Petites leçons de civilité chinoise

Au croisement de la langue, des mentalités et des coutumes, répertoriez et commentez ici "les façons de dire et les façons de faire" qui vous intriguent ou qui vous semblent révélatrices de la culture chinoise

Petites leçons de civilité chinoise

Messagepar laoshi » 13 Oct 2011, 16:43

Comment vous appelez-vous ? Voilà une question bien banale. La réponse, vous allez le voir, l'est beaucoup moins en chinois.

Comme chacun sait, le nom précède toujours le prénom en chinois (mais attention, certains Chinois, peuvent maintenant inverser cet ordre immuable pour tenter de vous faciliter la tâche !).

Lors de présentations formelles, on vous demandera avec respect
贵姓 ? [nín guìxìng ?] « quel est votre vénérable nom de famille ? », par politesse, vous devrez dévaloriser votre nom : 姓... [bǐ xìng...] + votre nom de famille : « mon nom de famille de basse condition...», « je m'appelle vulgairement...».

Il y a très peu de noms de famille en Chine, on en compte une centaine seulement ; les trois plus fréquents sont :

[], Le Prunier, [Wáng], Le Roi et [Zhāng], Le Grand ou Le Prospère. Viennent ensuite, toujours par ordre de fréquence, les Liu, les Chen les Yang et les Zhao.

Lorsqu’ils se présentent, les Chinois ont coutume de préciser le sens de leur nom de famille soit en l’associant à un personnage historique ou littéraire connu de tous, soit en l’associant à un mot de la vie courante, soit en le décomposant en ses éléments constituants : les
, par exemple, prendront la précaution de dire que le li de leur nom est celui qui désigne l’arbre fruitier : , [mùzi lǐ]. Cela permet de lever toutes les ambiguïtés, car il y a d’autres Li : des Lí du 2° ton (« le lí de bālí », c’est-à-dire de « Paris »), des Lì du 4° ton et, parmi les Lì du 4° ton, il y a des Lì dont le nom s’écrit avec « le lì de lìhai », (c’est-à-dire des « le fort »), des Lì dont le nom s’écrit avec « le lì de lìyì », 利益 (c’est-à-dire des « le Propice » ou « l’Avantageux ») et même, en caractères traditionnels, à Taïwan donc, des . Ceux-là préciseront, 酈, « le lì de lì ěr »,une expression qui décompose le caractère en ses deux éléments, (lì devenu en chinois simplifié) qui signifie « beau, belle », et [ěr] qui signifie « oreille » comme l’élément en partie droite de l’idéogramme … Ces Lì-là s’appellent donc littéralement « belle oreille ».

Depuis la Révolution communiste, la femme garde son nom d’origine : ne vous étonnez donc pas d’entendre un couple chinois se présenter comme Mme
马美 Mǎ Měi Huā et M. Lǐ Míng.

Entre amis ou entre intimes, les Chinois s’appellent par leur prénom seul lorsque celui-ci est composé de deux caractères, lorsqu’il n’en a qu’un seul, ils font systématiquement précéder leur prénom de leur nom.
Une femme appellera donc son propre mari «
» [Lǐ Míng], mais elle appellera sa fille [Měi Huā]. On peut néanmoins éviter le nom de famille en redoublant le prénom => 明明, mais, en l'occurrence, ce n'est pas très beau. Dans le centre et dans le sud de la Chine on peut aussi faire précéder le prénom monosyllabique de [à] =>, « Aming » .

Les prénoms sont choisis par les parents dans le vocabulaire courant, avec le plus grand soin : on apprend ainsi, dans Petite Fleur de Mandchourie, que le prénom de l’auteur, Xu Ge Fei (Xu est son nom de famille, Ge Fei, son prénom) a été choisi par son grand-père lettré en prenant en compte « les éléments, les signes, les sons, le sens et le nombre de traits de chaque idéogramme ». Combiné au nom de famille des Wu, Ge Fei prend un sens symbolique très puissant : « Xu Ge Fei » signifie « petit à petit, par la révolution, éliminer les injustices »... Le vieux lettré, qui avait passé 4 ans en prison et 17 ans en camp de rééducation par le travail pour avoir suggéré en 1958 que le recrutement des hauts-fonctionnaires se fasse par concours, réglait ainsi ses comptes avec le passé….

