une image culte du maoïsme

une image culte du maoïsme

Messagepar laoshi » 05 Jan 2017, 19:00

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Cette statuette, que ma belle-sœur a achetée à Hong-Kong, est une image « canonique » du culte maoïste. On la voyait partout, dans les usines, dans les bureaux et, bien sûr, dans les maisons et les appartements « privés ». Elle représente Mao vêtu d'une longue tunique, un parapluie sous le bras allant encourager la rébellion des mineurs à Anyuan. Elle est faite sur le modèle de la peinture la plus célèbre de la Révolution culturelle,
, [Máo zhǔxí qù ān yuán], le Président Mao sur le chemin d’Anyuan, promue par Jiang Qing en personne comme œuvre modèle à l’égal des huit « opéras et ballets révolutionnaires ».

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Cette peinture de 106 cm X 76cm, reproduite à 900 000 000 d’exemplaires en poster, est l’œuvre de
春花 [liú chūn huā], Liu Chunhua, un garde rouge qui étudiait à l’Académie Centrale des Arts de l’Industrie, mais elle a été conçue collectivement par un groupe d’étudiants de plusieurs universités et autres instituts de Pékin, comme une paraphrase de la définition que Mao avait donnée de lui-même à Edgar Snow, auteur de A Red Star over China, une hagiographie du « Grand Timonier » devenue un best-seller chinois.

Interviewé par Edgar Snow le 18 décembre 1970 sur sa philosophie politique, Mao lui avait répondu qu’il était « un moine solitaire parcourant le monde sous un parapluie percé » ; Edgar Snow ne connaissait pas assez bien la langue chinoise pour comprendre ce calembour cynique de son interlocuteur. Il ne connaissait pas non plus suffisamment la culture et l’histoire chinoises pour saisir le sens de l’allusion.

En réalité, comme le montre Simon Leys, l’expression employée par Mao évoque une sorte de devinette en quatre caractères -
打伞 [hé shàng dǎ sǎn] « le moine ouvrant son parapluie »-, dont l’interlocuteur doit trouver la suite, en quatre caractères également. Elle fonctionne comme notre « quand le chat n’est pas là… ». La suite, connue de tous, est : [wú fǎ wú tiān] « ni cheveux ni ciel ». La phrase complète à laquelle Mao fait allusion est donc « quand le moine ouvre son parapluie, il n’a ni cheveux (puisque les moines ont la tête rasée) ni ciel (puisque son parapluie l’empêche de voir le ciel) ».

Mais l’expression
[wú fǎ wú tiān « ni cheveux ni ciel »] est un calembour archiconnu des Chinois : [wú fǎ] (« sans cheveux ») est en effet homonyme de [wú fǎ] (« sans lois ») ; l’image exemplaire du moine ascétique se transforme ainsi en son contraire absolu : un moine avec un parapluie est un homme… sans foi ni loi !

C’est un peintre irrévérencieux de la dynastie Ming qui est à l’origine de ce jeu de mots : il avait représenté un moine portant un parapluie pour fustiger la politique de l’empereur Taizu, qui avait été moine avant d’accéder au pouvoir, et qui n’hésitait pas à violer les lois. Or Mao admirait tout particulièrement cet empereur ! Non seulement Taizu était parfaitement indifférent, comme lui, à l’Etat de droit, mais encore il avait inauguré une politique culturelle digne du maoïsme. Outre qu’il terrorisait les intellectuels et les adeptes du confucianisme, il avait fait éditer une compilation de ses pensées en « une brochure intitulée Ming da gao (« Grand édit Ming »), dont la lecture était obligatoire pour tous les sujets de l’Empire ; chaque famille, nous apprend Simon Leys, devait en posséder un exemplaire » comme les Chinois de l’ère Mao se devaient de posséder le Petit Livre Rouge !

