Simon Leys, Suivez le guide

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Simon Leys, Suivez le guide

Messagepar laoshi » 15 Mars 2015, 18:53

Le monde entier s'émeut à juste titre des destructions massives de sites archéologiques par les fanatiques islamistes en Irak ; après Mossoul et Nimrod, c'est la cité parthe de Hatra qui a été prise pour cible de la folie destructrice de Daech.

En lisant Suivez le guide, l'un des essais de Simon Leys sur la Chine, je me rends compte que la folie politique n'avait rien à envier à la folie religieuse. Je savais, bien sûr, que le patrimoine littéraire, artistique, historique et archéologique chinois avait été rudement éprouvé par les sectateurs de Mao, mais à lire les témoignages de Simon Leys, je me rends compte de tout ce que nous avons perdu de manière irrémédiable et dont nous n'avons plus l'idée maintenant, tout simplement parce que nous ne connaissons pas grand-chose de la Chine. Je vous en donnerai des exemples si j'en trouve le temps.
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la destruction des pailou de Pékin

Messagepar laoshi » 19 Mars 2015, 08:38

Malgré le triomphe « du kitsch délirant et de la grandiloquence petite-bourgeoise » des architectes staliniens, malgré l’érection du Monument aux Héros du peuple au beau milieu de l’ancienne perspective reliant Qianmen à Tian’anmen, malgré la nudité glaciale de la place Tian’anmen et la démesure « néobabylonienne » du palais des Expositions, le patrimoine architectural de Pékin est si riche que nous n’avons pas conscience de ce qu’était la beauté de la ville avant sa destruction systématique par le pouvoir communiste. Simon Leys, qui avait découvert Pékin en 1955, a le triste privilège d’avoir pu mesurer l’ampleur du désastre en 1972, en pleine Révolution culturelle.

Il découvre alors que les destructions commencées dès l’origine de la République populaire de Chine ont été portées à leur paroxysme par le fanatisme maoïste et que Pékin a été transformé en une réplique consternante « de quelque Irkoutsk ou autre Khabarovsk » ; la destruction des portiques d’honneur, appelés
[pái lou], et de ses portes monumentales, entreprise en 1967 ou 68 au nom du mot d’ordre « détruire ce qui est ancien pour établir le nouveau », s’achève avec celle de la Porte monumentale de Xizhi Men, « auquel les ouvriers donn[ent] les derniers coups de pioche » sous ses yeux mêmes.

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Un pailou de Pékin en 1900

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Un pailou de Pékin en 1950

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西直门,la porte monumentale de Xizhi Men en 1953


Simon Leys, dans Suivez le guide, réédité dans Essais sur la Chine, p. 282, éd. Bouqins Laffont, a écrit:
La destruction de Pékin a commencé dès les années 50, avec l’élimination de tous les pailou qui enjambaient les artères de la ville. Ces arcs anciens qui rompaient la monotonie des rues en leur conférant un rythme à la fois noble et gracieux, furent jugés coupables de deux crimes : ils gênaient la circulation, et surtout ils représentaient, au cœur de la métropole rouge, une intolérable survivance féodale et réactionnaire – la plupart d’entre eux ayant en effet été originellement érigés pour perpétuer la mémoire de mandarins intègres ou de chastes veuves. […] il ne reste plus aujourd’hui une seule de ces exquises constructions dans toute la ville de Pékin. […]
Dans l’entreprise d’oblitération de Pékin, un pas nouveau et décisif fut accompli avec la destruction des murs d’enceinte de la ville. Il faut savoir que Pékin n’était pas une cité ordinaire, née d’une simple rencontre de divers facteurs démographiques, économiques, géographiques, etc., mas qu’elle constituait une projection dans la pierre d’une certaine vision de l’esprit : aussi ses remparts ne représentaient-ils pas tant un appareil médiéval de défense, qu’ils en traduisaient une géométrie cosmique, un graphique de l’ordre universel.
Avant de revenir à Pékin, je savais déjà que je ne reverrais plus cette enceinte : le gouvernement de la République populaire l’avait fait entièrement raser. Cette besogne gigantesque, commencée dès 1950, avait été parachevée en 1962. Mais si les remparts ont disparu, pensais-je, au moins l’essentiel subsiste ; la glorieuse série de leurs Portes monumentales qui continuent à délimiter et organiser l’espace idéal de la cité ; même si le contour physique de celle-ci s’est trouvé gauchi et effacé, du moins les Portes monumentales demeurent, perpétuant sur la terre chinoise, à la façon d’un caractère d’écriture sur une pièce de soie ou sur la face d’une stèle, le signe de Pékin.
Sitôt débarqué à Pékin, le désarroi qui m’a pris quand je n’ai plus retrouvé les Portes est difficile à décrire. […] Tout ceci ne pouvait être qu’un absurde cauchemar […]. Mais à Xizhi men […] l’évidence s’imposa : dressé au milieu d’un champ de gravats ce moignon obscène auquel des ouvriers donnaient les derniers coups de pioche, c’était bien tout ce qui restait de la dernière Porte de Pékin.


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Xizhi Men en 1954

Le PCC a, depuis lors, tenté de faire endosser ces destructions aux gardes rouges et autres « extrémistes irresponsables, surgis à la base et agissant à l’encontre des consignes du pouvoir central » mais, comme le note encore Simon Leys, il s’agit bien d’un vandalisme d’Etat ! La démolition des pailou et des portes monumentales de Pékin « fut un travail de spécialistes, soigneusement organisé et planifié, et qui employa une main d’œuvre nombreuse et dura plusieurs années ».

Notons que certains portiques ont été aujourd’hui reconstruits à la porte des centres commerciaux qui incarnent « le rêve chinois » de Xi Jinping...
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"pailou" et portes d'aujourd'hui

Messagepar laoshi » 19 Mars 2015, 18:13

C'est en 2008 que fut inauguré le nouveau pailou de Xidan, 85 ans après la disparition de son lointain ancêtre :


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Quant au pailou qui ouvre sur la porte de Qianmen, il donne une idée de ce que devait être la beauté du vieux Pékin :

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Notons que la porte monumentale de Qianmen, encore appelée Zhengyangmen, l'une des rares qui soient restées debout après la Révolution Culturelle, ne date pas de 1419, date de la construction de la porte originelle, mais de 1914.

Simon Leys ne parle pas de cette porte, ni de Deshengmen, dont la tour a échappé aux destructions.

Pékin en est réduite, aujourd'hui, à reconstruire ses portes et ses portiques pour les touristes... Dommage, quand même !

La porte de Yongding, reconstruite en 2007, et la porte telle qu'elle était en 1950 ; on voit qu'on reste très loin d'une reproduction à l'identique :

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