Les prénoms étant choisis dans le langage courant, ils ne sont pas nécessairement associés à un genre ; cependant, les prénoms associés au courage, à la force, à la détermination, seront « évidemment » masculins et les prénoms évoquant les fleurs, la beauté, le parfum, seront tout aussi « évidemment » féminins ; les stéréotypes sexistes ont la vie dure en Chine comme ailleurs ! Je connais un jeune Chinois appelé
Chūn, « Printemps », un autre appelé 理想 lǐxiǎng, « Idéal » (en ces temps de politique de l’enfant unique, c’est « évidemment » pour les Chinois, idéal que d’avoir un garçon !). Dans English, un magnifique roman dont je vous ai parlé ailleurs, le héros ressent comme humiliant d’avoir été appelé « Amour », qui, dans son esprit ne convient qu’à une fille.

Heureuse la petite fille qui se prénomme ainsi : dans la Chine ancienne, où l’infanticide des petites filles était monnaie courante, il était fréquent qu’elles ne soient nommées que par leur numéro de naissance, « fille un », « fille deux », etc. voire qu’elles se voient affublées du nom « sans nom » ! comme nous l'apprend Mandarine, il reste quelque chose de ces préjugés dans le surnom de « baguettes » que l’on donne encore aux petites filles dans le Hanhui.

La charge symbolique du prénom étant très forte, il est courant de changer de prénom au cours de sa vie : dans la Chine traditionnelle, l’enfant recevait en effet un « nom de lait » à sa naissance, puis il en recevait un autre en entrant à l’école et il pouvait même en choisir un troisième si les événements avaient radicalement modifié son rapport au monde ; c’est ce qui se passe dans Les Cygnes sauvages pour l’auteur, Jung Chang : elle transforma son prénom originel
鸿 « èr hóng » , qui signifie « Oie des moissons la deuxième née » en « róng » (« soldat ») lorsqu’elle devint garde-rouge (Jung est la transcription de « róng »). Je connais également une jeune chinoise qui a changé de prénom à l'âge de six ans après qu'un médecin traditionnel eut diagnostiqué la mauvaise influence de son prénom sur sa santé.
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Re: Petites leçons de civilité chinoise

Messagepar mandarine » 09 Déc 2011, 19:07

très intéressant cette analyse des prénoms en chine
pour les catholiques , dont je suis , le choix se porte toujours dans les prénoms portés par tous les Saints du calendrier , ceux des apôtres en particulier

mais cette "coutume" a bien évolué en France , si bien que certains parents qui se présentent devant le prêtre pour la préparation au baptême avec un prénom que l'on ne peut attribuer à aucun saint connu , sont dans l'obligation d'en choisir un autre pour la cérémonie et le certificat de baptême....
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
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la parenté symbolique et l'injure du nom de famille

Messagepar laoshi » 24 Fév 2012, 08:03

Il y a longtemps que je voulais consacrer un article à la parenté symbolique et aux appellations de politiesse chinoises.

Il suffit d'avoir fait un peu de chinois (Assimil, par exemple, consacre une leçon à cette question) ou d'avoir regardé quelques films chinois, pour constater que les enfants s'adressent aux adultes de la génération de leurs parents en les appelant "shushu" ou "ayi", selon qu'il s'agit d'un homme ou d'une femme, et "yeye" ou "nainai" pour ceux de la génération de leurs grands-parents. Mais j'ignorais que l'emploi du nom ou toute autre formule serait d'une impolitesse inouïe. Un passage des Cygnes sauvages, que je viens de relire, me l'a appris :


