Mao, L'histoire inconnue

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Mao, L'histoire inconnue

Messagepar laoshi » 06 Juil 2011, 08:14

ImageLa biographie monumentale de Mao, par Jung Chang (à qui on doit Les Cygnes sauvages) et son mari, Jon Halliday, Mao, L'Histoire inconnue, indisponible depuis des années, est désormais rééditée en poche dans la collection FOLIO-Histoire. Je crois que cette lecture est essentielle pour mieux comprendre non seulement le passé mais aussi le présent.

dans sa présentation, l'éditeur a écrit:«Mao Tsé-toung, qui pendant vingt-sept ans détint un pouvoir absolu sur un quart de la population du globe, fut responsable de la mort d'au moins soixante-dix millions de personnes en temps de paix, plus que tout autre dirigeant au XXe siècle.»

Ces lignes, par lesquelles s'ouvrent le livre de Jung Chang et Jon Halliday, annoncent clairement leur propos. On ne trouvera pas dans cette biographie un nouveau portrait, plus ou moins hagiographique, du Grand Timonier, dont l'apport théorique, résumé dans le Petit Livre rouge et la praxis révolutionnaire «au service des masses» ont naguère fait tourner tant de têtes pensantes en Occident. Mao Tsé-toung n'était mu ni par l'idéalisme ni par l'idéologie. S'il adhéra au marxisme-léninisme, c'est avant tout parce que cette doctrine lui permettrait de s'emparer du redoutable instrument de pouvoir qu'avait créé Lénine : le parti unique. Maître du Parti communiste chinois à la fin des années 1930, puis, en 1949, de tous les leviers de commande de son pays, après une meurtrière guerre civile et avec le concours décisif de l'U.R.S.S., Mao devint alors, comme l'a écrit Simon Leys, «le suprême despote totalitaire». Presque invisible, comme les empereurs dans le passé, il imposa à son peuple un état permanent de mobilisation quasi-militaire et une existence aride, périodiquement entrecoupée d'explosions de violence et de «campagnes de terreur» dévastatrices. Mais cette terreur était aussi pour lui un moyen d'accomplir le dessein, tenu secret, qu'il nourrissait depuis son accession au pouvoir : faire de la Chine une superpuissance militaire, et dominer le monde. La poursuite de ce rêve entraîna la mort de trente-huit millions de ses compatriotes, au cours de la plus grande famine de l'Histoire. Fruit de dix années de recherches, en particulier dans des fonds d'archives longtemps inaccessibles, nourri de nombreux témoignages inédits, cet ouvrage se lit à la fois comme un récit d'horreur poignant et comme un précis de philosophie politique digne de Machiavel. Nulle autre destinée que celle de Mao ne saurait sans doute mieux illustrer la brutale maxime de Lin Biao, qui fut longtemps son complice avant d'être sa victime : «Le pouvoir politique, c'est le pouvoir d'opprimer les autres». [/size]


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la jeunesse de Mao et la genèse de sa pensée

Messagepar laoshi » 06 Juil 2011, 08:22

Je suppose que, comme moi, beaucoup d’entre vous ne s’étaient jamais penchés sérieusement sur une biographie exhaustive de Mao. La lecture du livre de Jon Halliday et Jung Chang a donc été pour moi une formidable découverte. Mais c’est un très gros livre (le premier tome, que j’ai presque terminé, fait plus de 700 pages). Je vous propose donc, au gré de mes possibilités, de profiter de la fiche de lecture que je rédige à mon propre usage : les choses sont si complexes que ma mémoire risque de me faire très vite défaut.

Le premier épisode de ce compte-rendu concerne la jeunesse de Mao et la genèse de sa pensée. Je ne reproduis bien évidemment ici aucune des notes très abondantes qui documentent chaque affirmation des auteurs, je vous renvoie, pour cela à l’édition dont je vous donne les références ci-dessus.

Selon la vulgate maoïste, Mao, né en 1893, aurait dû la compassion pour les paysans pauvres qui aurait inspiré toute sa carrière politique à son enfance paysanne à Shaoshan et au mépris de classe qu'il aurait douloureusement ressenti ; il déclarait même à qui voulait l’entendre qu’il avait été fasciné par un certain Pang, décapité pour avoir fomenté une révolte paysanne. En fait, non seulement sa famille était une famille de paysans riches, comme chacune le sait, non seulement Pang semble bien n’avoir jamais existé mais encore, si Mao a été fasciné par les révoltes paysannes c’est surtout par ceux qui les avaient matées ! En 1917, il se disait « subjugué » par la manière dont Zeng Guo-fan avait « liquidé » la révolte des Taiping, dont l’égalitarisme préfigure pourtant d’une certaine manière le communisme et qui aurait mérité son attention bienveillante (plus de 100 000 morts à Nankin !).
En 1921, alors qu’une terrible famine décimait Changsha, Mao n’en fait jamais mention dans aucun de ses écrits ni aucune de ses lettres…
Mais revenons un peu en arrière et voyons comment Mao devint communiste

Mao était arrivé à Changsha en 1911, en pleine agitation révolutionnaire. Il coupa sa natte, participa aux débats enfiévrés de l’époque. Le 29 décembre 1911 (ou le 1° janvier 1912), la république était proclamée. Yan Shikai, chef de l’armée de Beiyang, qui avait été le principal soutien de la dynastie mandchoue, négocia l’abdication du jeune Pu Yi, alors âgé de quatre ans et obtint en contrepartie le titre de président de la République en remplacement de Sun Yat-Sen, dès le 15 février 1912. A la mort de Yuan Shikai, les gouverneurs des provinces, auxquels la vacance du pouvoir central laissait la bride sur le cou, se transformèrent en « seigneurs de la guerre ».

En 1913, Mao s’inscrivit dans une école normale, il y découvrit le communisme et s’enthousiasma pour le radicalisme au point de proposer, en 1917, « de brûler d’un coup tous les recueils de prose et de poésie postérieurs aux dynasties Tang et Sung ». Dans les commentaires qu’il rédigea du Système d’éthique de Friedrich Paulsen, en 1917-1918, il jetait déjà les bases de sa conduite future :


Mao a écrit: « Je ne souscris pas à l’idée que pour être moral le motif de nos actions doit tendre au bien d’autrui. […] Bien entendu, il y a dans le monde des gens et des objets, mais tous ne s’y trouvent que pour moi. […] nous n’avons aucun devoir envers les autres. […] D’aucuns prétendent que l’on est responsable envers l’histoire. Je n’en crois rien. La seule chose qui m’intéresse, c’est mon développement personnel […]. J’ai mon désir et j’agis conformément à ce qu’il me dicte. Je ne suis responsable envers personne. »


On ne saurait mieux dire ! D’emblée Mao considère qu’il appartient aux « Grands Héros » à qui tout est permis :

Mao a écrit: « Lorsque les Grands Héros laissent libre cours à leurs désirs, ils sont magnifiquement puissants, emportés, invincibles. Leur pouvoir ressemble à un ouragan jaillissant de profondes gorges, à un obsédé sexuel en rut qui rôde en quête d’une amante [….], il n’y a pas moyen de les arrêter. »


Mao rompt également avec l’idéal confucéen de la « Grande Harmonie » :

Mao a écrit: « L’idéal d’un monde où règnent un Grand équilibre et une Grande Harmonie est erroné. […] Une longue période de paix est intolérable aux êtres humains, et il faut donc déclencher des raz-de-marée de troubles dans cet état de paix. »


La fascination et l’esthétisation de la mort (celle des autres, car on sait combien Mao était obsédé par sa propre longévité), couronnent cet édifice idéologique sombrement prémonitoire :

Mao a écrit: « Passer de la vie à la mort, c’est connaître le plus violent bouleversement. N’est-ce pas magnifique ? »


Et ce qui vaut pour l’individu vaut pour la Chine, voire pour le monde :

Mao a écrit: « Le pays doit être […] détruit puis reconstitué. […] Cela s’applique au pays, à la nation et à l’humanité. […] Les gens comme moi appellent la destruction de leurs vœux, parce que lorsque l’univers ancien sera détruit, un univers nouveau se formera. »


A 24 ans, Mao avait donc défini les principes fondamentaux de son action. Comme étudiant, il aurait pu partager le destin de tant de ses camarades qui partirent faire des études en France ou en Russie mais Mao n’était pas doué pour les langues (égoïsme oblige, il ne parlait pas même le putonghua, la langue commune, il ne parla jamais que son dialecte) et il y renonça.