Edgard Snow, dans sa naïveté, a créé un « chromo politico-religieux » maoïste que « l’intelligentsia occidentale » s’est empressée d’adopter à la suite des gardes-rouges. Toute parole du Grand Timonier devenant parole d’évangile, le jeune garde-rouge a pris l’expression au pied-de-la-lettre et a donné à Mao le profil ascétique du moine solitaire muni de son seul parapluie pour peindre l’un des premiers épisodes de la geste maoïste. Il prétend s’être inspiré, pour ce faire, des recommandations des mineurs d’Anyuan, dont la grève, inspirée du dogme soviétique, était la première grève exclusivement ouvrière en Chine.

En réalité, ce périple du « moine » Mao vers Anyuan était une tentative pour rentrer en grâce après un pas-de-clerc : Mao, qui recevait depuis peu une somme rondelette de Moscou pour recruter des militants communistes et organiser des syndicats, consacrait surtout ses subsides, comme il le disait lui-même, à « bien manger tous les jours ». En octobre 1921, il s’était installé dans l’élégante demeure qui servait théoriquement de bureau au Parti du Hunan ; il y avait même des domestiques, ce qui suscitait une vive indignation parmi ses « camarades ». Le Parti sanctionna d’ailleurs son peu de zèle militant en ne l’invitant pas à participer du II° Congrès de juillet 1922.

En érigeant ce tableau en œuvre-modèle, Jiang Qing faisait d’une pierre deux coups : elle effaçait le souvenir désastreux du pacha Mao au Hunan et elle établissait la vulgate révolutionnaire de l’antériorité du voyage de Mao à Anyuan sur celui de son grand rival, Liu Shaoqi. Or, même si Mao s’est en effet rendu à Anyuan à la fin de 1921 (ses adeptes, peu regardants sur la vérité historique, lui prêtent jusqu’à 7 voyages !), il se préoccupait fort peu alors du sort des mineurs ! C’est Liu Shaoqi, de retour de l’URSS, qui avait joué un rôle décisif dans la première grève ouvrière suscitée par le Parti en 1922.

Or, une toile de Hou Yimin, Liu Shaoqi et les mineurs d’Anyuan, peinte en 1960 ou 1961, immortalisait la scène (une nouvelle version en a été donnée en 1979) ; typique du réalisme socialiste, elle représentait Liu au milieu de mineurs aussi farouches que faméliques ; elle sera détruite pendant la Révolution Culturelle, en 1968, après que Liu Shaoqi, jugé par un « tribunal populaire » avec sa femme, en août 1967, aura été définitivement évincé. On en trouve pourtant la trace sur l'interne chinois (mais je ne sais s'il s'agit d'une reproduction ou de l'original) :

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L’œuvre de Liu Chunhua, qui devait la remplacer dans l’imaginaire communiste, était le clou de l’exposition La pensée de Mao Zedong illumine le mouvement des ouvriers d’Anyuan qui ouvrit ses portes le 1er octobre 1967. Le titre de la toile, Le Président Mao sur le chemin d’Anyuan, usurpait doublement le titre de « Président » : en 1921, Mao n’était encore qu’un responsable régional aux méthodes pour le moins contestées et il avait dû céder le titre de « Président de la République populaire de Chine », qu’il occupait depuis 1954, à Liu Shaoqi après la catastrophe du Grand Bond en avant, en 1959 !

