En mai 1933, Tchang Kaï-chek négocia une trêve avec les Japonais ; en septembre, il mobilisa 500 000 hommes pour la 5° « campagne d’annihilation ». Souhaitant « assécher l’étang pour ramasser les poissons », il étrangla méthodiquement Ruijin : tous les deux kilomètres, ses armées construisirent des casemates à portée de mitrailleuse les unes des autres, resserrant implacablement son étau autour de l’Etat rouge.
Au printemps 1934, les rouges préparèrent leur retraite. Po Ku en profita pour essayer de se débarrasser de Mao - toujours officiellement « malade » -, en l’envoyant « se soigner » à Moscou mais les Russes refusèrent. Po Ku lui demanda alors de témoigner de la pérennité de l’Etat de Ruijin en tenant la place, manière élégante de le sacrifier à la « cause »… Mais Mao ne l’entendait pas de cette oreille. Pour contraindre ses camarades à l’emmener, il s’installa au point d’évacuation prévu et échangea le trésor de guerre qu’il avait soustrait au Parti après sa victoire sur Zhangzhou* : Po Ku ayant désespérément besoin de fonds, il accepta d’emmener Mao, laissant sur place le vice-président, Xiang Ying, que Mao avait tenté d’éliminer en le faisant passer pour «AB » au Jiangxi et qui avait réclamé son éviction du Parti à Ningdu ** (Xiang Ying le paiera de sa vie 10 ans plus tard).
Zhou En-laï organisa le tri des candidats au départ. Des milliers d’hommes furent exécutés parmi lesquels la plupart des professeurs des écoles de l’armée (d’anciens officiers nationalistes faits prisonniers) : les uns, tués à l’arme blanche, furent ensevelis dans une immense fosse commune ; d’autres, moins chanceux, durent creuser leur propre tombe avant d’y être jetés morts ou vifs…
Un accès de malaria faillit bien empêcher Mao de partir : le docteur Fu – qui devait devenir son principal médecin ensuite -, le remit sur pied in extremis (ce qui n’empêcha pas Mao de le laisser aux mains de ses bourreaux lors de la grande purge de 1966).
Le 18 octobre 1934, Mao quitta donc Ruijin en empruntant le pont de bateaux jeté sur le fleuve. Il emmenait sa femme, Gui-yuan, mais laissait son fils de deux ans, Petit Mao, à la garde de son frère, Mao Ze-tan, et de la sœur de Gui-yuan. Gui-yuan avait déjà dû abandonner sa fille à Longyan, en 1929, et perdu son troisième enfant. Elle ne retrouvera jamais ses enfants, malgré tous ses efforts ultérieurs (le sacrifice des enfants était en effet un des « devoirs » des militants et il n’était pas rare que des parents vendent leur progéniture pour récolter des fonds au profit du PCC !). Mao, quant à lui, n’exprima aucun chagrin : il ne prit même pas la peine de dire au-revoir à son fils.
C’en était fini de Ruijin, le premier Etat rouge, la « Longue Marche » allait commencer….