Comment vous appelez-vous ? Voilà une question bien banale. La réponse, vous allez le voir, l'est beaucoup moins en chinois.
Comme chacun sait, le nom précède toujours le prénom en chinois (mais attention, certains Chinois, peuvent maintenant inverser cet ordre immuable pour tenter de vous faciliter la tâche !).
Lors de présentations formelles, on vous demandera avec respect 您贵姓 ? [nín guìxìng ?] « quel est votre vénérable nom de famille ? », par politesse, vous devrez dévaloriser votre nom : 鄙姓... [bǐ xìng...] + votre nom de famille : « mon nom de famille de basse condition...», « je m'appelle vulgairement...».
Il y a très peu de noms de famille en Chine, on en compte une centaine seulement ; les trois plus fréquents sont :
李 [Lǐ], Le Prunier, 王 [Wáng], Le Roi et 张 [Zhāng], Le Grand ou Le Prospère. Viennent ensuite, toujours par ordre de fréquence, les Liu, les Chen les Yang et les Zhao.
Lorsqu’ils se présentent, les Chinois ont coutume de préciser le sens de leur nom de famille soit en l’associant à un personnage historique ou littéraire connu de tous, soit en l’associant à un mot de la vie courante, soit en le décomposant en ses éléments constituants : les 李, par exemple, prendront la précaution de dire que le li de leur nom est celui qui désigne l’arbre fruitier : 木子李, [mùzi lǐ]. Cela permet de lever toutes les ambiguïtés, car il y a d’autres Li : des Lí du 2° ton 巴黎的黎 (« le lí de bālí », c’est-à-dire de « Paris »), des Lì du 4° ton et, parmi les Lì du 4° ton, il y a des Lì dont le nom s’écrit avec « le lì de lìhai », 厉害的厉 (c’est-à-dire des « le fort »), des Lì dont le nom s’écrit avec « le lì de lìyì », 利益的利 (c’est-à-dire des « le Propice » ou « l’Avantageux ») et même, en caractères traditionnels, à Taïwan donc, des 酈. Ceux-là préciseront, 麗耳酈, « le lì de lì ěr »,une expression qui décompose le caractère 酈 en ses deux éléments, 麗 (lì devenu 丽 en chinois simplifié) qui signifie « beau, belle », et 耳 [ěr] qui signifie « oreille » comme l’élément 阝 en partie droite de l’idéogramme 酈 … Ces Lì-là s’appellent donc littéralement « belle oreille ».
Depuis la Révolution communiste, la femme garde son nom d’origine : ne vous étonnez donc pas d’entendre un couple chinois se présenter comme Mme 马美花 Mǎ Měi Huā et M. 李明Lǐ Míng.
Entre amis ou entre intimes, les Chinois s’appellent par leur prénom seul lorsque celui-ci est composé de deux caractères, lorsqu’il n’en a qu’un seul, ils font systématiquement précéder leur prénom de leur nom.
Une femme appellera donc son propre mari « 李明 » [Lǐ Míng], mais elle appellera sa fille 美花 [Měi Huā]. On peut néanmoins éviter le nom de famille en redoublant le prénom => 明明, mais, en l'occurrence, ce n'est pas très beau. Dans le centre et dans le sud de la Chine on peut aussi faire précéder le prénom monosyllabique de 阿 [à] =>阿明, « Aming » .
Les prénoms sont choisis par les parents dans le vocabulaire courant, avec le plus grand soin : on apprend ainsi, dans Petite Fleur de Mandchourie, que le prénom de l’auteur, Xu Ge Fei (Xu est son nom de famille, Ge Fei, son prénom) a été choisi par son grand-père lettré en prenant en compte « les éléments, les signes, les sons, le sens et le nombre de traits de chaque idéogramme ». Combiné au nom de famille des Wu, Ge Fei prend un sens symbolique très puissant : « Xu Ge Fei » signifie « petit à petit, par la révolution, éliminer les injustices »... Le vieux lettré, qui avait passé 4 ans en prison et 17 ans en camp de rééducation par le travail pour avoir suggéré en 1958 que le recrutement des hauts-fonctionnaires se fasse par concours, réglait ainsi ses comptes avec le passé….
Les prénoms étant choisis dans le langage courant, ils ne sont pas nécessairement associés à un genre ; cependant, les prénoms associés au courage, à la force, à la détermination, seront « évidemment » masculins et les prénoms évoquant les fleurs, la beauté, le parfum, seront tout aussi « évidemment » féminins ; les stéréotypes sexistes ont la vie dure en Chine comme ailleurs ! Je connais un jeune Chinois appelé 春 Chūn, « Printemps », un autre appelé 理想 lǐxiǎng, « Idéal » (en ces temps de politique de l’enfant unique, c’est « évidemment » pour les Chinois, idéal que d’avoir un garçon !). Dans English, un magnifique roman dont je vous ai parlé ailleurs, le héros ressent comme humiliant d’avoir été appelé 爱,« Amour », qui, dans son esprit ne convient qu’à une fille.
Heureuse la petite fille qui se prénomme ainsi : dans la Chine ancienne, où l’infanticide des petites filles était monnaie courante, il était fréquent qu’elles ne soient nommées que par leur numéro de naissance, « fille un », « fille deux », etc. voire qu’elles se voient affublées du nom « sans nom » ! comme nous l'apprend Mandarine, il reste quelque chose de ces préjugés dans le surnom de « baguettes » que l’on donne encore aux petites filles dans le Hanhui.
La charge symbolique du prénom étant très forte, il est courant de changer de prénom au cours de sa vie : dans la Chine traditionnelle, l’enfant recevait en effet un « nom de lait » à sa naissance, puis il en recevait un autre en entrant à l’école et il pouvait même en choisir un troisième si les événements avaient radicalement modifié son rapport au monde ; c’est ce qui se passe dans Les Cygnes sauvages pour l’auteur, Jung Chang : elle transforma son prénom originel 二鸿 « èr hóng » , qui signifie « Oie des moissons la deuxième née » en 戎 « róng » (« soldat ») lorsqu’elle devint garde-rouge (Jung est la transcription de « róng »). Je connais également une jeune chinoise qui a changé de prénom à l'âge de six ans après qu'un médecin traditionnel eut diagnostiqué la mauvaise influence de son prénom sur sa santé.