par laoshi » 22 Juil 2011, 09:56
Outre les deux armées de Zhu-Mao et de Peng De-huai, Mao convoitait également l’armée du Jiangxi, qu’il avait approchée dès 1929, en sortant du pays des bandits. Il avait laissé sur place son jeune frère, Ze-tan. Mais Ze-tan n’avait pas le goût du pouvoir et Mao envoya un de ses fidèles du Hunan, Liu Shi-qi - qui devait devenir son beau-frère en épousant la sœur de sa femme -, pour le remplacer à la tête du district de Donggu, le centre des rouges de la province.
Dès l’année suivante, Mao prit le contrôle de toute la province du Jiangxi, encore une fois par la ruse. Son « mode opératoire » était toujours le même : jouer avec les dates pour transformer un coup de force en décision « légitime ». Ayant convoqué les rouges du Jiangxi à Pitou pour une « conférence élargie » qui devait se tenir le 10 février, il avança la date de la réunion au 6 sans prévenir quiconque. Les principaux délégués étaient donc absents lorsque Mao se propulsa lui-même à la tête de la province, évinçant son chef, Lee Wen-lin ! Mais les communistes du Jiangxi ne l’entendaient pas de cette oreille et Mao ordonna l’exécution publique de quatre dirigeants locaux pour réduire les « contre-révolutionnaires » au silence…. Arguant des origines de classe des dirigeants locaux, il fit passer sa première purge sanglante en chasse aux « koulaks », terme emprunté à Staline pour désigner les propriétaires terriens : des milliers de paysans et de communistes furent liquidés en un mois….
Shanghai n’avait pas autorisé Mao à prendre le contrôle ni de la province ni de son armée, dont il avait confié le commandement à Caï Shen-xi. A son arrivée, Mao empêcha pourtant celui-ci de prendre ses fonctions et nomma son beau-frère à sa place. Lorsque le PCC de Shanghai eut vent de l’affaire, il envoya une circulaire à toutes ses armées pour réaffirmer qu’elles ne devaient obéir qu’à lui. Forts de cette assurance, les rouges et les paysans du Jiangxi – saignés à blanc par les impôts exigés par Liu -, se soulevèrent. Profitant de l’absence provisoire de Mao, occupé à prendre le contrôle de l’armée de Peng De-huai, les rouges locaux, réunis en assemblée générale, démirent Liu de ses fonctions (Liu s’enfuit mais fut bientôt assassiné dans une autre base rouge).
Mao entreprit de se venger. Dès le 14 octobre 1930, il dénonça à Shanghai la branche locale du Parti qui se trouvait, selon lui, « sous l’autorité de paysans riches » et était « rempli d’AB » [antibolchéviques]* ; il ajoutait qu’il n’y aurait « pas moyen de sauver le Parti sans une purge féroce de tous les chefs koulaks et AB » ! Moscou, qui appréciait son cynisme, le désigna alors comme le chef du futur Etat communiste. Ayant désormais les coudées franches, Mao regroupa toutes les troupes au centre du territoire rouge pour leur couper toute possibilité de retraite puis il révéla l’existence au sein du Parti d’une « Ligue AB ». Prétendument sous l’autorité de Peng De-huai, elle comprenait tous ceux qui s’étaient mis en travers de son chemin.
Lie Shau-joe fut l’artisan de la chasse aux sorcières. La purge commença fin novembre par quelques arrestations, chaque prisonnier étant contraint, sous la torture, de livrer une douzaine de noms. Le 20 décembre, Mao rendait compte en personne du succès de l’opération à Shanghai : « plus de 4 400 AB ont été découverts au sein de l’Armée rouge », écrivait-il. Il précisait que tous avaient été torturés et la plupart exécutés.
Les dirigeants provinciaux de Futian, qui avaient limogé Liu, furent déclarés « AB » et les massacres de masse furent justifiés par un argument imparable : « Là où il n’y a pas d’arrestations et de massacres, les membres du Parti et du gouvernement doivent forcément être AB, écrivit Mao à Lie ; vous pouvez donc vous emparez d’eux et leur régler leur compte ».
Les méthodes de Lie étaient tellement sadiques qu’elles provoquèrent une mutinerie ; ses tortionnaires s’acharnaient tout particulièrement sur les épouses des chefs du Jiangxi : « leur corps, et tout spécialement le vagin, rapporte l’auteur d’une protestation écrite, ont été brûlés au moyen de mèches enflammées ». Le chef de la mutinerie, Liu Di, parvint à s’échapper en feignant de vouloir, à son tour, « éliminer au plus vite tous les AB de son régiment ». A peine relâché, il attaqua la prison de Futian, libéra ses camarades et dépêcha des émissaires à Shanghai pour dénoncer celui qui voulait devenir « l’empereur du Parti » : « non seulement ce n’est pas un chef révolutionnaire, affirmait-il, mais ce n’est pas […] un bolchevique ». Zhou En-laï reconnut qu’en effet tous ces hommes avaient « été torturés », il n’en soutint pas moins la ligne de Moscou qui avait trouvé en Mao un auxiliaire d’une efficacité redoutable. Les rouges de Futian furent donc déclarés « contre-révolutionnaires », Liu Di fut exécuté et le Jiangxi sombra dans la terreur. Selon un rapport secret, « quiconque ne se livrait pas à une sauvage répression des AB était lui-même considéré comme tel » ; les pires tortures étaient pratiquées, parmi lesquelles « l’ange jouant de la cithare » (un fil de fer, transperçant le pénis et attaché à une oreille, y tenait lieu de corde) et les mises à mort les plus sauvages étaient perpétrées : « Dans tous les comtés, continue le rapport secret, des gens ont été éventrés et on leur a arraché le cœur ».
Plusieurs dizaines de milliers de victimes périrent dans le Jiangxi dont 10 000 environ dans l’armée, soit un soldat sur 4 ! Cette immense purge, qui précède celles de Staline, est encore tenue secrète aujourd’hui. Dans la province voisine du Fujian, le nombre des victimes qui furent ensuite réhabilitées se monte à 6352 !
Tchang Kaï-chek s’étant lancé dans une « campagne d’annihilation » des rouges en décembre 1930, Zhu De et Peng De-huai, la mort dans l’âme, renoncèrent à faire front contre Mao qui continua les purges contre ceux-là mêmes qui venaient de se battre contre Tchang ! Dans le même temps, Mao remporta un succès militaire contre les nationalistes grâce aux réseaux d’espionnage russes. Le 30 décembre 1930, 40 000 rouges tendirent une embuscade à 9000 hommes du Guomindang ; nouvelle victoire en avril 1931 contre la deuxième « campagne d’annihilation ». La troisième campagne mobilisa 300 000 nationalistes ; cette fois, il s’en fallut de peu que les rouges disparaissent : au terme de la bataille, la base rouge faisait à peine quelques douzaines de kilomètres.
L’invasion de la Mandchourie par le Japon sauva Mao. Tchang demanda l’intervention de la Société des Nations, suspendit son plan d’annihilation des communistes, retira ses troupes du Jiangxi et proposa au PCC de former un front uni contre le Japon. Contrairement à ce que l’on croit ordinairement, le PCC ne fut donc pas le fer de lance de la résistance : il refusa le front uni et profita du retrait des troupes nationalistes pour proclamer la naissance de l’Etat communiste chinois le 7 novembre 1931 (jour du 14° anniversaire de la Révolution russe) dans les provinces rouges du Jiangxi et du Fujian avec Ruijin pour capitale. Moscou donna à Mao le titre de « président du Comité exécutif central », autrement dit, il en fit le chef de ce nouvel Etat….
laoshi