L'éditeur a écrit:
Cent quarante mille Chinois ont travaillé en France pendant la Première Guerre mondiale. Cette histoire est restée longtemps méconnue du public. Que faisaient-ils dans cette « guerre européenne » ? Comment ont-ils été recrutés et transportés ? Où se trouvaient-ils, et pour quoi faire ? Que sont-ils devenus ? Quel est héritage de cette expérience ? L’ensemble de ces questions, par leurs multiples ramifications, touche non seulement à l’histoire de la Grande Guerre, mais aussi à l’histoire de la Chine. Cet épisode s’inscrit dans une période décisive de l’histoire mondiale : la Conférence de paix de Paris a déclenché le « Mouvement du 4 mai » (1919), soulèvement patriotique, considéré comme l’acte de naissance de la modernité chinoise.
Cet ouvrage, le premier en langue française qui fait œuvre de synthèse, réunit les recherches les plus récentes sur le sujet, en s’appuyant sur des documents originaux, archives et sources primaires chinoises, et en pré- sentant des témoignages inédits.
L'auteur :
Li Ma est maître de conférences à l’Université du Littoral Côte d’Opale. Historienne et sinologue, ses publications portent sur l’histoire et la philosophie politique, sur le développement économique de la Chine, ainsi que sur la Grande Guerre et les travailleurs chinois. Elle a notamment publié l’ouvrage Pouvoir et philosophie chez Zhu Yuanzhang ; despotisme et légitimité (2002).
Des chercheurs de neuf pays, et des spécialistes de l’histoire des travailleurs chinois et de la Grande Guerre, issus de différentes disciplines (histoire, sinologie, linguistique, japonologie, science politique, archéologie et anthropologie, littérature comparée, droit et économie, ainsi que des spécialistes de muséographie), ont contribué à cet ouvrage.
Jolvil nous avait déjà parlé de sa découverte du cimetière de Noyelles-sur-mer et révélé ainsi un pan inconnu de notre histoire.
Près de 37 000 Chinois, en majorité originaires de la province du Shandong, recrutés sous contrat, ont travaillé dans l'industrie et dans l'agriculture pour remplacer les hommes envoyés au front mais ils ont aussi été employés dans les usines d'armement françaises et ce, en violation de leur contrat qui stipulait qu'ils "ne devaient s'acquitter d'aucune tâche militaire". Entre 93 000 et 100 000 furent embauchés par les Britanniques qui les utilisèrent pour le déminage, l'acheminement des équipements militaires, et, après la guerre, pour le nettoyage des champs de bataille, ce qui, là encore, était contraire à leur contrat. Les Français semblent les avoir mieux traités que les Anglais (le salaire était de base était de 1F 50 par jour et allait jusqu'à 6 F par jour pour les travailleurs qualifiés en France contre 1F et 1F 50 en Angleterre) même s'ils étaient regroupés dans des camps de travailleurs et qu'ils n'avaient pas le droit de se mêler à la popultion locale. Malgré la présence d'environ 150 interprètes, la barrière de la langue compliquait les relations entre employés et employeurs. « L'écrasante majorité ne comprenait pas les ordres donnés, explique Ma Li. Pour que les ouvriers se pressent, les officiers anglais hurlaient "Go ! Go !", ce qui en mandarin veut dire "chien ! chien ! ". » Grèves et incidents de toute sorte s'ensuivirent.
Malgré la pression des autorités françaises pour que les travailleurs chinois retournent dans leur pays après la guerre, entre 2000 et 3000 restèrent en France, les plus politisés parce que la France était le pays de la Révolution, qu'ils admiraient, mais la plupart étaient analphabètes et les jeunes intellectuels qui, tel Zhou Enlai, vinrent étudier en France dans le cadre du mouvement Travail-Etudes, n'eurent guère d'influence sur eux. La plupart étaient originaires du Zhejiang (au sud de la Chine), et, en particulier de Qingtian et de Wenzhou, et s'installèrent près de la gare de Lyon, dans l'îlot de Chalon (rasé dans les années 70, ce qui détermina leur migration vers Belleville et vers la banlieue), ils se firent marchands forains avant de devenir ébénistes à Richard Lenoir puis travailleurs du textile au Sentier et dans le quartier des Arts et Métiers où ils remplacèrent les Juifs déportés. Leur intégration se fit, pour une grande partie d'entre eux, par le mariage avec des Françaises. Une plaque commémorative fut installée près de la gare de Lyon en 1988 et une stèle « à la mémoire des travailleurs et des combattants chinois morts pour la France » fut érigée, la même année, dans le jardin Baudricourt, à Paris dans le 13e arrondissement.