Xinran : Messages de mères inconnues

Xinran : Messages de mères inconnues

Messagepar laoshi » 21 Avr 2013, 10:38

Avec Messages de femmes inconnues, Xinran nous entraîne en enfer, l'enfer de l'infanticide et de l'abandon des petites filles tels qu'ils sont, aujourd'hui encore, pratiqués en Chine.

Les quelque 120 000 enfants adoptés par des étrangers entre 1992 et 2007 (ou plutôt "adoptées", car ce sont pratiquement toutes des petites filles) sont des rescapé(e)s. Leur nombre effarant témoigne du grand "massacre des innocent(e)s" auquel ils et elles ont heureusement échappé.

Trois causes président, selon Xinran, à cette hécatombe silencieuse : le poids de la tradition, l'absence d'éducation sexuelle et la politique de "l'enfant unique".

Le système de répartition des terres, malgré la longue parenthèse de la collectivisation, donne de temps immémorial le pas aux hommes sur les femmes. Mis en œuvre dès la dynastie Xia (2070-1600 av. J.C.), perfectionné sous les Zhou (1045-256) par le système des "neuf parcelles" (sur neuf parcelles cultivées par huit familles, une récolte revenait au seigneur tandis que chacune des huit autres revenait en propre à un foyer) puis par le système du "partage équitable" sous les Wei du nord (vers 485 après J.C.), le mode de répartition des terres dépendait du nombre de bouches à nourrir de chaque foyer mais aussi du sexe de ses membres. Les femmes recevaient moitié moins de terres arables et de terres à mûriers (pour l'élevage des vers à soie) que les hommes et, depuis la dynastie Tang (618-907), elles ne pouvaient plus les posséder en propre. Dès lors, la prospérité des familles était directement affectée par leur structure : faire beaucoup de garçons arrondissait le patrimoine, faire des filles revenait à s'appauvrir et ce d'autant plus qu'il fallait (et qu'il faut encore) doter les filles à marier qu'on élève pour une autre famille. Comme le dit le dicton, élever une fille, c'est "répandre de l'eau sur le sable"…

Mais, au-delà de ces raisons économiques, de puissants facteurs symboliques sont à l'œuvre dans la discrimination dont restent victimes les petites filles. Comme le disait Fernand Braudel, "les mentalités aussi sont prison de longue durée" ! Seuls les garçons héritent du nom du clan et peuvent perpétuer la lignée, ils sont donc les seuls à pouvoir rendre aux ancêtres le "culte de l'encens" (rôle qui revient à l'aîné) aussi la naissance d'une petite fille est-elle rarement la bienvenue d'autant que l'on continue à croire, sur la foi des devins, que tuer un nouveau-né "évitera des catastrophes naturelles" ou "épargnera des ennuis futurs à la famille" !

Dans un tel contexte, la politique de "l'enfant unique" ne peut qu'aggraver la situation. La loi a beau interdire l'infanticide des petites filles depuis le fameux "il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain" de Mao, le poids de la tradition est tel qu'il est encore couramment pratiqué dans les campagnes et même dans les villes. Quant à la malheureuse qui met au monde une petite fille est accablée de honte quand elle n'est pas accablée d'injures et de coups. Le seul fait que la loi prenne la peine d'interdire ces comportements sont la meilleure preuve qu'ils continuent à exister de manière chronique….


Le législateur, dans la loi du 29 septembre 2001, a écrit: La discrimination et les mauvais traitements infligés aux femmes qui mettent au monde des enfants de sexe féminin ou qui sont atteintes de stérilité sont interdits. La discrimination, les mauvais traitements et l'abandon des bébés de sexe féminin sont interdits.

La loi de "l'enfant unique" a été adoptée en décembre 1979 à l'instigation du professeur Ma Yinchu qui, dès les années 1950, s'est fait le chantre d'une limitation drastique des naissances. Selon le Malthus chinois, il y avait une contradiction majeure entre l'édification du socialisme, qui passait par le développement de l'industrie (singulièrement de l'industrie lourde), et l'existence d'une agriculture dévoreuse de terres tournée vers les cultures vivrières. Pour libérer des terres pour les "cultures de rapport" destinées à l'exportation ou à la production de matières premières comme le coton ou les vers à soie, il fallait réduire le nombre de bouches à nourrir. Mao, qui voyait dans la démographie galopante un atout stratégique (l'armée chinoise est la plus nombreuse du monde), ne l'entendait pas de cette oreille : le professeur Ma fut contraint de démissionner de l'université de Pékin en 1960 avant de devenir l'une des bêtes noires de la Bande des Quatre pendant la Révolution culturelle. Réhabilité après la mort de Mao, il inspira "l'ère du planning familial" instaurée dans les années 1980. Si cette loi épargne les minorités et peine encore à s'imposer dans les régions montagneuses de l'ouest de la Chine, elle sévissait et sévit encore de manière draconienne dans les régions urbaines de l'est même si elle a été assouplie à Shanghai depuis 2009 :