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Seul, grandi par la perspective, le jeune Mao de Liu Chunhua s’avance tel le dieu d’une nouvelle religion au premier plan de la toile : « Pour faire du Président Mao le point focal de l’image, explique le peintre, nous l’avons placé au premier plan de l’image, il avance vers nous comme le soleil levant apportant l’espoir au peuple. Chacun de ses traits représente la sublime pensée Mao Zedong ; nous nous sommes appliqués à donner du sens à chaque détail de son portrait et de l’image de son voyage. Son port de tête (il domine du regard le chemin qui s’étend devant lui), incarne l’esprit révolutionnaire qui ne recule ni devant le danger ni devant la violence ; il incarne le courage qu’il faut pour lutter et pour « oser triompher ». Son poing serré représente sa volonté révolutionnaire, prête à tous les sacrifices, sa détermination à surmonter tous les obstacles pour affranchir la Chine et l’humanité et sa confiance en la victoire. Le vieux parapluie qu’il porte sous le bras est l’emblème d’une vie de travailleur acharné et de marcheur infatigable, voyageant par tous les temps sur de grandes distances, traversant montagnes et rivières pour la cause révolutionnaire. Ses cheveux, que ses multiples activités ne lui ont pas laissé le loisir de couper, volent au vent d’automne. Sa longue tunique, très simple, flottant au vent, est un présage des tempêtes révolutionnaires à-venir. Avec l’arrivée de notre grand leader, le ciel s’éclaircit au-dessus d’Anyuan. Les collines, le ciel, les arbres, les nuages, expriment de manière artistique l’image sublime du soleil rouge qui illumine nos cœurs. Les nuages séditieux, rapidement balayés, retournent au passé. Ils disent que le président Mao arrive à Anyuan à un point critique d’une intense lutte de classe et montrent, par contraste, combien il est calme et confiant dans la tourmente ».


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De la statue monumentale au timbre poste

Messagepar laoshi » 05 Jan 2017, 19:07

Il y aurait encore beaucoup à dire sur cet épisode de la geste maoïste et sur cette image-culte. Pendant la Révolution Culturelle, on l’offrait aux mariés comme en témoigne ce passage de La Dure Loi du Karma, de Mo Yan (p. 409) :

Mo Yan, dans la La Dure Loi du Karma, p. 409 a écrit:

Pang Kangmei apporte à plat sur les mains un cadre en verre sur la bordure duquel sont inscrits en rouge les mots suivants : "Meilleurs souhaits à Lan Jinlong et à Huang Huzhu, qu'ils soient compagnons dans la révolution !" dans le cadre est inséré un portrait peint représentant le président vêtu d'une longue tunique, tenant à la main un baluchon, un parapluie et se rendant à Anyuan pour encourager la rébellion des mineurs.


On trouve de nombreux exemples de cette image-culte du maoïsme sur l'internet chinois, en voici quelques-uns, de la statue monumentale au timbre poste en passant par les assiettes, les badges, les jades, les porcelaines, les chromos, les posters, etc. Une assiette, publiée pour célébrer l'anniversaire des 120 ans de la naissance de Mao et portant les dates 1893-201,3 montre que le culte perdure dans la propagande du PCC :

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Re: une image culte du maoïsme

Messagepar laoshi » 07 Jan 2017, 09:31

Le New York Times rapporte qu'une reproduction de cette peinture de propagande, prise pour l'image d'un moine, a été exposée dans la salle de presse du Vatican en novembre dernier, tout près d'un portrait de Jean-Paul VI ! Interrogé sur cette curieuse méprise, Fausto Vallaine, le secrétaire du service de presse du Vatican de l'époque a commenté ainsi l'incident : "Que dire, le tableau nous a été envoyé comme cadeau, nous l'avons exposé, voilà tout" . Le 24 décembre, le Vatican affirmait que l'oeuvre controversée ne serait pas retirée de la salle mais, huit jours plus tard, elle l'était bel et bien. La toile aurait été peinte par Luigi Carnevali, aujourd'hui âgé de 86 ans, d'après une photographie de l'original en juin : "c'est un portrait de Mao en jeune séminariste, a déclaré le peintre, va-t-on me mettre en prison pour cela ?"

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Personnellement, je ne veux pas croire à un pas-de-clerc de la part des autorités vaticanes : je note la coïncidence avec la politique de rapprochement du Pape François avec Pékin...

Pour en savoir plus sur les rapports récents de l'Eglise romaine avec le PCC, voir La Croix
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Re: une image culte du maoïsme

Messagepar mandarine » 14 Fév 2017, 17:09

Mao à toutes les sauces...
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
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Re: une image culte du maoïsme

Messagepar laoshi » 20 Sep 2018, 08:19

Un détournement très réussi de cette image culte :

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