Mao, L'histoire inconnue

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1933 - 1934 : l’étranglement et l’abandon de Ruijin

Messagepar laoshi » 10 Août 2011, 09:14

En mai 1933, Tchang Kaï-chek négocia une trêve avec les Japonais ; en septembre, il mobilisa 500 000 hommes pour la 5° « campagne d’annihilation ». Souhaitant « assécher l’étang pour ramasser les poissons », il étrangla méthodiquement Ruijin : tous les deux kilomètres, ses armées construisirent des casemates à portée de mitrailleuse les unes des autres, resserrant implacablement son étau autour de l’Etat rouge.

Au printemps 1934, les rouges préparèrent leur retraite. Po Ku en profita pour essayer de se débarrasser de Mao - toujours officiellement « malade » -, en l’envoyant « se soigner » à Moscou mais les Russes refusèrent. Po Ku lui demanda alors de témoigner de la pérennité de l’Etat de Ruijin en tenant la place, manière élégante de le sacrifier à la « cause »… Mais Mao ne l’entendait pas de cette oreille. Pour contraindre ses camarades à l’emmener, il s’installa au point d’évacuation prévu et échangea le trésor de guerre qu’il avait soustrait au Parti après sa victoire sur Zhangzhou
* : Po Ku ayant désespérément besoin de fonds, il accepta d’emmener Mao, laissant sur place le vice-président, Xiang Ying, que Mao avait tenté d’éliminer en le faisant passer pour «AB » au Jiangxi et qui avait réclamé son éviction du Parti à Ningdu ** (Xiang Ying le paiera de sa vie 10 ans plus tard).

Zhou En-laï organisa le tri des candidats au départ. Des milliers d’hommes furent exécutés parmi lesquels la plupart des professeurs des écoles de l’armée (d’anciens officiers nationalistes faits prisonniers) : les uns, tués à l’arme blanche, furent ensevelis dans une immense fosse commune ; d’autres, moins chanceux, durent creuser leur propre tombe avant d’y être jetés morts ou vifs…

Un accès de malaria faillit bien empêcher Mao de partir : le docteur Fu – qui devait devenir son principal médecin ensuite -, le remit sur pied in extremis (ce qui n’empêcha pas Mao de le laisser aux mains de ses bourreaux lors de la grande purge de 1966).

Le 18 octobre 1934, Mao quitta donc Ruijin en empruntant le pont de bateaux jeté sur le fleuve. Il emmenait sa femme, Gui-yuan, mais laissait son fils de deux ans, Petit Mao, à la garde de son frère, Mao Ze-tan, et de la sœur de Gui-yuan. Gui-yuan avait déjà dû abandonner sa fille à Longyan, en 1929, et perdu son troisième enfant. Elle ne retrouvera jamais ses enfants, malgré tous ses efforts ultérieurs (le sacrifice des enfants était en effet un des « devoirs » des militants et il n’était pas rare que des parents vendent leur progéniture pour récolter des fonds au profit du PCC !). Mao, quant à lui, n’exprima aucun chagrin : il ne prit même pas la peine de dire au-revoir à son fils.

C’en était fini de Ruijin, le premier Etat rouge, la « Longue Marche » allait commencer….
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La Longue Marche, I : le plan machiavélique de Tchang

Messagepar laoshi » 10 Août 2011, 09:23

Environ 80 000 hommes quittèrent Ruijin en octobre 1934 ; les porteurs, enrôlés de force, ou tout juste libérés des travaux forcés, convoyaient de lourdes charges, dont le trésor de Mao, au moyen de simples palanches. Certains mouraient d’épuisement, d’autres désertaient.

A leur grande surprise, les rouges ne subirent aucune attaque sur le « front cantonais » par lequel ils faisaient retraite : ils franchirent sans encombre la première ligne, gardée par un seigneur de la guerre hostile à Tchang avec lequel ils avaient fait de fructueuses affaires, et jusqu’à la troisième ligne des fortifications édifiées par les nationalistes qui se contentèrent d’observer. Ce n’est qu’au quatrième barrage, alors qu’ils traversaient le fleuve Xiang, que Tchang intervint, coupant l’Etat-major communiste de son arrière-garde, forte de 40 000 hommes (dont 3000 périrent dans les bombardements).

Les forces communistes étaient donc réduites à la moitié de leurs effectifs mais elles avaient franchi l’obstacle sans encombre, avec l’évidente complicité de Tchang. Pourquoi une telle complaisance ? En réalité, Tchang poursuivait ses propres objectifs. Il poussait les rouges vers les provinces du Guizhou et du Sichuan. Ces deux provinces formaient en effet, avec le Yunnan, une vaste région sud-ouest indépendante du gouvernement de Nankin, auquel elle ne payait même pas l’impôt, et soumise aux seigneurs de la guerre qui refusaient toute incursion étatique sur leur territoire. Il s’agissait donc de faire des rouges le cheval de Troie des nationalistes ! « A présent, quand l’armée communiste entrera dans le Guizhou, nous pourrons marcher sur ses traces, expliqua Tchang à son secrétaire. Ce qui vaut beaucoup mieux que de nous lancer dans une guerre pour conquérir cette province. Le Sichuan et le Yunnan seront obligés de nous ouvrir tout grands les bras pour se protéger. » Il s’agissait donc de réaliser l’unification du pays à moindre coût, chose que l’histoire officielle passe sous silence dans les deux camps : Tchang étant en quelque sorte le principal artisan de la victoire finale des rouges, le reconnaître priverait les uns d’une partie de leur gloire et humilierait un peu plus les autres.