Mao se rendit alors à Pékin, où il devint assistant bibliothécaire mais il dut rentrer à Changsha faute de trouver un débouché à sa mesure. Il devint alors un médiocre professeur d’histoire à mi-temps dans une école primaire.

La guerre, qui fascinait tant Mao en 1918, s’acheva par le traité de Versailles autorisant le Japon à conserver les concessions allemandes qu’il avait prises pendant la guerre dans le Shandong. Le 4 mai 1919, une grande manifestation eut lieu à Pékin contre le gouvernement républicain « vendu » aux puissances étrangères. Mao participa à l’agitation comme rédacteur en chef d’une revue éphémère (elle n’eut que 5 numéros), La Revue du Fleuve Xiang.

Il écrivait aussi dans d’autres journaux, défendait l’émancipation des femmes, l’égalité des sexes, et le libre choix du conjoint (lui-même avait subi un premier mariage arrangé avec l'une de ses cousines, de quatre ans son aînée, en 1908). Mais il ne faut pas croire que cet égalitarisme aille de pair avec un réel souci d’amélioration de la condition féminine et avec l’idée du partage des tâches entre époux ! Dans De l’indépendance des femmes, un texte de 1919, Mao affirme tout de go :


Mao a écrit: Les femmes peuvent accomplir le même travail physique que les hommes. Simplement, elles n’en sont pas capables au moment des couches. […] elles devraient donc préparer tout ce qu’il leur faut […] avant le mariage afin de subvenir à leurs propres besoins […]. Elles devraient [aussi] faire elles-mêmes les provisions nécessaires en vue de la période des couches. »


Devenu chef des radicaux du Hunan, Mao rencontra Chen Duxiu en juin 1920. Sur la suggestion de Moscou, qui avait lancé l’Internationale communiste, le Komintern, l’année précédente, Chen Duxiu devait fonder le PCC en août 1920. Mais Mao n’était plus à Shanghai à ce moment-là, il n’avait pas encore adhéré au Parti. C’est pourquoi l’histoire officielle (reprise telle quelle par Wikipédia) a corrigé les faits pour les faire coïncider avec le mythe et situe la fondation du PCC en 1921, date du 1° Congrès auquel assista cette fois Mao.

Chen Duxiu avait chargé Mao d’ouvrir une librairie à Changsha pour y distribuer la revue Nouvelle Jeunesse ainsi que d’autres publications communistes prosoviétiques. A la différence des autres puissances étrangères qui occupaient des concessions chinoises, la Russie jouissait en effet en Chine d’une popularité habilement usurpée : le gouvernement soviétique prétendait renoncer aux territoires acquis par le tzar tout en conservant en réalité le contrôle de quelque 1250 km2 de territoire chinois, ce qui en faisait la plus grande puissance occupante du pays !

Mais, alors que certains communistes chinois commençaient à critiquer la révolution russe comme trop coûteuse en vies humaines, Mao, qui allait sur ses 27 ans, déclarait qu’il disait désormais vouloir « se servir du modèle russe pour réformer la Chine et le monde ».
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comment le communiste Mao devint ... nationaliste !

Messagepar laoshi » 06 Juil 2011, 08:27

histoire privée : Mao, alors farouchement opposé au mariage, devint l’amant de celle qui deviendra sa seconde femme, Kuai-hui, en 1920. Kai-Hui, qu’il avait rencontrée à Changsha sept ans plus tôt, était la fille de Yang Chang-chi, l’un des professeurs de Mao. Elle était éperdument amoureuse mais elle découvrit bientôt que son amant avait une autre maîtresse et « sa vie en fut dévastée ». Le mariage eut néanmoins lieu à la fin de 1920. Mao garda son ancienne maîtresse et en prit deux autres. Bafouée dans son amour, Kai-hui devait écrire plus tard un essai sur les droits des femmes : « nous ne devons à aucun prix permettre aux autres de nous traiter en simples accessoires », affirmait-elle.

histoire politique : A cette époque, Moscou commençait à mettre sur pied une armée chinoise en Sibérie et un réseau de renseignements, le GRU, antenne civile et miliaire du KGB ; c’est sur la suggestion du KGB que le PCC organisa son premier congrès. Chacune des régions comprenant des sympathisants devait envoyer deux délégués à Shanghai. C’est ainsi que Mao fut désigné pour Changsha ; il reçut de Moscou l’équivalent de deux années de salaire !

Le Congrès
* s’ouvrit le 23 juillet, sous la houlette des deux agents du KGB, Maring et Nikolsky. La présidence fut confiée à Zhang Guo-tao mais ce premier Congrès, interrompu (on suspectait la présence d’un mouchard), ne définit aucun programme. Les délégués reçurent chacun cinquante yuans pour leur retour.

Chen Duxiu, qui n’avait pas participé au Congrès, gardait ses distances à l’égard de Moscou : « Si nous prenons leur argent, disait-il, il faudra aussi prendre leurs ordres. » Il souhaitait que chacun garde son indépendance économique, vive d’un salaire alors que 94% des fonds du PCC venaient alors de Russie. Mao n’avait pas les scrupules de Chen ; pour la première fois, recevant une somme mensuelle rondelette (elle progressa vite de 60 à 170 yuans), il était vraiment à l’abri du besoin. Il quitta ses fonctions de journaliste et de directeur d’école pour « soigner sa santé », « bien manger tous les jours » et se consacrer à la lecture. En octobre 1921, il s’installa dans une élégante demeure qui était théoriquement le bureau du Parti dans le Hunan et dont il fit un usage privé. Les subsides de Moscou lui permettaient même d’avoir des domestiques !

Peu soucieux de la tâche qui lui avait été confiée, Mao se contenta de recruter dans son entourage immédiat, famille et amis. Il n’avait aucune envie de faire du prosélytisme pour la cause qui le nourrissait si bien ! C’est Ho Min-fan, chef du comté de Changsha, qui se chargea de la besogne et qui recruta, entre autres, Liu Shaoqi. Ho Min-fan fut sans doute la première victime de l’insatiable ambition de Mao. Celui-ci s’empara du domaine dans lequel était installé le centre de conférences que dirigeait Min-fan, le Mont du Bateau. Plus tard, Mao invoqua la « désobéissance » de Min-fan, pourtant de plus de vingt ans son aîné, pour justifier cette spoliation.

Mao paya le peu de zèle qu’il avait mis à recruter des camarades pour le Parti et à organiser des syndicats : on ne l’invita pas à participer du II° Congrès du Parti, en juillet 1922, une absence qu’il aura bien du mal à justifier ensuite (il aurait, dira-t-il, « oublié le nom de l’endroit où le congrès devait se tenir » !). Cette sanction lui fit l’effet d’un électrochoc ; il commença enfin à s’activer, à se rendre auprès des mineurs en grève et à prendre part aux manifestations ; il créa même enfin le comité du Parti du Hunan qu’il aurait dû mettre sur pied un an plus tôt. A la veille de sa mort, Liu Shaoqi affirmera que Mao n’y laissait à personne la « moindre possibilité de [s’]exprimer » .

Mao trouva le moyen de rentrer en grâce en janvier 1923 quand les communistes de Shanghai rechignèrent à appliquer la ligne définie par Moscou, adhérer au Guomindang : lui n’y voyait aucun inconvénient ! Le parti nationaliste avait été fondé en 1912. Son chef, Sun Yat-sen, évincé de la Présidence de la République chinoise par Yuan Shi-kai, s’était allié à Moscou, à qui Pékin contestait l’occupation de la Mongolie extérieure, pour renverser le gouvernement chinois : Sun Yat-sen acceptait d’abandonner la Mongolie extérieure et le Xinjiang à Moscou en contrepartie d’une aide militaire pour conquérir la Chine.

La décision de « soutenir à fond les nationalistes » fut prise par Staline, devenu secrétaire du Comité central en avril 1922. Mais, pour s’assurer que Sun se conformerait aux directives de Moscou, il fallait investir le Guomindang : « Nous ne pouvons pas émettre nos directives ouvertement depuis Moscou, déclara Staline au cours d’une réunion secrète. Nous le ferons à travers les PCC et d’autres camarades, à huis clos, de façon confidentielle […].
C’est ainsi que Mao fut nommé adjoint de Chen, chef en titre du Parti. Désormais, tous les documents du PCC devaient porter la double signature de Chen, qui s’était violemment opposé à Moscou, et de Mao, persuadé quant à lui que « la révolution devait être introduite en Chine, depuis le nord, par l’armée russe. »
Pour surveiller à la fois les nationalistes et les agents communistes chinois infiltrés dans le Guomindang, Staline fit de Borodine le conseiller politique de Sun Yat-sen. Mao participa au 1° Congrès nationaliste, à Canton, en janvier 1924, il devint l’un des 16 membres du Comité exécutif central et fonda la branche nationaliste du Hunan, collaborant si activement au Guomindang que le PCC était totalement marginalisé ; Mao s’opposait même à ce que « les ouvriers aient un mouvement syndical indépendant » !