Xinran, dans Messages de mères inconnues, a écrit: Presque tout le monde a vécu sous le régime de l'économie planifiée jusqu'au début des années 1990. Avoir plus d'un enfant signifiait perdre sont travail, son logement (alloué par l'employeur), ses droits aux rations alimentaires et vestimentaires, les droits de son enfant à l'instruction et aux soins médicaux, et même ses chances de trouver un autre travail, attendu que personne n'aurait osé vous embaucher.

Il n'y a pas de serment d'Hippocrate en Chine et il n'est pas question en effet pour les hôpitaux d'accueillir et de laisser vivre un bébé qui n'aurait pas été "autorisé" à naître, nous l'avons vu avec un cas d'infanticide "sur ordre" : Xinran elle-même en a fait le constat amer en arrachant à la mort une petite fille déposée à même le sol près de latrines publiques de Nankin sous les regards indifférents ou résignés des badauds ! Seule la menace de diffuser l'information lors de son émission de radio, très écoutée, a décidé l'équipe médicale à sauver l'enfant….

On comprend que les petites filles soient les premières victimes de cette politique brutale. L'absence d'éducation sexuelle et même d'information sur la contraception, combinée à une relative libération sexuelle parmi les étudiants, a considérablement augmenté le nombre de naissances "indésirables". Les orphelinats, qui n'existaient pratiquement pas avant 1990 ou n'étaient que de sinistres mouroirs, ont vu exploser le nombre de nourrissons (filles en grande majorité) qui leur était confiés…. Devant l'ampleur du phénomène, le gouvernement chinois s'est résigné à autoriser l'adoption internationale en décembre 1991, loi entrée en vigueur en avril 92. Dès lors, tenir un orphelinat devint un commerce lucratif, comme celui de l'avortement : financés par des associations caritatives étrangères, les orphelinats devinrent prospères. Il ne faudrait pas croire, néanmoins, que les enfants en aient toujours profité. Les cadres y ont vu un formidable moyen de "faire rentrer des devises étrangères et de développer l'économie locale", certains même n'hésitant pas à acheter des enfants aux trafiquants pour alimenter leurs caisses. Xinran s'est vu refuser l'entrée d'un orphelinat qu'elle finançait elle-même : allez savoir ce que les responsables avaient à lui cacher !

Les récits que rapporte Xinran à la suite de cette analyse sont bouleversants. Sages-femmes jetant sans états d'âme les petites filles vivantes dans le seau à pâtée du cochon ou les étranglant avec le cordon ombilical avec la bénédiction des cadres locaux, parents dans l'attente d'une nouvelle naissance fuyant le contrôle du Planning Familial et semant sur leur chemin les petites filles "surnuméraires" déjà nées, étudiante contrainte par ses parents, professeurs d'université, à abandonner son enfant à la suite d'une grossesse hors-mariage, mères enchaînant les tentatives de suicide après avoir été forcées à l'infanticide ou à l'abandon…. La Chine est, semble-t-il, l'un des rares pays au monde où les suicides féminins sont plus nombreux que les suicides masculins : beaucoup de paysannes désespérées avalent des pesticides pour expier la terrible culpabilité qui pèse sur elles et échapper à leur désespoir. C'est pour toutes ces malheureuses et pour leurs petites filles disparues que Xinran a fondé The Mothers'Bridge of Love et a écrit ce livre….
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23

Re: Xinran : Messages de mères inconnues

Messagepar mandarine » 21 Avr 2013, 16:17

C'est bien triste tout cela ,mais pas étonnant .
Peut-on trouver ce livre en français ?
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
Avatar de l’utilisateur
mandarine
 
Messages: 1848
Inscrit le: 08 Juil 2011, 21:44
Localisation: reims

Re: Xinran : Messages de mères inconnues

Messagepar laoshi » 22 Avr 2013, 07:02

Mais bien sûr, Mandarine ! Le livre est publé chez Picquier poche. prix éditeur 8 €
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23


Retour vers témoignages et récits autobiographiques

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 1 invité

cron