du côté de l'agriculture et de l'élevage

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Messagepar laoshi » 11 Mars 2013, 08:54

La catastrophe qu'a été le Grand Bond en avant a démontré, s'il en était besoin, qu'il était fou et criminel de négliger le savoir et le savoir-faire des paysans transmis de génération en génération, depuis la plus haute antiquité parfois.

Selon Robert Temple, qui propose une synthèse des travaux de Joseph Needham (1900-1995) dans Le Génie de la Chine, les prouesses agricoles de la Chine ancienne, très en avance sur l'Occident, sont légion. Il en dresse un inventaire passionnant que je vous propose de découvrir avec moi.
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le semis en ligne

Messagepar laoshi » 11 Mars 2013, 09:35

En introduisant les semailles en ligne dès le VI° siècle avant Jésus Christ, les Chinois anticipaient de quelque 2 200 ans sur les recommandations des agronomes européens. Il a fallu attendre jusqu'au XVIII° siècle, en effet, pour que les paysans européens commencent à abandonner les semailles à la volée !

Les Annales des Printemps et des Automnes a écrit:
Les cultures plantées en lignes mûrissent plus rapidement, car elles se gênent moins dans leur croissance. Les lignes horizontales doivent être bien droites, les lignes verticales faites avec soin, pour que le vent puisse doucement passer au travers.

D'abord "semées à la main le long des billons", les graines furent distribuées par des semoirs à rangs multiples dès le II° ou le I° siècle avant J.C. ce qui allait de pair, évidemment, avec la maîtrise des labours et la traction animale, nous y reviendrons...
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le sarclage et la sociabilité paysanne

Messagepar laoshi » 11 Mars 2013, 11:04

"Il y a trois pouces d'humidité au bout d'une houe", dit un proverbe chinois. Le sarclage intensif s'est développé parallèlement au semis en lignes, dès le VI° ou le V° siècle av. J.C. avec l'utilisation de solides houes de fonte (une bonne houe pouvait durer dix ans !). Là encore le perfectionnement des techniques agricoles va de pair avec l'avancée des techniques métallurgiques : au I° siècle, apparaît une houe à "col de cygne" munie de "lames interchangeables". La sociabilité paysanne n'est pas en reste et Mao, au lieu de regrouper les paysans dans les casernes des prétendues "communes populaires" aurait mieux fait "d'apprendre auprès des paysans", pour utiliser sa propre rhétorique :

Wang Zhen, en 1313, dans son Traité d'agriculture cité par Robert Temple, a écrit:
Dans les villages du nord, les paysans pauvres se regroupent en sociétés de sarclage formées d'une dizaine de familles. Tout d'abord, on sarcle les champs d'une famille déterminée, chargée de pourvoir à l'alimentation des travailleurs. Ensuite, les autres familles se succèdent au cours d'une période de dix jours. C'est une façon rapide et agréable d'effectuer le sarclage, et par ailleurs les familles sont solidaires en cas de maladie ou d'accident. Les champs sont ainsi exempts de plantes adventices et les récoltes sont abondantes. Après la moisson automnale, les membres de la société apportent des pichets de vin et des pieds de porc pour célébrer la fête.

Quant aux paysans riches, ils ont disposé très tôt de houes tractées comprenant deux socs sans versoir qui creusaient des sillons d'irrigation de part et d'autres des semis en ligne tout en détruisant les mauvaises herbes. Liu Xi, au II° siècle ap. J.C., décrit cette invention ingénieuse dans son Dictionnaire...
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le labour, l'araire et la charrue

Messagepar laoshi » 11 Mars 2013, 11:49

Les premières mentions écrites des labours chinois remontent au XIV° siècle avant J.C. mais on a découvert des socs de pierre datant du quatrième, voire du cinquième millénaire avant J.C., ce qui suppose que la traction animale était pratiquée dès le néolithique en Chine.

Les premières araires étant, pour la plupart, en bois, les preuves archéologiques sont rares. Les premiers socs de bronze (découverts au Tonkin) datent néanmoins du XVI° siècle avant J.C. et les premiers socs de fer apparaissent en Chine au VI° siècle avant J.C.

