on n'achète pas le Dieu de la cheminée !

Au croisement de la langue, des mentalités et des coutumes, répertoriez et commentez ici "les façons de dire et les façons de faire" qui vous intriguent ou qui vous semblent révélatrices de la culture chinoise

on n'achète pas le Dieu de la cheminée !

Messagepar laoshi » 10 Déc 2013, 10:07

Je vous ai déjà parlé du Dieu de l'Atre et de son épouse, qu'on brûlait en effigie une semaine avant la Fête du Printemps. Lucie nous a également parlé de cette fête sous le nom de "fête de la petite année" ou 王节 [zào wáng jié] ("fête du prince du foyer"), 祭灶 [jì zào] ("offrande au dieu du foyer"). Ya Ding décrit précisément ce rituel dans Le Sorgho rouge et cite les prières qu'on faisait au couple divin dans la Chine du Nord tout juste avant la Révolution Culturelle.

La cérémonie a lieu le jour du "huit froid" (une semaine avant la Fête du Printemps) :


Ya Ding dans Le Sorgho rouge a écrit:Le voilà allumé ce feu, au fond de la cheminée de la famille Li, présente au complet, dans la nuit glaciale. Tous se mettent à genoux devant les flammes dansantes, qui, d'un coup, enveloppent la paille séchée prévue pour ce moment sacré.
L'oncle Li, le patriarche, prend dans ses doigts épais, rudes et sales de paysan les deux figurines peintes sur du papier de mauvaise qualité, déoclorées par des jours et des jours dans la cheminée, recouvertes de poussière, de fumée et de toiles d'araignée. Le Seigneur de la cheminée et sa femme sont habillés avec des costumes rouges. L'homme porte une barbe noire, fine et longue. Il sourit d'un air doux, presque bonasse. Sa femme montre des lèvres d'un rouge éclatant, empreintes d'une infinie tendresse.
Dans le silence de ce moment si fort, si grave, l'oncle prend un bonbon en forme de petit melon ; il le pose dans la bouche du Seigneur qu'il place ensuite dans les flammes en chantonnant :

    Ayez infiniment de pitié et de bonté
    Mangez notre petit gâteau
    Avec cette bouche bien sucréée
    Allez dire du bien de nous au Ciel
    Gardez-nous en paix sur la terre
    ...

Toujours à genoux, la famille baisse la tête vers le sol [...].
La tante, à son tour, prend la femme du Seigneur qu'on appelle traditionnellement la grand-mère de la cheminée. Elle lui met plusieurs bonbons dans la bouche, puis, d'un geste tremblant, elle la dépose dans les flammes, en chantonnant à son tour :

    Grand-mère de la cheminée
    Observez toujours
    D'un oeil perçant et plein de bienveillance
    Nos actions toute l'année
    Vous n'y verrez que bonté
    Aujourd'hui, nous célébrons votre départ
    Nous vous retrouverons au début de la nouvelle année
    Dites la vérité au Grand Seigneur du Ciel
    Donnez à nos fils de bonnes compagnes
    La bonne récolte que nous souhaitons tellement...

Liang se dit intérieurement : "Elle est la plus bavarde." [...]
Le Seigneur de la cheminée et sa femme se sont envolés. La famille Li se relève. Chacun peut maintenant déguster un bonbon : précieux moment, unique dans l'année. [...]
Le Seigneur et sa femme, se tenant par le bras, atteignent le Palais céleste. Tous deux gardent la bouche plein de sucre, elle plus encore que lui. Devant le Grand Seigneur du Ciel, ils commencent leur rapport. [...]
Le Grand seigneur du Ciel écoute, les yeux clos ; un mouvement continu agite ses mâchoires édentées ; avec un air indifférent et dédaigneux, il calcule la récompense à offrir [...], la punition à infliger [...].

Mais voilà que le petit Liang s'inquiète : ses parents, eux, n'ont pas d'effigie du Dieu du foyer à brûler, ils sont communistes !

Le jour de la Fête du Printemps, voyant un villageois qui revient de la boutique du village avec des effigies flambant neuves des deux divinités, il est tout fier de connaître cette coutume :


Ya Ding dans Le Sorgho rouge a écrit:-"Tu as aussi acheté des seigneurs de cheminée ?" [...]
Le vieil oncle Le Marteau ne répond pas tout de suite. Il prend d'abord un air très sérieux, grave, pour dire : "Mon petit, c'est un très grand péché de parler comme cela ! Comment peux-tu uiliser le mot 'acheter' pour une action aussi sainte ?
- Il faut dire 'inviter'," souffle à Liang son cousin.

Le roman de Ya Ding est superbe ! pourquoi pas le lire pour célébrer la Fête du Seigneur de la cheminée ?
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