un fonctionnaire de Yan’an a raconté : Quand ils sont arrivés, nous avons commencé par les accueillir à bras ouverts et nous leur avons pris leurs armes. Puis nous leur avons dit : « Camarades, vous avez subi bien des épreuves. Vous êtes transférés à l’arrière où vous pourrez vous reposer. » Nous les avons emmenés par fournées dans les vallées, tous ces petits-fils de tortue, et nous les avons enterrés vivants »
[...] Tout d’abord, nous leur avons doit avec un grand sourire : « Camarades, creusez donc les fosses, nous voulons enterrer vivants des soldats nationalistes. » Ils ont vraiment travaillé dur […]. Une fois qu’ils ont eu fini, nous les avons tous poussés dedans […]. Nous, on ne reconnaît que l’autorité du président Mao. Tout ce qu’il nous demande de faire, on le fait.
Pour faire bonne mesure, Mao avait infligé brimade sur brimade à Zhang Guo-tao : il l’avait fait expulser de chez lui pour s'installer à sa place et avait fait donner le rôle d’un traitre « trotskiste » à son fils dans une pièce de théâtre donnée par l’école. On comprend que Zhang Guo-tao ait voulu prendre sa revanche sur son adversaire. En décembre 1937, il s’était rangé, contre Mao, à la ligne de Wang Ming, « la guerre aux Japonais d’abord ». Au printemps 1938, il tenta même, mais en vain, de rallier les opposants à l’idée d’éliminer Mao. Devant l’échec de son entreprise, il passa dans le camp nationaliste. Il fut exclu du Parti et ses partisans de Yan’an furent liquidés : 200 d’entre eux furent enterrés vivants. Un bonheur ne venant jamais seul, les agents soviétiques qui accusaient Mao d’être un agent japonais furent exécutés, Mao avait désormais les coudées franches pour s’attaquer à Wang Ming…
Wang Ming avait été remplacé à Moscou par Wang Jia-xiang, « le prof rouge » ; Dimitrov, le chef du Komintern, lui ayant déclaré en juin 1938 dans une conversation à bâtons rompus que les communistes chinois devaient régler leurs problèmes « sous la direction ayant à sa tête Mao Zedong », Mao se servit de cette phrase comme d’un nouveau sésame. Alors que Wuhan était sous le feu des Japonais, il convoqua le plénum du Comité central à Yan’an pour lui faire entendre « les instructions du Komintern ». Wang Ming eut beau protester qu’il n’était guère opportun de quitter le champ de bataille, il dut se rendre à Yan’an. Le plénum se réunit le 29 septembre : Wang Jia-xiang répéta le propos de Dimitrov et Mao déclara aussitôt qu’il présenterait le rapport politique, en tant que « numéro un ». Le tour était joué !
Le propos de Dimitrov dont s’était revendiqué Mao visait l’unité du Parti. Qu’à cela ne tienne ! Pour discréditer ceux qui avaient eu le tort de voter contre lui, Mao utilisa l’un de ses stratagèmes favoris ; il fit traîner le plénum en longueur : près de deux mois ! Lorsque Zhou Enlai, Xiang Ying, Po Ku et Wang Ming, rappelés sur le théâtre des opérations, eurent quitté les lieux, Mao put imposer sa politique au plénum : bafouant ouvertement les consignes de Staline et revenant sur sa promesse de « braquer tous les fusils sur les Japonais », il désigna Tchang comme l’ennemi à abattre et fit de l’extension des bases rouges sa priorité. Liu Shaoqi approuvait cette stratégie de prise du pouvoir. Peng De-huai et Zhu-De, conscients que la guerre civile serait inévitable si les rouges cherchaient à élargir leurs bases, se laissèrent convaincre. Pour éviter que Moscou ne soit mis au courant de cette trahison, Mao interdit à quiconque de « révéler des secrets » fût-ce à l’intérieur du Parti : Wang Ming n’en saurait donc rien.
En juin 1939, Mao ne pouvait plus, néanmoins, cacher la réalité aux Russes : les bases rouges s’étaient multipliées, les combats avec les nationalistes faisaient rage. Pour désamorcer la colère du grand-frère soviétique, Mao prétendit qu’il s’agissait de « légitime défense » ; après s’être concilié les bonnes grâces de Moscou en chantant les louanges Staline dans un film de propagande, il envoya ses émissaires – parmi lesquels Lin Biao et Mao Ze-min -, chanter les siennes à Moscou et discréditer ses opposants, en particulier Wang Ming. Zhou Enlai, qui avait fini par se rallier à Mao, fut le troisième envoyé « extraordinaire » de Mao à Moscou : niant l’évidence, il certifia que le PCC suivait toujours la politique du « front uni » et fit l’éloge de Mao. Mao Ze-min n’en fit pas moins des réserves à ses interlocuteurs russes sur ses opinions « malsaines » à l’égard des nationalistes…