Les guan comprenaient une pointe tranchante au centre et deux ailes latérales inclinées qui rejetaient la terre sur les côtés ; la charrue à châssis, qui permettait de régler la profondeur du labour en modifiant la distance entre la lame et l'age de la charrue, apparaît dès le IV° siècle avant J.C. Des versoirs ingénieux, permettant de réduire les frottements et donc la pénibilité du labour, ont été mis au point au I° voire au II° siècle avant J.C. alors qu'ils n'apparaissent en Europe, sous une forme très primitive et beaucoup moins efficace, qu'au Moyen Age. Les paysans chinois pouvaient ainsi limiter à un ou deux boeufs tout au plus les attelages (contre 6 à 8 bêtes en Europe à la même époque) ce qui leur permettait de réserver l'essentiel de leurs terres non aux pâturages mais à la culture vivrière.


Image
type de charrue primitive

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relief de pierre du II° siècle avant J.C. (Yongzishan, Sichuan)

Des charrues chinoises importées en Hollande au cours du XVII° siècle furent introduites en Angleterre par les Hollandais chargés de drainer les marais du Sommerset ; de là, elles gagnèrent toute l'Europe et l'Amérique. C'est alors que l'acier remplaçant le fer, la charrue, venue de Chine, acquit en Occident de nouvelles performances.

On peut découvrir les différents types de charrues chinoises sur ce site
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Re: du côté de l'agriculture et de l'élevage

Messagepar mandarine » 12 Mars 2013, 10:20

Très intéressant , merci ,Laoshi .

"Il y a trois pouces d'humidité au bout d'une houe", dit un proverbe chinois.

Chez moi , on dit toujours :"un bon sarclage vaut un bon arrosage";je crois que c'est notre équivalent en français.
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
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Re: du côté de l'agriculture et de l'élevage

Messagepar laoshi » 12 Mars 2013, 15:33

J'ai trouvé sur internet un site chinois consacré à l'histoire de l'agriculture chinoise sur lequel on trouve des images correspondant exactement à ce que décrit Robert Temple :

En voici une petite sélection, dont je vous traduis les légendes :


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soc de charrue de bronze de l'époque des Royaumes combattants (Tian Shui, préfecture du sud-est du Gansu)

Les houes à col de cygne me semblent correspondre à ces outils :

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trois houes de fer, province du Jilin et du Hebei (X° s - XII° s.)

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houe de fer, époque du Printemps et des automnes

le soc des araires, en bois, était parfois recouvert de bronze ou de fer :
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les premières charrues n'étaient guère que des houes tractées :
Image

Mais elles se sont vite diversifiées :
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le semoir à rangs multiples

Messagepar laoshi » 27 Mars 2013, 09:43

Les premiers semoirs mécaniques n'apparaissent en Occident qu'au XVI° siècle : le permier fut breveté en 1566 par le Sénat vénitien. Encore faudra-t-il attendre le milieu du XIX° siècle pour que les semoirs européens soient à la fois robustes, peu onéreux et efficaces, trois qualités que ne possédait pas celui de l'Anglais Jethro Tull construit à partir de 1700. Quant au semoir de James Sharp, inventé au XIX° siècle, il ne semait qu'un rang à la fois...

Or le semis à la volée, qui a précédé l'utilisation du semoir mécanique, entraînait des pertes considérables : plants emmêlés s'étouffant les uns les autres (comme on le reverra avec le fameux "planté serré", qui a tant coûté à la Chine pendant le Grand Bond en avant), impossibilité de désherber (alors que le désherbage permet des économies en eau) et nécessité de conserver une grande partie de la récolte (jusqu'à la moitié parfois) pour réensemencer la terre l'année suivante.

Le semoir mécanique à rangs multiples apparaît en Chine au cours du II° siècle avant J.C. Un texte de 85 av.J.C. en donne la description suivante :


Zhao Guo, dans De l'Art de gouverner, cité par Robert Temple a écrit:
Trois socs étaient tirés par un boeuf, avec un seul homme pour le guider. Simultanément, le sillon était ouvert et la graine était déposée. Ainsi 100 mu pouvaient être semés en un jour.

Image

Un autre agronome précise que les socs ont exactement la même forme que les socs triangulaires des charrues mais sont plus petits (12 cm de long et 9 cm de large). "Après le passage du semoir, ajoute-t-il, le sol semble avoir été finement travaillé".