Le zèle nationaliste de Mao était tel que les Russes eux-mêmes en prirent ombrage : considéré comme « opportuniste » et « de droite », il fut évincé du secrétariat du Comité Central et ne fut pas invité au Congrès de janvier 1925. A la fin de 1924, il fut purement et simplement exclu de Shanghai et dut rentrer à Shaoshan, gros-jean comme devant et, ce qui d’un point de vue psychanalytique est loin d’être anecdotique, affecté d’une constipation chronique.

Il va sans dire que cet épisode peu glorieux est aujourd’hui encore tenu secret par le PCC.
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comment le pseudo-nationaliste Mao redevint … communiste

Messagepar laoshi » 06 Juil 2011, 08:30

Depuis son éviction des instances dirigeantes du Parti communiste, Mao rongeait son frein. Ce fut Wāng Jīngwèi, qui succéda à Sun Yat-Sen en 1925 et qui devait devenir chef du gouvernement fantoche installé par le Japon en 1940, qui lui donna l’occasion de remonter sur la scène politique.

Le cheval de bataille des nationalistes étant « l’anti-impérialisme », Mao, infiltré dans l’organisation, essaya, dès 1924, mais en vain, de mobiliser les paysans de Shaoshan dans la lutte contre les puissances étrangères. Par contre, il ne se chercha pas tout de suite à fomenter la lutte des classes à la campagne : « les paysans, écrivait-il le 18 janvier à Borodine, n’ont pas considéré que nous luttions pour défendre leurs intérêts, mais nous ont pris en haine, déclarant que si nous ne les avions pas organisés, il n’y aurait pas eu de désastres ni de malheurs ».
Il n’en fut pas moins considéré comme l’instigateur du refus des paysans pauvres de voir leur riz partir pour la ville en période de disette et comme responsable des manifestations anti-impérialistes qui eurent lieu à Shanghai le 30 mai après que la police britannique eut tué 10 manifestants. Sentant la menace, Mao – dont le nom apparaît pour la première fois dans les archives américaines à cette occasion -, s’enfuit à Changsha et, de là, à Canton, le fief nationaliste. Dès septembre 1925, il devint ainsi le bras droit de Wāng Jīngwèi, le rédacteur en chef de L’hebdomadaire du parti et le responsable du choix des délégués du 2° Congrès nationaliste.

C’est en novembre 1925 que Mao réexamina la question paysanne sur les instances pressantes de Moscou : depuis 1923, Staline entendait mettre cette question « au centre de toutes [ses] politiques ». Renonçant à sa position, exprimée en 1924, selon laquelle « il n’y [avait] rien à tenter parmi les paysans pauvres et [qu’]il était nécessaire de nouer des liens avec les propriétaires fonciers et la petite noblesse », Mao tentait, dans Paysans chinois, une « analyse de classe » du monde rural. Il y opposait la « petite bourgeoisie » des propriétaires d’un lopin de terre au « prolétariat » des ouvriers agricoles. Cet article, paru le 1° décembre dans la revue nationaliste, lui attira une volée de bois vert des soviétiques orthodoxes : Mao avait confondu, selon eux, le mode de production féodal, encore en vigueur en Chine, et le mode de production capitaliste…. Mais, pour les nationalistes, la nuance importait peu. En février 1926, Mao devint membre fondateur du Comité du mouvement paysan et directeur de l’Institut de formation du mouvement paysan qui fomentèrent les troubles du Hunan lors de « l’expédition [de l’armée nationaliste] vers le Nord ».

Devant la gravité des faits, Mao fut dépêché à Changsha pour y rétablir l’ordre : déjà, on exhibait des paysans riches coiffés d’un bonnet d’âne, les pillages allaient bon train et la violence se déchaînait sur l’air de Frères Jacques, l’hymne nationaliste fustigeant les puissances étrangères et réclamant l’élimination des seigneurs de la guerre : « l’heure n’est pas encore venue de chasser les propriétaires », prêcha d’abord Mao. Cependant, comme il devait le déclarer lui-même plus tard, il « changea totalement d’attitude » après avoir passé un mois à sillonner le Hunan. Il découvrait là, concrètement, « avec une espèce d’extase encore jamais ressentie » (sic !) la violence qu’il appelait de ses vœux dans ses textes de jeunesse :

Mao a écrit: Ils ont inventé la formule : « Quiconque possède des terres est un tyran et tous les nobliaux sont mauvais ». Ils jettent à terre les propriétaires et les piétinent violemment […] ils bondissent et s’ébattent sur les lits incrustés d’ivoire des demoiselles et des dames. Chaque fois que l’envie leur prend, ils empoignent des gens, les coiffent de hauts bonnets d’âne et les exhibent dans les villages […] C’est ce châtiment qui fait le plus trembler. Après une seule séance de ce genre, ces gens sont brisés à jamais.


Tandis que Chen réclamait des sanctions exemplaires contre les coupables d’atrocités, Mao exultait : « c’est merveilleux, merveilleux ! » mais, contrairement à d'autres leaders paysans, il ne pratiqua pas la redistribution des terres. Interrogé sur les limites qu’il convenait d’apporter à l’utilisation de la violence par les dirigeants du mouvement paysan, il suggéra que « chaque homme jeune et d’âge mûr » soit muni d’un « suo-biao », un couteau à double tranchant : « ne mettre aucune limite [à son usage] », recommandait-il. L’un des textes qu’il diffusait pour former ses recrues – probablement de sa main -, recommandait même de « sectionner les tendons des chevilles » et de « couper les oreilles » des « obstinés ». Quant aux lynchages, « une ou deux personnes battues à mort, ce n’est pas une affaire », disait-il. Les autorités du Hunan ayant jugé bon d’incarcérer les responsables des crimes les plus graves, Mao ordonna de les libérer : « une révolution n’est pas un dîner de gala, affirma-t-il. Il faut instaurer […] un règne de terreur dans chaque comté. » Ce radicalisme lui valut de rentrer en grâce. En 1927, il réintégra le Comité central du PCC (membre suppléant, il n’avait pas encore le droit de vote).

Cependant, les nationalistes commençaient à déchanter. Nombre d’officiers, issus de familles aisées du Hunan, étaient épouvantés des brimades et des exactions qu’enduraient leurs proches, et les simples soldats, selon un rapport de Chen au Komintern, n’étaient pas moins « dégoutés » de voir les maigres subsides qu’ils envoyaient à leurs familles - pauvres celles-là -, confisquées.

Le 6 avril 1927, Pékin découvrit des archives accablantes démontrant la mainmise de Moscou et du PCC sur le parti nationaliste (1/3 de ses délégués au congrès de 1926 étaient communistes alors que les nationalistes se comptaient par centaines de milliers et que le PCC n’avait pas 10 000 membres !). Tchang Kaï-chek (en pinyin Jiǎng Jièshí), commandant en chef des armées nationalistes, décida donc une purge : le 12 avril, il publiait les noms de 197 communistes infiltrés dans son camp ; Borodine et Mao y figuraient en bonne place. Joignant les actes aux mots, il enrôla des gangsters de Shanghai pour prendre les bastions communistes d’assaut et confisquer les armes des activistes ; il fit tirer sur les manifestants qui protestaient contre ces violences et fit fusiller militants politiques et syndicaux. Il y eut au bas mot 300 morts dans les rangs communistes. Devant le désastre, Wāng Jīngwèi se soumit à Tchang qui reprit à son compte le pouvoir sur le parti nationaliste. Après avoir hésité quelque temps à suivre l’exemple de Wāng, Mao prit le parti de redevenir… communiste à plein temps, ou presque.
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Mao au pays des bandits

Messagepar laoshi » 06 Juil 2011, 08:38

Après le coup d’éclat de Tchang contre les communistes, Staline ordonna au PCC de former sa propre armée pour conquérir la Chine. Mao se plia à sa volonté ; le 7 août 1927, il prononçait le fameux : « Le pouvoir est au bout du fusil ». Les ordres de Moscou étaient de détourner une partie des armées nationalistes, travaillées, de l’intérieur, par des agents du PCC. De fait, 20 000 soldats, stationnés à Nanchang, dans le Jiangxi, se mutinèrent le 1° août 1927 à l’instigation de Zhou Enlai, sur ordre de Koumanine. Evidemment, ce « soulèvement de Nanchang » fut mis au compte du seul PCC par l’histoire officielle. Les mutins se rendirent ensuite à Shantou où Mikoyan devait leur livrer armes et munitions.

