« Les Confessions de maître Zhang » (éd. François Bourin)

« Les Confessions de maître Zhang » (éd. François Bourin)

Messagepar mandarine » 27 Sep 2013, 19:14

Il fut l'avocat de la bande des quatre et des dissidents chinois . Ce n'est pas rien! Comment vit-on après de tels évènements...Il y aurait matière à plusieurs livres.
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578 pages , 26 euros environ

Maître Zhang, l’avocat chinois qui « perd ses procès » mais fait avancer la justice
Pierre Haski | Cofondateur Rue89



Maître Zhang Sizhi a un titre de gloire ironique : il a perdu tous ses procès. Cet avocat chinois, aujourd’hui âgé de 86 ans, aura néanmoins marqué l’histoire de son pays : pionnier de la renaissance du droit en Chine après l’ère maoïste, ses clients passés ont des noms aussi célèbres que la veuve de Mao ou les acteurs de Tiananmen.

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Me Zhang Sizhi à Paris le 24 septembre 2013 (Pierre Haski/Rue89)

C’est un monsieur élégant à l’allure fragile qui se présentait mercredi matin à Paris pour la sortie de la biographie qui lui est consacrée, « Les Confessions de maître Zhang » (éd. François Bourin), un récit qui se lit comme une histoire parallèle de la Chine des quarante dernières années.
« L’avocat qui n’a jamais gagné de procès »

Dans sa préface, Zhang Sizhi fait preuve d’une fausse modestie, regrettant de ne pas avoir la force et le talent d’un Emile Zola et de son « J’accuse » :

« Hélas, je suis l’avocat qui n’a jamais gagné de procès ; en quoi cela méritait-il une biographie ? »...

La réponse tient dans les 579 pages écrites par Judith Bout, une chercheuse française spécialisée dans le droit chinois, et qui a réussi à le convaincre de se livrer à l’exercice de la biographie. Autobiographie, devrait-on dire, puisque le livre est écrit à la première personne du singulier, même si Zhang Sizhi n’a pas pu relire, pour cause de langue, le récit de la jeune femme devenue « complice ».
« Penser autrement n’est pas un crime »

Zhang Sizhi, explique Judith Bout, a « réinventé » la profession d’avocat dans les années 80, après l’ère maoïste où les droits de la défense étaient considérés comme un héritage bourgeois sans valeur.

Il a certes perdu tous ses procès, mais en se battant pour défendre ses clients dans la plupart des grands procès politiques des années 80 et 90, en particulier ceux liés au Printemps démocratique de la place Tiananmen en 1989, il a fait avancer une idée audacieuse :

« Le premier, il a su dire dans les tribunaux ce qui ne se dit pas en Chine : penser autrement n’est pas un crime. »

Sa présence à Paris au lendemain du verdict du procès de Bo Xilai, cet ancien dirigeant du Parti communiste chinois, membre de l’« aristocratie rouge » (son père était l’un des plus proches compagnons de Mao), condamné à la prison à vie dimanche pour corruption et abus de pouvoir, était l’occasion d’entendre son avis d’expert sur le déroulement de ce procès hors norme.
Sur Bo Xilai, « des sujets à ne pas aborder »

Bo Xilai devant le tribunal de Jinan au moment du verdict, le 22 septembre 2013 (JINAN IPC/AFP)

Pour maître Zhang, « le travail des juges a été particulièrement remarquable », donnant largement à Bo Xilai le temps et la possibilité de se défendre. Pour autant, ce procès était selon lui parfaitement cadré, n’abordant pas un certain nombre de questions-clés.

« Il a dû y avoir une réflexion au sommet du parti sur les sujets à ne pas aborder au tribunal, et le message est bien passé. [...] De hauts personnages du parti sont intervenus pour peser sur ce procès. »

Zhang Sizhi estime que les quelques avancées de procédure du procès de Bo Xilai restent « un cas exceptionnel : on ne peut pas généraliser à des cas plus ordinaires ».

Néanmoins, l’impact du procès dans l’opinion chinoise, qui a été captivée par les compte-rendus partiels d’audience, risque d’être important :

« Ce procès a élevé le niveau de compréhension du droit, et va stimuler le désir de justice de la population. »

Les procès tronqués de l’après-Tiananmen

Le déroulement du procès Bo Xilai, y compris son refus de plaider coupable et de reconnaître des aveux extorqués sous pression, contraste néanmoins avec les récits des procès des clients de maître Zhang qui figurent dans le livre.

En particulier ceux de l’après-Tiananmen, lorsque le Parti communiste chinois a utilisé l’arme judiciaire comme un instrument de vengeance contre les activistes du mouvement démocratique, mais aussi contre des cadres importants du PCC qui s’étaient opposés au massacre.