Jung Chang dans Les Cygnes sauvages a écrit:
L'histoire chinoise est remplie d'enfants de politiciens arrogants, abusant outrageusement de leurs privilèges. [...] Certains enfants parlaient aux cuisiniers, aux chauffeurs et au reste du personnel sur un ton impérieux et grossier. Ils les appelaient par leur nom, ce qu'un jeune ne doit jamais faire en Chine, car c'est la marque de l'irrévérence la plus absolue. Je n'oublierai jamais l'affliction que je lus un jour dans le regard d'un des chefs de la cantine lorsque le fils d'un des collègues de mon père lui rapporta son assiette en lui disant que ce n'était pas bon et en hurlant son nom. Profondément blessé, le cuisinier se garda bien de lui répondre. Il ne voulait pas offenser le père du gamin. [...]
Mes parents tenaient à ce que leurs enfant apprennent à se montrer courtois et respectueux vis-à-vis des adultes, quel que fût leur rang. Nous appelions les membres du personnel "oncle" ou "tante" X ou Y, comme le voulait la tradition dans le cas d'un enfant s'adressant à une grande personne.


Le blog de Yushan, Crépuscule sur les rizières montre de manière exemplaire l'embarras que produit, pour les Chinois vivant en France, la confrontation des normes chinoises de politesse aux normes françaises. Cela nous montre aussi combien d'impairs nous pourrions faire nous-mêmes en ignorant les subtilités de l'appellation à la chinoise.

Il y aurait encore beaucoup à dire au sujet de ces parentés symboliques : les "grand frère", "grande soeur", "petit frère", "petite soeur", "belle-soeur", fleurissent aussi dans les dialoques entre personnages qui n'ont pourtant aucune parenté de sang ou d'alliance ! cela pose parfois bien des problèmes d'intelligibilité au spectateur ou le lecteur français. Et ces appellations entraînent des conséquences en cascade : dans Sifflet de pigeon, par exemple, Shengzi, qui vend des vêtements sur un marché de nuit, se met à appeler la vendeuse du stand voisin "meimei", "petite soeur" ; il contrarie ainsi son amie Xiaoju, parce que désormais, la jeune fille devra l'appeler "jiejie", "grande soeur", comme il le fait lui-même, alors qu'elle n'éprouve aucune sympahtie pour elle ! Dans Xi Laile, médecin divin, le médecin parle de son épouse légitime à la jeune tenancière de l'auberge dont il est amoureux en lui disant "ta belle-soeur" alors que rien, évidemment, ne déplairait plus à sa femme que de voir son vieux mari épouser une jeunesse !

Petu-être Yushan pourra-t-elle nous en dire un peu plus encore à ce sujet, mais je vous recommande, d'ores et déjà, de lire la page passionnantequ'elle consacre aux appellations chinoises sur son blog.
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Re: Petites leçons de civilité chinoise

Messagepar Yushan » 25 Fév 2012, 12:09

Merci d'avoir cité mon texte consacré à cette problématique!

Souvent on aborde le décalage culturel par des grands sujets philosophiques et théorique, alors que l'on est confronté à ce décalage à tout moment, avec chaque comportement et chaque parole.

Quand il y a deux codes différents, comment faire? Si les deux personnes connaissent les codes les uns des autres, ça va être relativement simple et à eux de décider quels codes emprunter ou de naviguer entre les deux.

Si une personne connaît les codes de la personne en face, mais pas dans le sens inverse. C'est à la personne "qui connaît" de prendre la conscience et de gérer. Voici la "responsabilité" d'une personne interculturelle. Cette responsabilité, je la ressens souvent en France car tous les Français avec qui je suis en contact ne connaissent pas mon pays comme je connais le leur.

Si deux personnes sont réciproquement "ignares", qu'elles s'amusent bien!
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Re: Petites leçons de civilité chinoise

Messagepar laoshi » 25 Fév 2012, 16:21

Je crois que l'essentiel, en la matière, est l'ouverture à l'autre même si cela ne garantit pas que l'on ne fasse pas d'impair.