Mais Mao voulait « son » armée. Prétendant vouloir créer une « base rouge » sur « cinq comtés », il réclama qu’on lui envoie une partie de ces hommes. Après avoir renoncé au plan ambitieux qu’il avait lui-même proposé, il réussit à convaincre les Russes de limiter le soulèvement à la ville de Changsha et à obtenir la responsabilité de l’opération comme « chef du comité du front ». Mais loin de jeter les troupes qu’on lui avait allouées sur la ville, Mao leur ordonna de le rejoindre à Wenjiashi, à 100 km de là ! Les Russes, qui ne comprenaient pas qu’ils avaient été joués, parlèrent de « traîtrise et de couardise tout à fait méprisables » et de « parodie de soulèvement » mais Mao n’en avait cure, il avait fait main basse sur 1500 hommes. Cet épisode figure dans les manuels d’histoire sous le nom d’« Insurrection de la Moisson d’automne » dont Mao aurait été le leader alors qu’il en fut le… saboteur !

Mao avait décidé de faire sa base du « pays des bandits » dans les montagnes du Jǐnggāng, au sud de Wenjiashi. Il eut bien du mal à convaincre les officiers, qui voulaient attaquer Changsha, selon le plan initial, de le suivre pour son repaire mais il était le seul représentant du Parti sur place et ils durent se soumettre. Cependant, quand Mao leur apprit qu’ils allaient de venir des « seigneurs de la montagne », nombreux choisirent la désertion ; beaucoup d’autres moururent de la malaria ou de dysenterie ; lorsque les « seigneurs de la montagne » arrivèrent dans leur repaire, 15 jours plus tard, au début du mois d’octobre, ils n’étaient plus que 600 ! Mao conclut un marché avec Yuan Wen-cai, le chef des hors-la-loi : ses hommes pourraient séjourner provisoirement sur son territoire à condition d’assurer leur propre subsistance par le pillage.

Dès qu’il fut sur place, Mao reprit contact avec les communistes des Changsha mais, jugeant son insubordination intolérable, Shanghai le démit de ses fonctions le 14 novembre 1927. Le 31 décembre, il condamnait ses « erreurs politiques d’une extrême gravité » et recommandait aux communistes du Hunan de le remplacer « par un camarade ouvrier courageux et intelligent ». C’était sans compter avec la chance - à moins que ce ne soit le machiavélisme-, de Mao…. Le comité du Hunan fut opportunément arrêté par les nationalistes avant que les ordres de Shanghai ne lui parviennent ! Et quand un autre émissaire parvint à la base, le 28 mars, Mao se contenta de changer de casquette pour contrôler « son » armée comme « commandant de division ».

Entre temps, Mao et ses hommes avaient vécu de pillages déguisés en opérations révolutionnaires sous le nom de « da tu-huo » : « écrasons les tyrans possesseurs de terres ». Mais la presse continuait à voir en lui un chef de bandits et la population n’était pas disposée à lui prêter main forte :


un soldat de Mao a écrit: dès que nous nous sommes introduits dans la place, des gongs se sont mis à résonner […] et plusieurs centaines [de villageois] […] se sont emparés de plus de 40 de nos hommes et les ont enfermés dans le temple familial […] ils les ont battus et ligotés, les femmes les ont piétinés avec violence. Puis on a mis sur eux des tonneaux à grain, sur lesquels étaient posées de grosses pierres. Ils ont été affreusement torturés […].


Quant à l’état major, il était de plus en plus indocile : en décembre 1927, Chen Hao, commandant en chef, fut exécuté pour l’exemple devant ses hommes. Pour se concilier ses troupes, Mao institua des comités de soldats ayant droit de regard sur la répartition du butin, mais il mit surtout sur pied des cellules secrètes du Parti surveillant tous les autres pour son compte. Pendant ce temps, Mao fit main basse au cours de ses pillages sur de magnifiques résidences : dans la grande ville de Longshi comme à la campagne (le Pavillon octogonal, par exemple). Il réquisitionna les bâtiments de la meilleure école de la région comme quartier général. Il avait à son service toute une escouade de domestiques et prit une troisième épouse, Gui-yuan*, une jeune fille de bonne famille qui avait adhéré au Pari en 1926 et qui servait d’interprète à Yuan, le chef des bandits. En fait, celle-ci était amoureuse de Mao Ze-tan, le plus jeune des frères de Mao, mais Ze-tan était déjà marié et Mao convainquit la jeune femme de l’épouser. Elle regretta amèrement mais Mao l’emmena de force lorsqu’il quitta le pays.

Mao gagna ses galons militaires en enlevant le chef-lieu du comté de Ninggang aux troupes gouvernementales le 18 février 1928. Le 21, le chef du comté était exécuté à coups de suo-biao. . Les exécutions publiques devinrent alors la norme. Mao composa même, à l’occasion du nouvel an de 1928 de terrifiantes sentences parallèles : « Regardez-nous tuer les mauvais propriétaires aujourd’hui. N’avez-vous pas peur ? Les couteaux tranchent, l’un après l’autre. »

En avril 1928, les survivants de la mutinerie de Nanchang, sous la direction de Zhu De, se réfugièrent à la base de Mao. Membre loyal du Parti, Zhu avait, conformément aux ordres, organisé les soulèvements populaires mais les consignes dictées par Moscou étaient d’une violence extrême : « Brûlons ! Brûlons ! Tuons ! Tuons ! » Tout récalcitrant, considéré comme un « chien courant de la petite noblesse », encourait la peine de mort ! A Hailufeng, le carnage fit plus de 10 000 morts. A Chenzhou et à Leiyang, sous les ordres de Zhu, « tout a été livré au fer et au feu, on a tiré les habitants comme des lapins ». On comprend que les victimes se soient massivement tournées vers les nationalistes ! Une sœur adoptive de Mao, Chrysanthème, et son mari, qui habitaient Leiyang, firent les frais de leur ressentiment : ils furent tous les deux exécutés et la jeune femme fut horriblement torturée. Les communistes et ceux qui leur avaient prêté main forte durent fuir devant les troupes de Tchang. C’était la stratégie de Moscou : pousser les sympathisants des rouges vers un point de non-retour pour les enrôler définitivement au service de la révolution : « J’avais supprimé des contre-révolutionnaires, dira l’un d'eux. […] Je devais aller jusqu’au bout. […] Alors j’ai brûlé ma maison de mes propres mains […] et je suis parti [avec Zhu] ».

Lorsque Zhu arriva auprès de Mao, celui-ci pouvait apparaître comme celui qui avait sauvé le plus important détachement de communistes mais aussi comme un modéré, car il préférait récupérer églises et belles demeures plutôt que de les détruire. Or Moscou venait de décider que les « pogromes », les « actes d’aveuglisme » ou « l’incendisme-et-tuerisme » (cf. la novlangue) avaient fait leur temps. Dès le 2 mai, il écrivit à Shanghai pour demander de présider aux destinées de ce qui allait devenir « l’Armée rouge de Zhu-Mao » ; il récupérerait ainsi les 4000 hommes de Zhu (lui n’en avait que 1000) ; pour renforcer son image, il commença à procéder à la redistribution des terres (formalité qu’il avait jusqu’alors négligée). Son cas fut examiné le 26 juin 1928 au VI° Congrès du PCC qui se tint près de Moscou. Zhou Enlai trouvant que ses soldats avaient « en partie une nature de bandits », émit des réserves mais Staline voulait la création de l’Armée rouge et Mao en avait jeté les bases. Dès novembre, Mao se vit confirmer dans ses fonctions militaires à la tête de l’armée Zhu-Mao et de son territoire au pays des bandits…
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1929 : comment Staline sacrifie Zhu à Mao

Messagepar laoshi » 20 Juil 2011, 17:27


La nomination de Mao à la tête de l’Armée Zhu-Mao fut entérinée par Shanghai en novembre 28. Pendant qu’il s’employait à constituer son armée, Tchang Kaï-chek s’était emparé d’une grande partie de la Chine, avait vaincu le gouvernement de Pékin et avait installé sa capitale à Nankin. Les troupes nationalistes menaçant désormais son repaire, Mao quitta le pays des bandits, qu’il avait saigné aux quatre veines, en janvier 29.


