduit à ne plus rien avoir à manger. C'est pourquoi je dis souvent que si un écrivain passe avec succès l'examen de la censure il ne s'agit certainement pas d'un bon écrivain.
Lorsque Mo Yan [Prix Nobel de littérature 2012] compare le système de censure chinois à un dispositif de sécurité des avions, pour moi cela prouve qu'il est un mauvais écrivain. Si vous êtes quelqu'un qui ose parler, comment admettre que la censure de l'opinion équivaut à un examen de sécurité ? C'est impardonnable.
Vous attendiez-vous au succès de ce témoignage de prison ?
Au début, non. Ce n'est pas une lecture très gaie. Pas du tout, même. De nombreux témoignages d'anciens prisonniers politiques chinois sont écrits avec un certain espoir, pour préserver un tant soit peu une dimension d'idéal. Ils cherchent la lumière dans les ténèbres. Mon livre n'a pas du tout cet esprit-là. Mes propres actes ne me distinguent guère parmi les prisonniers, et le lecteur peut penser que je perds complètement la face. Alors je ne croyais pas que beaucoup de gens le liraient. Puis il a connu un succès inattendu en Allemagne, et a même obtenu un prix [celui des éditeurs et libraires allemands].
Comment expliquez-vous ce succès ?
Je pense que c'est dû à ma fuite de Chine, qui leur semble mystérieuse, et qui suscite la curiosité. Quand je suis sorti de Chine [en 2011], mes amis étaient très excités, ils se demandaient comment j'avais fait. Ils ne pouvaient pas y croire. En fait, c'est simple, la Chine est un pays corrompu, il suffit d'avoir de l'argent pour sortir, et puis les frontières sont très longues.
Quelle réaction a eu la Chine après la publication de ce livre en Occident ?
Ils ont publié un éditorial disant que je suis plein de haine, et aussi que je suis fou. Avant, les prisonniers politiques, les écrivains dans mon genre, étaient mis en hôpital psychiatrique. Cela s'est vu souvent, je le sais.
A l'occasion de la présentation de votre livre au Palais de Tokyo, le 17 janvier, l'ancien ministre de la Justice Robert Badinter en a fait un éloge appuyé, en parlant d'un "chef-d'œuvre de la littérature carcérale". Il s'est également interrogé sur la situation actuelle dans les prisons chinoises.
Mon récit porte sur une période donnée [1990-1994]. Ce genre de témoignages est rare, et il est donc difficile de faire des comparaisons.
Ce que j'écris concerne la situation d'il y a vingt ans. Y a-t-il eu tellement de progrès que cela, en vingt ans ? A l'époque, il n'y avait guère de différence entre la situation que nous connaissions et celle qui prévalait vingt ans auparavant, dans les années 1960, ou même 1950 [plusieurs des codétenus de Liao Yiwu étaient incarcérés depuis très longtemps]. Les progrès sont infimes. A Chongqing, il y a vingt ans, les règles étaient celles qui avaient toujours été. Considérant que cette dictature ne change pas, il n'y a pas de raison pour que la prison change. Et puis, quand un régime est en crise, la prison est d'autant plus dure.
ois
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo