Frank Dikötter "La Tragédie de la libération"

publiez ici vos fiches de lecture concernant des personnages ou des événements historiques

Frank Dikötter "La Tragédie de la libération"

Messagepar laoshi » 23 Sep 2017, 09:41

Le mythe d'un Mao nourricier (« On peut dire ce qu’on veut de Mao, mais il a donné à chaque Chinois un bol de riz par jour ») continue à régner dans l'opinion internationale alors que la faim a été, non seulement une conséquence dramatique de la collectivisation forcée, en particulier pendant le Grand Bond en avant, mais aussi, dès les origines, une arme de la conquête et de la dictature maoïstes. The Tragedy of liberation, de Frank Dikötter, dont je me demande toujours pourquoi il n'est pas traduit en français, tord le cou à cette idée reçue.

Frank Dikötter rappelle d'emblée que la "libération" s'est soldée par un coût exorbitant en vies humaines : le 30 mai 1948 Lin Biao ordonnait à ses troupes de "transformer Changchun en cité de la mort" : le siège fera 160 000 victimes civiles ! On comprend que Pékin et les grandes capitales régionales aient voulu éviter ça et soient tombées sans résistance ou presque ! Pékin a cédé au bout de 40 jours de siège et si Nankin a subi un siège prolongé, Shanghai s'est rendu sans combattre.

La réforme agraire faisant des "propriétaires fonciers" et des "tyrans féodaux" des catégories extensibles à l'infini (jusqu'aux "moyen-pauvres" voire, parfois, au-delà) et exaltant la pauvreté, la crainte de devenir la cible des violences révolutionnaires a fait dramatiquement chuter la productivité agricole. La disparition de tous les petits métiers indépendants et de l'artisanat saisonnier dans lequel la majeure partie des paysans trouvaient une partie non négligeable de leurs ressources, celle des prêteurs sur gage qui livrait la population à des cadres plus impitoyables que leurs prédécesseurs, ont encore aggravé la situation. Les réquisitions de grains pour financer l'effort de guerre en Corée (un tiers de la récolte en moyenne) ajoutées aux taxes ordinaires (un autre tiers) ont réduit à la famine un nombre considérable de paysans. Le monopole d'Etat sur les céréales imposé en novembre 53 limitait le quota disponible à la moitié du strict minimum vital, les paysans devant racheter "le surplus" à l'Etat ! Et comme les champions de la collectivisation n'avaient pas prévu les infrastructures nécessaires au transport et à la conservation des grains, les céréales restaient à pourrir sur les quais d'embarquement ou dans les hangars infestés de vermine. Pour faire bonne mesure, les cadres qui assuraient les réquisitions étant jugés sur la quantité de grain et non sur sa qualité, ils n'hésitaient pas à les arroser pour en augmenter artificiellement le poids, quitte à le rendre inutilisable. Les corvées, les grands chantiers, les interminables sessions de "réforme de la pensée" qui empêchaient les paysans de cultiver la terre ajoutaient encore au désastre chronique. La destruction de toutes les institutions caritatives, religieuses ou non, qui, en temps de disette, allégeaient un peu le fardeau de la population, a fait le reste. Pendant ce temps, la propagande expliquait benoîtement que "trop manger est du gaspillage et que la privation est une vertu communiste" ou que "l'eau bouillie contient des calories".
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23

Retour vers histoire

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 1 invité

cron