Dans le rapport qu’il envoya à Shanghai, un inspecteur du Parti a écrit:
Avant la venue de l’Armée rouge […] les paysans avaient largement de quoi vivre […]. Depuis son passage, les choses ont complètement changé. Comme les seuls revenus de l’armée consistaient en ce qu’elle volait aux riches […] que les petits bourgeois, les paysans aisés et les petits colporteurs eux-mêmes étaient tous traités en ennemis […], le pays est en faillite totale[…]


Les chefs des « bandits » furent liquidés par les communistes sur ordre de Moscou. La population de la région de Ninggang, au cœur de la base Mao, dans la province du Fujian, passa de 130 000 ha en 1927 à 31 000 en 1949. La haine qu’inspiraient les communistes était telle que les blessés et les civils que Mao abandonna sur place furent massacrés par les armées locales et que les nationalistes, malgré leurs propres exactions, n’eurent aucun mal à recruter parmi la population ! La femme de Zhu, capturée au cours d’une bataille contre les nationalistes, fut exécutée et sa tête, plantée sur une pique, fut exposée à Changsha.

Mao profita de la détresse de son compagnon d’armes pour lui ravir le pouvoir. Encore une fois, la chance lui souriait : Tchang Kaï-chek ayant dû rappeler les troupes qui marchaient sur lui pour mater une rébellion, il put s’emparer de Tingzhou, dans le Fujian, où il fit main basse sur de nombreuses richesses, entre autres, sur une usine de confection d’uniformes qui avait jusque là approvisionné les nationalistes. On comprend pourquoi les deux uniformes se ressemblaient tant !

Au mois de mai, Shanghai dépêcha Liu An-gong comme numéro 3 dans l’armée de Zhu-Mao. Découvrant que Mao avait aboli les fonctions de commandant suprême que Shanghai avait octroyées à Zhu, Liu l’accusa de se comporter en « dictateur » ; pour faire entériner son coup de force, Mao envoya 10 000 yuan d’opium à Shanghai à titre de « première contribution »…. Cependant, Zhu De avait le soutien des troupes qui décidèrent, par un vote massif, de démettre Mao des fonctions qu’il avait usurpées et de rendre à Zhu son poste de commandant suprême.
Pour reprendre le pouvoir, Mao décida de prendre le contrôle de la base de Jiaoyang, elle aussi située dans le Fujian. Il réussit à y faire organiser un congrès dont il fit traîner les débats en longueur de telle sorte que les troupes nationalistes aient le temps de se rapprocher. Devant la menace imminente, les délégués se dispersèrent, laissant les coudées franches à Mao qui put ainsi confier tous les postes-clefs à ses fidèles en faisant passer cette nouvelle usurpation pour une décision du congrès !
Une fois qu’il fut à la tête de ce nouveau territoire, Mao réussit à obtenir le soutien de Lin Biao, un soldat hors-pair, contre Zhu. Lin Biao, qui avait détourné une partie du butin à son profit, ne pardonnait pas à Zhu de l’avoir réprimandé. Le 2 août, alors que toutes les unités devaient se rassembler sous les ordres de celui-ci, les hommes de Lin Biao se joignirent à ceux de Mao, privant Zhu de la moitié de ses troupes.

Le différend fut porté devant le Comité central de Shanghai, que dirigeait en sous-main Zhou En-Laï et, à travers lui, les Soviétiques. Chou avait créé le KGB chinois, il était chargé des assassinats politiques mais sa tâche principale était de mettre sur pied l’armée rouge. Ce fut donc lui qui dut trancher entre les deux hommes. Sur ordre de Moscou, qui savait à quoi s’en tenir sur le personnage mais appréciait ses talents de gagneur, il donna raison à Mao. Quant à Liu An-Gong, l’envoyé du Parti qui avait osé tenir tête à Mao, il fut rappelé à Shanghai et ne tarda pas à mourir au combat….

Mais Moscou avait d’autres raisons de sacrifier Zhu à Mao. Staline s’apprêtait à envahir la Mandchourie or, selon le Bureau politique soviétique, les régions contrôlées par Mao constituaient « la zone-clef pour étendre la guerre de partisans en liaison avec l’affaire du chemin de fer de Mandchourie ». Ce chemin de fer, que Boukharine désignait comme « l’index révolutionnaire [russe] s’enfonçant à l’intérieur de la Chine », était la tête de pont des concessions que Moscou avait promis de rendre à la Chine mais qu’elle entendait bien garder sous sa coupe. Il s’agissait, pour Staline, que les communistes chinois ouvrent un nouveau front quelque 2000 km au sud pendant que ses armées frapperaient au nord, ce qu’elles firent en novembre 1929, s’enfonçant de 125 km en Mandchourie.
Le danger était enfin que les communistes chinois se rapprochent de Trotski : Chen Duxiu, ancien chef du PCC, dont Moscou avait fait son bouc émissaire deux ans plus tôt, s’élevait contre le soutien apporté aux Russes ; qu’il bascule du côté de Trotski et que Mao lui emboîte le pas, telle était la suprême angoisse de Staline. Soutenir Mao, c’était donc conjurer le danger ; aussi la Pravda flattait-elle l’égo de celui-ci en lui appliquant le titre de « dirigeant ». Zhu De s’inclina, la mort dans l’âme, devant la décision de Shanghai et Mao reçut la nouvelle de son triomphe dans l’élégante villa où il vivait en pacha, mangeant un kilo de bœuf par jour, un poulet entier et buvant beaucoup de lait, une denrée rare en ce temps : « Je mange et je chie beaucoup », écrivait-il avec délectaction !….

En gage de reconnaissance, Mao fit acte d’allégeance à Moscou, il proposa de lancer une « campagne de propagande » contre « l’antirévolutionnaire » Chen Duxiu, et dénigra même publiquement Trotski. Pour satisfaire Shanghai, qui insistait sur l’unité des communistes, il accepta que son armée continue à porter le nom de « Zhu-Mao », ce qui lui permettait de profiter du prestige de Zhu auprès de ses hommes. Son retour à la tête de l’armée fut annoncé à Gutian en décembre 1929. Pour s’attirer les bonnes grâces des soldats qui le détestaient, il leur promit de faire voter une résolution abolissant l’exécution des déserteurs, résolution qu’il se garda bien de concrétiser. En contrepartie de cette promesse fallacieuse, il obtint que soient levés tous les obstacles à sa conquête du pouvoir absolu : désormais, les avis des miliaires seraient subordonnés à son autorité et les résolutions ne seraient plus soumises au vote, une pratique « ultra-démocratique » dont il avait fait les frais et qui devenait ipso-facto criminelle ! Il inventa même une nouvelle infraction, « l’égalitarisme absolu », afin de légitimer les privilèges inouïs qu’il s’accordait : « Dorénavant, la notion de privilège serait reconnue comme un élément inaliénable du communisme chinois », concluent les deux auteurs….
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1930 - main basse sur l'armée de Peng De-huai

Messagepar laoshi » 20 Juil 2011, 17:33


Après avoir établi son gouvernement à Nankin, en 1928, Tchang Kaï-Chek cherchait à regrouper les armées des seigneurs de la guerre sous son contrôle. Mais les potentats locaux ne l’entendaient pas ainsi, et la résistance qu’ils opposaient aux nationalistes donnait au PCC l’occasion de se renforcer. L’armée rouge comptait alors 72 700 hommes répartis en treize armées, celle de Zhu-Mao représentait le quart de l’effectif, près de 15 000 hommes.

Moscou, où Zhou Enlaï se rendit en mars 1930, commençait à envisager la création d’un Etat communiste chinois ; en son absence, Li Li-san avait pris les rênes du Parti à Shanghai et avait décidé de s’emparer de grandes villes telles que Nanchang ou Changsha et de créer un gouvernement rouge à Wuhan. Mao fut chargé de prendre Nanchang. Bien qu’il fût persuadé que l’armée rouge n’avait aucune chance de tenir ces grandes villes, Mao feignit l’enthousiasme : il voyait l’occasion de s’emparer de la deuxième armée rouge, celle de Peng De-huai….

Peng De-huai, qui deviendra le plus courageux des opposants à Mao au sein du PCC (on le verra lors de la Révolution Culturelle), était sincèrement préoccupé du sort des pauvres et des opprimés. Lui-même avait connu la misère la plus noire : à la mort de sa mère, son petit-frère était mort de faim à l’âge de six mois ; à 10 ans, il mendiait pour survivre ; recherché par les autorités à l’âge de 15 ans pour avoir tenté de forcé un riche propriétaire foncier à distribuer le riz qu’il stockait en période de famine, il s’enrôla dans l’armée du Hunan en 1916 et devint rapidement officier. Il découvrit ainsi que des jeunes filles de 12 ans étaient livrées aux caprices sexuels des gradés au cours des banquets qui leur étaient réservés. Il acheta la liberté d’une enfant de 13 ans et refusa ensuite d’assister à ces agapes. Il adhéra au PCC en 1928 ; quelques mois plus tard, il se mutinait, avec huit cents de ses hommes, contre les nationalistes, et recevait l’ordre de rejoindre Mao au pays des bandits. Il arriva sur place avec ordre de défendre le territoire au moment même où Mao partait, une entreprise vouée à l’échec. Néanmoins ses hommes étaient d’excellents soldats, solidaires et disciplinés, et son armée suscitait les adhésions. En 1930, elle avait atteint le nombre de 15 000 hommes, autant que celle de Mao. C’est pour s’emparer de ce corps d’élite que Mao fit mine de vouloir attaquer Nanchang comme Li Li-san le préconisait.

A peine arrivé dans les faubourgs de la ville, Mao entraîna son armée à Changsha dont Peng venait de s’emparer lui-même. Prétextant les difficultés de Peng qui aurait, selon lui « subi de lourdes pertes », il prétendait voler à son secours. Devant le refus de celui-ci, Mao lui demanda de venir le seconder pour prendre Yonghe, une ville située entre leurs deux armées, à une centaine de km de Changsha. Lorsque Peng fut sur place, Mao déclara que la fusion des deux armées était nécessaire pour reprendre Changsha, que Peng avait dû abandonner après l’avoir tenue pendant 11 jours. Peng et Zhu s’opposaient à cette opération qui n’avait aucune chance de réussir mais Mao réussit à bercer Shanghai d’illusions sur l’occupation imminente de Changsha puis l’installation d’un gouvernement rouge à Wuhan.
Mao ordonna donc l’assaut contre Changsha en prenant la précaution d’envoyer en première ligne les hommes de Peng qui subirent de lourdes pertes tandis que lui-même, selon un rapport du GRU, « se content[ait] de regarder » ! Au bout de trois semaines, lorsqu’il leva le siège, il se heurta à résistance des officiers de Peng contre lesquels déclenchera plus tard une purge sanglante.

Le siège de Changsha n’avait servi à rien d’autre qu’à mettre Mao en vedette dans la presse où il multipliait les communiqués en se décernant le titre de « président du comité révolutionnaire panchinois » chapeautant toutes les armées, tous les organes gouvernementaux et toutes les branches du Parti dans les zones de combat ! Encore une fois, Moscou appréciant les gagneurs sans scrupules, Shanghai ne réagit que mollement : le PCC rappela que le titre de « président » ne pouvait revenir qu’au secrétaire général en titre du Parti (en l’occurrence Xiang Chang-fa) mais ne prit aucune sanction. Le 20 septembre, il rendit même à Mao son titre de « membre suppléant du Bureau politique », ce qui lui ouvrait la voie vers les plus hautes fonctions au sein de l’Etat rouge.

Les pertes humaines liées au siège de Changsha furent imputées à Li Li-san, qui avait eu le tort de réclamer la rétrocession de la Mongolie annexée par les Russes et qui figure désormais dans les livres d’histoire comme le responsable de toutes les pertes subies par les rouges au début des années 1930 !

Le siège de Changsha eut des conséquences tragiques pour la deuxième femme de Mao, Kai-hui, qui habitait dans les faubourgs de la ville avec les trois fils qu’elle lui avait donnés. Mao, qui passa trois semaines sur place, ne tenta ni de la revoir, ni de l’avertir alors même qu’il connaissait le sort qui avait été réservé à la femme de Zhu-de et que la maison de Kai-hui se trouvait sur sa route ! Kai-hui, qui n’avait pas été inquiétée lors de l’opération menée par Peng De-huai, fut arrêtée le 24 octobre, avec son fils aîné, âgé de 8 ans, pendant le siège de la ville par Mao. On lui demanda de divorcer d’avec son mari, ce qu’elle refusa de faire. Elle fut exécutée le 14 novembre 1930. Les soldats qui l’avaient abattue jetèrent ses chaussures le plus loin possible de peur que le fantôme de leur victime ne les suive jusque chez eux. Son fils fut remis en liberté au début de 1931 et Ze-Min, le frère cadet de Mao, le confia, avec ses deux frères, aux jardins d’enfants secrets de PCC de Shanghai. Mao prétendit ensuite que Kai-hui avait été le plus grand amour de sa vie.

Les textes de Kai-hui, découverts en 1982 et 1990 cachés dans les murs de sa maison, restent en grande partie secrets. Sans illusions sur Mao, qui ne lui avait jamais donné aucune nouvelle, elle disait ne pouvoir compter que sur l’affection du jeune frère de son mari et sur le dévouement d’un inspecteur du PCC, nommé par elle « Cousin germain », pour le soin de ses enfants. Evoquant l’exécution de la femme de Zhu-de et les exactions de Mao, elle disait son désarroi devant de telles cruautés : « j’avais cru que les hommes d’aujourd’hui, et certains de ces hommes, les Chinois, étaient suffisamment civilisés pour abolir la peine de mort ! je ne pensais pas voir un jour de mes propres yeux une famille tuée […] pour le crime d’un seul homme… la tête humaine est en train de devenir une œuvre d’art dont beaucoup de gens ont besoin ! »

L’abolition de la peine de mort et de la torture figurait en effet au programme de la charte du PCC de 1923….
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1930-1931 : Une purge sanglante

Messagepar laoshi » 22 Juil 2011, 09:56


Outre les deux armées de Zhu-Mao et de Peng De-huai, Mao convoitait également l’armée du Jiangxi, qu’il avait approchée dès 1929, en sortant du pays des bandits. Il avait laissé sur place son jeune frère, Ze-tan. Mais Ze-tan n’avait pas le goût du pouvoir et Mao envoya un de ses fidèles du Hunan, Liu Shi-qi - qui devait devenir son beau-frère en épousant la sœur de sa femme -, pour le remplacer à la tête du district de Donggu, le centre des rouges de la province.

Dès l’année suivante, Mao prit le contrôle de toute la province du Jiangxi, encore une fois par la ruse. Son « mode opératoire » était toujours le même : jouer avec les dates pour transformer un coup de force en décision « légitime ». Ayant convoqué les rouges du Jiangxi à Pitou pour une « conférence élargie » qui devait se tenir le 10 février, il avança la date de la réunion au 6 sans prévenir quiconque. Les principaux délégués étaient donc absents lorsque Mao se propulsa lui-même à la tête de la province, évinçant son chef, Lee Wen-lin ! Mais les communistes du Jiangxi ne l’entendaient pas de cette oreille et Mao ordonna l’exécution publique de quatre dirigeants locaux pour réduire les « contre-révolutionnaires » au silence…. Arguant des origines de classe des dirigeants locaux, il fit passer sa première purge sanglante en chasse aux « koulaks », terme emprunté à Staline pour désigner les propriétaires terriens : des milliers de paysans et de communistes furent liquidés en un mois….

Shanghai n’avait pas autorisé Mao à prendre le contrôle ni de la province ni de son armée, dont il avait confié le commandement à Caï Shen-xi. A son arrivée, Mao empêcha pourtant celui-ci de prendre ses fonctions et nomma son beau-frère à sa place. Lorsque le PCC de Shanghai eut vent de l’affaire, il envoya une circulaire à toutes ses armées pour réaffirmer qu’elles ne devaient obéir qu’à lui. Forts de cette assurance, les rouges et les paysans du Jiangxi – saignés à blanc par les impôts exigés par Liu -, se soulevèrent. Profitant de l’absence provisoire de Mao, occupé à prendre le contrôle de l’armée de Peng De-huai, les rouges locaux, réunis en assemblée générale, démirent Liu de ses fonctions (Liu s’enfuit mais fut bientôt assassiné dans une autre base rouge).

Mao entreprit de se venger. Dès le 14 octobre 1930, il dénonça à Shanghai la branche locale du Parti qui se trouvait, selon lui, « sous l’autorité de paysans riches » et était « rempli d’AB » [antibolchéviques]
* ; il ajoutait qu’il n’y aurait « pas moyen de sauver le Parti sans une purge féroce de tous les chefs koulaks et AB » ! Moscou, qui appréciait son cynisme, le désigna alors comme le chef du futur Etat communiste. Ayant désormais les coudées franches, Mao regroupa toutes les troupes au centre du territoire rouge pour leur couper toute possibilité de retraite puis il révéla l’existence au sein du Parti d’une « Ligue AB ». Prétendument sous l’autorité de Peng De-huai, elle comprenait tous ceux qui s’étaient mis en travers de son chemin.

Lie Shau-joe fut l’artisan de la chasse aux sorcières. La purge commença fin novembre par quelques arrestations, chaque prisonnier étant contraint, sous la torture, de livrer une douzaine de noms. Le 20 décembre, Mao rendait compte en personne du succès de l’opération à Shanghai : « plus de 4 400 AB ont été découverts au sein de l’Armée rouge », écrivait-il. Il précisait que tous avaient été torturés et la plupart exécutés.
Les dirigeants provinciaux de Futian, qui avaient limogé Liu, furent déclarés « AB » et les massacres de masse furent justifiés par un argument imparable : « Là où il n’y a pas d’arrestations et de massacres, les membres du Parti et du gouvernement doivent forcément être AB, écrivit Mao à Lie ; vous pouvez donc vous emparez d’eux et leur régler leur compte ».

Les méthodes de Lie étaient tellement sadiques qu’elles provoquèrent une mutinerie ; ses tortionnaires s’acharnaient tout particulièrement sur les épouses des chefs du Jiangxi : « leur corps, et tout spécialement le vagin, rapporte l’auteur d’une protestation écrite, ont été brûlés au moyen de mèches enflammées ». Le chef de la mutinerie, Liu Di, parvint à s’échapper en feignant de vouloir, à son tour, « éliminer au plus vite tous les AB de son régiment ». A peine relâché, il attaqua la prison de Futian, libéra ses camarades et dépêcha des émissaires à Shanghai pour dénoncer celui qui voulait devenir « l’empereur du Parti » : « non seulement ce n’est pas un chef révolutionnaire, affirmait-il, mais ce n’est pas […] un bolchevique ». Zhou En-laï reconnut qu’en effet tous ces hommes avaient « été torturés », il n’en soutint pas moins la ligne de Moscou qui avait trouvé en Mao un auxiliaire d’une efficacité redoutable. Les rouges de Futian furent donc déclarés « contre-révolutionnaires », Liu Di fut exécuté et le Jiangxi sombra dans la terreur. Selon un rapport secret, « quiconque ne se livrait pas à une sauvage répression des AB était lui-même considéré comme tel » ; les pires tortures étaient pratiquées, parmi lesquelles « l’ange jouant de la cithare » (un fil de fer, transperçant le pénis et attaché à une oreille, y tenait lieu de corde) et les mises à mort les plus sauvages étaient perpétrées : « Dans tous les comtés, continue le rapport secret, des gens ont été éventrés et on leur a arraché le cœur ».
Plusieurs dizaines de milliers de victimes périrent dans le Jiangxi dont 10 000 environ dans l’armée, soit un soldat sur 4 ! Cette immense purge, qui précède celles de Staline, est encore tenue secrète aujourd’hui. Dans la province voisine du Fujian, le nombre des victimes qui furent ensuite réhabilitées se monte à 6352 !

Tchang Kaï-chek s’étant lancé dans une « campagne d’annihilation » des rouges en décembre 1930, Zhu De et Peng De-huai, la mort dans l’âme, renoncèrent à faire front contre Mao qui continua les purges contre ceux-là mêmes qui venaient de se battre contre Tchang ! Dans le même temps, Mao remporta un succès militaire contre les nationalistes grâce aux réseaux d’espionnage russes. Le 30 décembre 1930, 40 000 rouges tendirent une embuscade à 9000 hommes du Guomindang ; nouvelle victoire en avril 1931 contre la deuxième « campagne d’annihilation ». La troisième campagne mobilisa 300 000 nationalistes ; cette fois, il s’en fallut de peu que les rouges disparaissent : au terme de la bataille, la base rouge faisait à peine quelques douzaines de kilomètres.

L’invasion de la Mandchourie par le Japon sauva Mao. Tchang demanda l’intervention de la Société des Nations, suspendit son plan d’annihilation des communistes, retira ses troupes du Jiangxi et proposa au PCC de former un front uni contre le Japon. Contrairement à ce que l’on croit ordinairement, le PCC ne fut donc pas le fer de lance de la résistance : il refusa le front uni et profita du retrait des troupes nationalistes pour proclamer la naissance de l’Etat communiste chinois le 7 novembre 1931 (jour du 14° anniversaire de la Révolution russe) dans les provinces rouges du Jiangxi et du Fujian avec Ruijin pour capitale. Moscou donna à Mao le titre de « président du Comité exécutif central », autrement dit, il en fit le chef de ce nouvel Etat….
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1931- 1935 : Ruijin, première machinerie totalitaire.

Messagepar laoshi » 22 Juil 2011, 10:12

Le siège du gouvernement rouge fut installé en dehors de la ville de Ruijin, dans un ancien temple familial vieux de 500 ans réaménagé à la soviétique. Bien que « président », Mao n’était pas le chef suprême du nouvel Etat ; Moscou avait décidé de l’entourer d’hommes loyaux : Zhu De fut placé à la tête de l’armée ; quant à Zhou En-laï, en tant que chef du Parti, il était son supérieur hiérarchique et contrôlait les communications avec Moscou. C’est lui qui fit de Ruijin un Etat stalinien reposant sur une bureaucratie tentaculaire.

Dès l’âge de 6 ans, les enfants étaient enrôlés dans le « corps des enfants » ; à 15 ans, ils passaient dans la « brigade des jeunes » puis étaient versés dans de multiples comités : « comité agraire », « de confiscation », « de recrutement »…. Tous les adultes faisaient automatiquement partie de « l’armée rouge défensive ». Pour Mao, qui avait jusqu’alors régné en chef de bande, cette grande machinerie totalitaire fut une révélation.

Zhou commença par réhabiliter certaines victimes des purges de Mao mais cet assouplissement permit à l’opposition de relever la tête et les tueries reprirent : un scénario qui perdure malheureusement jusqu’à aujourd'hui….

Malgré le blocus officiel, la région, abritant le plus gros gisement de tungstène, échangeait le précieux minerai contre des produits de contrebande venus de Canton. Mais l’Etat rouge trouvait l’essentiel de ses revenus en pressurant la population qui lui fournissait de l’argent, de la nourriture, une main d’œuvre gratuite et des conscrits.

Le fermage ayant été aboli, les paysans étaient nominalement propriétaires de leurs terres, ils n’en étaient pas moins plus pauvres que jamais : contraints de souscrire des « emprunts de guerre révolutionnaire » en échange des épingles à cheveux en argent dans lesquelles leurs femmes mettaient traditionnellement leurs économies, ils étaient aussi contraints de renoncer au remboursement de ces emprunts au cours de « campagnes de retour des obligations ». Même méthode pour les emprunts en nature : après avoir acquitté l’impôt sur le grain, « les masses révolutionnaires » enthousiastes devaient « prêter du grain à l’armée rouge » ! Prêt définitif, bien entendu. Les hommes entre 15 et 50 ans étaient systématiquement réquisitionnés pour le travail obligatoire ou enrôlés dans l’armée. Quant aux femmes, qui avaient désormais les cheveux courts (don des épingles oblige !), elles étaient affectées aux travaux des champs malgré leurs pieds bandés. Pas un jour chômé en dehors des cinq jours de réunion mensuels qui offraient à chacun, selon Mao, « d’excellentes périodes de repos » !
Quant à l’éducation, malgré la fable que Mao répandit par le truchement de Snow, elle se réduisait à quelques rudiments primaires dans les « écoles Lénine » ; la plupart des établissements secondaires furent fermés et les enfants, dûment embrigadés, furent enrôlés dans des « équipes d’humiliation » chargées de forcer les hommes à entrer dans l’armée voire de torturer les « ennemis de classe ».

En février 1933, Mao décida une campagne de pillage sous prétexte de débusquer « les propriétaires et les paysans riches cachés » : il s’agissait de les déposséder de leurs biens, et, selon ses propres termes, de « les forcer à effectuer des travaux obligatoires illimités », autrement dit de les réduire en esclavage. Des familles entières furent ainsi chassées de leurs maisons et contraintes de se réfugier dans des étables à buffles, « niu-peng », un terme qui deviendra synonyme de « détention » pendant la Révolution culturelle. Cette main d’œuvre servile comptait des dizaines de milliers de personnes.