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Bao Tong, bras droit du secrétaire général du PCC au moment de Tiananmen, défendu par maître Zhang. Photo de 2009 (Ng Han Guan/AP/SIPA)

C’est le cas de Bao Tong, bras droit du secrétaire général du PCC d’alors, Zhao Ziyang, limogé par Deng Xiaoping. Bao Tong a été arrêté et poursuivi pour « divulgation d’importants secrets d’Etat » et « incitation et propagande contre révolutionnaires ».

En fait, Bao Tong était surtout victime de la haine personnelle de Li Peng, le premier ministre chinois de l’époque, l’homme qui avait plaidé auprès de Deng Xiaoping pour envoyer l’armée nettoyer la place Tiananmen. Dès lors, le procès était couru d’avance.
« La défaite judiciaire était inéluctable »

Zhang Sizhi raconte son état d’esprit au moment du procès :

« Je me sentais serein : je maîtrisais parfaitement l’affaire, j’appuierais la démonstration du professeur Yang Dunxian [l’autre avocat, ndlr] face à des procureurs dont je n’avais rien à craindre, vu la piètre qualité de l’acte d’accusation.

La collaboration avec Bao Tong serait fluide, nous mesurions tous les deux les enjeux symboliques de cette bataille. Si la défaite judiciaire était inéluctable, nous l’emporterions facilement sur le terrain des principes. »

Bao Tong fut condamné à sept ans de prison, mais ne fut jamais autorisé à reprendre une vie normale après avoir purgé sa peine : il est soumis à d’importantes restrictions à sa liberté de mouvement et de parole.

Le livre raconte par le détail bon nombres d’affaires de ce genre, reproduisant de larges extraits des plaidoiries de Zhang Sizhi, généralement prononcées à huis clos, qui racontent une époque pas si lointaine.
« Un jour, des avocats plus brillants que moi... »

Maître Zhang porte aujourd’hui un regard ironique et lucide sur cette histoire qui n’est pas révolue :

« J’ai perdu tous mes procès, mais je ne suis pas pour autant un loser... Si un juge arrivait à retoquer un seul de mes arguments, je reconnaîtrais ma faute. Mais ça n’est jamais arrivé.

Un jour, des avocats plus brillants et plus compétents que moi finiront par gagner pour le compte d’un de leurs clients. Mais notre justice n’a pas acquis son indépendance, et tant que ça ne sera pas le cas, on ne pourra pas gagner. »

A travers la justice, c’est évidemment toute la question du pouvoir du Parti communiste chinois qui est posée. Le parti-Etat permettra-t-il un jour la séparation du parti et de l’Etat ? C’est une des questions-clés de l’avenir politique de la Chine.

En attendant ce jour, il faut lire les « Confessions de maître Zhang » pour comprendre le prix à payer lorsque la justice est directement soumise à l’autorité d’un parti politique tout-puissant. Et le courage qu’il a fallu à un avocat, membre de ce parti de surcroît, pour aller à contre-courant.


http://www.rue89.com/2013/09/25/maitre- ... ice-246057
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
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Re: « Les Confessions de maître Zhang » (éd. François Bourin

Messagepar laoshi » 28 Sep 2013, 06:08

Merci pour cette référence bibliographique, Mandarine. Je vais m'empresser d'acheter ce livre.

La référence à Zola et, implicitement à l'affaire Dreyfus (même si, évidemment, Bo Xilai n'est pas Dreyfus !), est intéressante : "Il a dû y avoir une réflexion au sommet du parti sur les sujets à ne pas aborder au tribunal", affirme Zhang Sizhi ; après J'accuse, lors du procès en diffamation intenté à Zola, le président du tribunal, aux ordres, s'est rendu célèbre en martelant "la question ne sera pas posée" à chaque fois que l'avocat de Zola, maître Labori, évoquait le déni de justice qui avait envoyé un innocent au bagne...

Cette biographie nous montre aussi comment est verrouillé le système : apparemment, il vaut mieux appartenir au Parti si l'on veut accéder au métier d'avocat de même qu'il vaut mieux appartenir au Parti si l'on veut faire éditer ses livres en tant que romancier. Bon moyen de museler les consciences pusillanimes... mais il y a heureusement des hommes capables de dépasser ces contingences pour faire triompher "les principes"...

Que Zhang Sizhi parle maintenant, à 86 ans, n'est pas non plus un hasard. Cela me rappelle les papys qui ont dénoncé les dérives néo-maoïstes de Bo Xilai dans une lettre ouverte. A cet âge-là, on ne craint plus grand-chose et on ne se laisse pas facilement intimider.
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