Image

semoir à trois rangs ; le semoir, attelé à un buffle, était dirigé par le paysan
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le harnais à traits et le harnais à collier

Messagepar laoshi » 27 Mars 2013, 10:49

Je l'ai dit plus haut, la maîtrise des labours et des semis mécaniques suppose celle de la traction animale or il a été bien difficile de respecter l'anatomie des bêtes de trait. Jusqu'au VIII° siècle, on s'est contenté de passer une sangle autour de la gorge du cheval ! Autant dire qu'on étranglait l'animal en lui faisant tirer une lourde charge.

Image

Les Chinois ont substitué le "harnais à traits" à ce harnachement primitif dès le IV° siècle av. J.C. ! Un joug, placé sur le cou du cheval, relié à une large sangle de poitrail permettait, pour la première fois, de tirer un lourd chariot sans étrangler l'animal : les "traits" tirant les brancards du chariot étant fixés sur la sangle et reliés au joug, la charge était désormais répartie sur le poitrail et les clavicules du cheval : là où il fallait deux chevaux pour tirer une charge de 500 kg avec le harnais de gorge, il ne fallait plus qu'un cheval pour tirer près d'une tonne et demie avec le harnais à traits comme avec le harnais à collier !

Image

Image

Image

Selon Needham, dont Robert Temple reprend les travaux, ce serait, d'une part, la nécessité de désensabler les chariots prisonniers des sables dans le désert de Gobi et, d'autre part, le modèle des haleurs tirant les bateaux le long des canaux qui auraient inspiré les inventeurs du harnais à traits.

Le harnais à collier, quant à lui, apparaît pour la première fois entre le IV° et le I° siècle avant J.C. soit quelque 1000 ans avant son introduction en Europe ! Les premiers harnais à collier servaient à attacher un joug au cou du cheval :

Image

ils transformaient donc en quelque sorte, le cou du cheval (qui n'a pas de bosse) en cou de boeuf (à moins qu'ils ne l'aient transformé en cou de chameau, car un corps d'armée chinois montait alors à dos de chameau et le bât de ces animaux, "fait d'un anneau de bois rembourré de feutre", aurait pu inspirer le harnais des chevaux). Avec l'invention du "palonnier", qui permet d'attacher les traits du chariot au harnais à collier, les Chinois ont achevé la révolution de la traction animale qu'ils avaient commencée dès le IV° siècle avant J.C.
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quelques images

Messagepar laoshi » 29 Mars 2013, 11:31

J'ai ajouté quelques images à mon message précédent, cela vous donnera une meilleure vision des choses...
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le tarare rotatif

Messagepar laoshi » 17 Avr 2013, 09:46

Vous connaissez sans doute la toile de Millet intitulée Le Vanneur, présentée au Salon de 1848 :

Image

Ce tableau témoigne de la pratique du vannage telle qu'elle était encore pratiquée en France dans la première moitié du XIX° siècle : il s'agissait de séparer le blé ou le millet de leur enveloppe en lançant les céréales en l'air de telle sorte que les grains, plus lourds que la balle, retombent seuls dans le van, la large corbeille de vannerie qui donne son nom à cette technique, tandis que les balles s'envolent dans le vent. Travail long et épuisant...

Les Chinois, quant à eux, avaient inventé le tarare rotatif
[fēng xuǎn jī] au II° siècle avant J. C. ! On en trouve déjà des représentations dans des poteries de la dynastie han. Malheureusement cet appareil coûteux n'était pas à la portée de toutes les bourses et la plupart des paysans du nord l'abandonnèrent tandis que son usage se déplaçait dans le sud de la Chine. Le poète Mei Yaochen en donne une description fort précise au XI° siècle :

Mei Yaochen, cité par Robert Temple, a écrit:
Là, sur l'aire, se trouve le faiseur de vent,
Différent des petits éventails des jours de canicule,
Muré de bois et mu à la manivelle, une habile invention,
Il emporte dans sa tourmente les balles grossières.
Aisé le travail pour ceux qui manient le manche,
Pas besoin d'attendre le bon temps, la brise,
Pour libérer le grain fin de ses balles, que nos pères
Attendaient afin d'agiter leurs corbeilles dans les airs.


Image

Les Hollandais et les Suédois introduisirent le tarare chinois en Europe entre 1700 et 1720 ; les Jésuites l'introduisirent en France vers 1720. Le rendement du vannage manuel était au mieux de 45 kg à l'heure, celui du ventilateur chinois était de 17 barriques par jour (une barrique représentant un volume de 200 à 230 litres, on voit la différence !).
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