Gong Chu, officier de l’armée rouge, décrivant ce qu’il a vu près de Ruijin a écrit:
Il n’y avait pas un seul meuble, hormis une table cassée et un banc. J’ai vu deux femmes, plus très jeunes, ainsi qu’une vieille et trois petits enfants, tous en haillons, l’air affamé. Quand ils m’ont vu entrer avec quatre gardes du corps munis de pistolets, une panique épouvantable s’empara d’eux.
Entre deux sanglots, la vieille m’a dit : « Mon mari avait lu des livres et mes deux fils aussi. Nous avions plus de 10 mu de terres ; […] mon mari et mes deux fils ont été arrêtés […] puis ils ont été battus et suspendus au bout de cordes et on nous a réclamé 250 yuan. Nous avons donné tout ce que nous possédions pour arriver à 120 yuan et nous avons aussi remis tous les bijoux des femmes […] mais on a laissé mon mari suspendu jusqu’à ce qu’il meure, et on a tué aussi mes fils. Et maintenant, on nous oblige à verser encore 500 yuan, sinon, nous serons mis en prison tous les six. Commandant, nous n’avons presque rien à manger, où trouverions-nous 500 yuan ?


Les cadres, pour recruter des conscrits, avaient ordre de « trouver des contre-révolutionnaires » ; méthode imparable : tous les « suspects » potentiels s’enrôlaient de leur plein gré…. Il va sans dire que dans cette atmosphère de terreur, les suicides étaient fréquents : « Ceux qui se suicident sont les éléments les plus vils dans les rangs des révolutionnaires », affirmait un slogan.

Entre l’année de sa création, 1931, et 1935, au lendemain du départ des rouges, 700 000 personnes moururent dans la base de Ruijin, soit au combat, soit exécutées en tant qu’ « ennemies de classe », victimes du travail forcé ou acculées au suicide. Lorsque le chef du Parti arrivera sur place en 1949, après la fondation de la République communiste, il fera ce triste constat : « le PCC ne compte pas un seul membre » dans tout le Jiangxi. Cela n’étonnera personne !…
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Ruijin : heurs et malheurs du président Mao

Messagepar laoshi » 07 Août 2011, 08:46

Bien qu’officiellement « président » de l’Etat rouge de Ruijin, Mao avait perdu la réalité du pouvoir. En tant que secrétaire du Parti, Zhou Enlai était le numéro un politique et Zhu De était commandant en chef de l’armée. Mao tenta bien de leur ravir la première place mais il fut accusé de promouvoir une « ligne koulak » : mis en « congé de maladie », il quitta Ruijin à la fin de janvier 1932 pour s’installer dans un temple bouddhique réquisitionné, « la Colline de Donghhua », ruminant sa défaite et son désir de vengeance.
Et voilà qu’un « avis de rétractation », paru dans un journal nationaliste sous le pseudonyme de Zhou Enlai, lui fournit l’occasion rêvée de remonter en selle : comme c’était un faux manifeste, dans lequel Zhou était censé abjurer le communisme, Mao ne pouvait l’utiliser pour évincer son rival mais le document était assez embarrassant pour donner à Mao barre sur celui-ci. (Il n’est pas impossible, d’ailleurs, que Mao soit l’auteur de cette manipulation ; il se servira de cet « avis de rétractation » comme d’une épée de Damoclès contre Zhou jusqu’à la fin de sa vie).

Début mars, l’armée rouge était en posture délicate à Ganzhou, dont elle échouait à s’emparer, et les principaux cadres du Parti furent convoqués pour décider de la stratégie à adopter pour sortir de ce mauvais pas. La majorité voulait partir vers l’ouest, Mao préconisait le nord-est. Connaissant le pouvoir de nuisance de Mao, qui avait déjà éliminé tant d’adversaires en les accusant d’être « AB », Zhou coupa la poire en deux au profit de celui-ci : un tiers de l’armée partirait à l’ouest, les deux tiers, sous le commandement de Lin Biao, suivraient Mao.
Contre toute attente, Mao ne se lança pas vers la direction proposée mais vers le sud-est, sabotant sans vergogne les plans de ses camarades. Le 20 avril, ses troupes s’emparaient de Zhangzhou
*, une ville côtière prospère (mais sans défenses) ayant de nombreux contacts avec l’étranger. Entré dans la ville sur un cheval blanc, coiffé d’un casque colonial et vêtu d’un impeccable costume Sun Yat-sen, non seulement Mao rehaussa son prestige avec un sens aigu de la propagande mais il amassa un trésor de guerre personnel pour parer à toute éventualité.

En mai 1932, Tchang Kaï-chek préparait sa 4° « campagne d’annihilation ». Bien qu’ils aient résisté aux Japonais lors de l’attaque de Shanghai (du 28 janvier à la fin avril) au prix de lourdes pertes, les communistes avaient d’autres priorités que de résister au Japon ; leur « déclaration de guerre », lancée le 15 avril, visait d’abord Tchang : « Afin de […] lutter contre les impérialistes japonais, il est d’abord nécessaire de renverser le gouvernement nationaliste », affirmaient-ils. Devant la menace de cette 4° campagne, le PCC ordonna à Mao de ramener son armée dans la base rouge du Jiangxi, mais celui-ci refusa d’obéir, perdant un temps précieux et laissant ses soldats, acculés à la mer, à la merci des nationalistes. Ce n’est que le 29 mai qu’il quitta enfin Zhangzhou : beaucoup de ses hommes, contraints de faire 300 km à pied sous une chaleur accablante, moururent de maladie ou périrent sous les coups des Cantonais, que le coup de force contre la ville voisine de Zhangzhou avait rapprochés de Tchang. Bien que le PCC, Zhou compris, eût dénoncé ses agissements « à 100% opportunistes de droite » et « absolument contraires aux instructions du Komintern », Moscou ne prit aucune sanction : Mao fut nommé commissaire politique en chef de l’armée le 8 août, avec le soutien de Zhou, toujours prompt à obéir aux ordres de Moscou et soucieux de se concilier ce génie malfaisant.

Mao avait ainsi évincé son vieil ennemi Zhu De à la tête de l’armée grâce à l’ascendant qu’il avait pris sur Zhou. A peine revenu au pouvoir, il désobéit de nouveau aux ordres de Moscou : pendant l’été 1932, au lieu de défendre les bases rouges du Jiangxi, il laissa Tchang s’emparer de plusieurs d’entre elles. En octobre, les 8 dirigeants les plus importants de la base rouge, réunis à Ningdu
**, l’accusèrent de « manquer de respect à la direction du Parti » ; les cadres de Shanghai, Po Ku en tête, envisagèrent même l’exclusion. Sans attendre les consignes de Moscou, ils lui retirèrent son commandement militaire, qu’ils confièrent à Zhou : Mao repartit à l’arrière « pour raisons de santé » le 12 octobre et, cette fois, les ordres de Staline arrivèrent trop tard pour lui sauver la mise. Refusant de retourner à Ruijin, où il devait « présider » pour sauver la face, Mao se réfugia à Tingzhou, dans une somptueuse villa réquisitionnée dont il fit son quartier général.

Mao ne pardonna jamais à ceux qui s’étaient mis en travers de sa route à Ningdu. Malgré son attitude conciliante, Zhou, qui avait hérité de son poste de « commissaire politique de l’armée », dut le payer très cher : plus de quarante ans plus tard, alors même qu’il luttait contre le cancer qui devait l’emporter (et contre lequel Mao refusait obstinément qu’on le soigne), il devait se livrer à plus de 100 autocritiques où revenait, en leitmotiv, l’épisode de Ningdu.

En janvier 1933, Po Ku, qui dirigeait le bureau du Parti à Shanghai, arriva à Ruijin, alors menacée par les nationalistes. Ayant réussi à neutraliser les acolytes de Mao, il parvint à unir le Parti contre Tchang dont la campagne d’annihilation fut mise en échec en mars. Ces victoires communistes sans précédent, menées sous le commandement militaire de Zhou Enlai, faisaient de l’ombre à Mao qui décida de sortir de sa retraite en février. Son étoile pâlissait, même à Moscou : il se sentait comme « plongé dans un tonneau de pisse », dira-t-il en se souvenant du zèle que ses camarades mettaient alors à l’éviter ! Début 34, il perdait même son poste de « premier ministre », auquel lui succédait Lo Fu, un jeune cadre formé en Russie. Officiellement, Mao restait « le président », autant dire, pour les caciques du Parti, un pantin ; le pouvoir réel revenait au Secrétariat du Parti…
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