Je mesure, à vous lire sur votre blog, combien ma petite correspondante a dû franchir de barrières pour me tutoyer et m'appeler "Béa" malgré la différence d'âge (près de 40 ans, elle aurait pu m'appeler "nainai") et de statut (du coup, elle aurait pu m'appeler "Béa laoshi" (à supposer même qu'elle ait osé substitué mon diminutif à mon prénom et mon prénom à mon nom de famille, imprononçable sans doute pour une Chinoise !). Je pense néanmoins qu'elle l'a fait sans trop de peine parce que la sympathie réciproque a été immédiate et sincère. Elle a même eu la gentillesse de me dire que notre amitié était "prédestinée".
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dire "oncle" à son beau-frère

Messagepar laoshi » 26 Fév 2012, 18:17

Le feuilleton que diffuse actuellement CCTV, L'histoire d'une grande teinturerie se passe dans le Shandong. Dans l'épisode n° 5 apparaît un curieux usage du terme "shushu", "oncle".

Voilà la situation, un homme a pris une concubine qu'il ramène la maison. Le couple est accueilli par son frère qui dit bonjour à sa "belle-soeur". Celle-ci répond en l'appelant "beau-frère" mais son mari la corrige et lui demande de l'appeler "oncle" :

- Mais il n'est pas mon oncle, observe la jeune femme.

- Oui, répond le mari, mais tu dois l'appeler ainsi par anticipation du terme qu'emploiera l'enfant à naître !"

Pas facile de s'y retrouver, semble-t-il, même pour les Chinois !
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Re: Petites leçons de civilité chinoise

Messagepar laoshi » 28 Fév 2012, 18:06

L'une des appellations qui m'étonnent le plus, entre époux, est du genre de : "père de mon fils" ou "mère de ma fille" ...
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porter le nom de sa mère

Messagepar laoshi » 25 Déc 2012, 18:12

On apprend, dans l'épisode 26 d'un feuilleton diffusé par CCTV, Quand le Bonheur frappe à la porte, qu'un enfant porte le nom de sa mère lorsqu'il est orphelin de père.
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Re: Petites leçons de civilité chinoise

Messagepar laoshi » 01 Fév 2013, 17:11

Il est souvent bien difficile, pour le spectateur français, de se retrouver dans les liens de parenté utilisés par les personnages des films ou des feuilletons. Les "grand fère", "petite soeur", "belle-soeur", "oncle", "tante", "grand-père", "grand-mère", abondent et encore, je vous fais grâce des précisions du genre "matrilinéaire", "patrilinéaire", "matrilatéral" ou "patrilatéral"...

Les amoureux s'appellent souvent "grand fère", "petite soeur", et continuent à le faire, parfois, après le mariage. Mais le plus curieux est que toute nouvelle parenté symbolique remodèle entièrement les termes de politesse qui doivent être employés par les proches. Ainsi, dans Sifflet de pigeon, Shengzi prenant Yingzi comme
妹妹 [mèimei], "petite soeur", celle-ci doit en conséquence l'appeler [gē] et s'adresser à Xiaoju, que Shengzi appelle [jiě] "grande soeur" (alors qu'ils n'ont aucun lien de parenté), en l'appelant elle aussi "grande soeur"... Quand Shengzi et Yingzi se marient, Xiaoju doit appeler Yingzi "belle-soeur" etc... Pas facile de s'y reconnaître !
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le tabou du nom de la mère

Messagepar laoshi » 04 Fév 2013, 10:54

J'ai découvert, dans le Récit II du Rêve dans le Pavillon rouge, qu'il existait, au XVIII° siècle, un tabou du nom de la mère pour sa fille.

Le précepteur de la sœurette Lin, dont la mère s'appelle "Jia Min, "Jia la Diligente", ne peut ni écrire ni prononcer le mot
[mǐn], qui signifie "diligence". Chaque fois qu'elle le rencontre dans les textes, elle le prononce [mì], qui signifie "secret", et, à l'écrit, "elle ne manque jamais d'en retrancher un ou deux traits"…
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