Il s’agissait aussi pour Tchang de ménager Moscou dont il avait besoin dans sa lutte contre le Japon et qui retenait depuis 9 ans son fils Jingguo en otage. Jingguo avait été « invité » à étudier en Russie alors que Moscou « soutenait » le parti nationaliste tout en l’infiltrant d’une multitude de cadres communistes. C’est sur ordre de Moscou que l’un de ses agents, Shao Li-zu, avait amené le Jingguo en Russie. Lorsque Tchang rompit avec les communistes, en 1927, Staline le retint ; le jeune homme fut même contraint de dénoncer publiquement son père.

Tchang avait donc conçu un plan machiavélique : 1 - monnayer la survie du PCC contre le retour du Jingguo ; 2 – pousser les communistes dans le Shaanxi et les y enfermer ; 3 – compter sur Staline, qui redoutait une invasion de l’URSS par le Japon, pour contraindre le PCC à entrer réellement en guerre contre celui-ci ; 4 – compter sur les Japonais (et leur écrasante supériorité militaire) pour anéantir les rouges chinois.

Tchang avait choisi d’abandonner le nord du Shaanxi aux communistes parce que c’était une terre assez pauvre et peu peuplée ; afin d’être sûr qu’ils iraient s’y réfugier, il laissa une base rouge s’y développer alors qu’il menait une lutte acharnée contre toutes les autres. Dans ce but, il nomma Shao, dont il savait que c’était une taupe rouge, « gouverneur du Shaanxi ». De fait, Shao, ignorant le plan de Tchang, laissa prospérer la base dont la superficie atteignit 30 000 km2 en quelques mois. Pour être sûr que les rouges suivraient la route prévue, Tchang leur laissa volontairement intercepter les messages radio indiquant les positions de ses propres troupes…

Tchang demanda officiellement que Staline lui rende son fils juste avant l’abandon de la base de Ruijin par les communistes et il lui fit comprendre qu’il les laisserait s’enfuir sans intervenir : il partit pour un voyage officiel de 40 jours dans le nord de la Chine, tournant délibérément le dos au théâtre des opérations. Tchang réitéra en vain sa demande de libération de Jingguo après que les rouges eussent traversé toutes les lignes nationalistes ; son fils fut au contraire placé sous une surveillance plus étroite. Machiavel inspirait les deux camps : Tchang devrait continuer à protéger les rouges s’il voulait revoir son fils vivant….
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1935 - La longue Marche, II : tours et détours de Mao

Messagepar laoshi » 13 Août 2011, 16:40

La première étape du plan de Tchang se déroula comme prévu ; l’arrivée des rouges dans le Guizhou provoqua la panique du seigneur de la guerre local : « dans ces circonstances, dira celui-ci, j’ai préféré me ranger sous le commandement de Tchang ».
Il n’en alla pas de même pour diriger Mao vers le Sichuan. C’est que le nord de la province était le fief d’un homme redoutable, Zhang Guo-tao
*, un vétéran du Parti qui avait présidé le 1° Congrès, membre du Secrétariat et du Comité exécutif du Komintern, qui y avait édifié une base solide avec une armée de 80 000 hommes (les seigneurs de la guerre pressuraient tellement la population qu’il n’avait eu aucun mal à recruter). Mao ne pouvait se prévaloir d’aucun de ces titres : « Président » d’un Etat fantôme, à la tête d’une armée en déroute (dont il avait perdu la moitié des effectifs), il savait que Zhang Guo-tao n’hésiterait pas à l’éliminer s’il se mettait en travers de son chemin.
Pour arriver à ses fins, il lui fallait des alliés. Il jeta son dévolu sur Wang Jia-xiang, dit le « prof rouge », et sur Lo Fu, qui lui avait pourtant ravi le titre de « premier ministre ». Tous les deux en voulaient à Po Ku, le n°1 du Parti, qui les avait « mis sur la touche ». L’alliance entre les trois hommes fut scellée pendant le voyage, qu’ils firent en palanquin !


Mao a écrit:Pendant la Marche, j’étais allongé sur un palanquin. Alors, qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai lu. J’ai lu comme un fou.


Les trois comparses demandèrent l’organisation d’une « conférence » pour déterminer les raisons de la chute de Ruijin. Elle eut lieu du 15 au 17 janvier 1935 à Zunyi, dans le nord du Guizhou. L’assemblée refusa d’imputer à Po Ku la responsabilité de l’échec mais elle entérina la promotion de Mao au Secrétariat et confia à Lo Fu la rédaction d’une « résolution ». Lo Fu intitula son projet « Critique des erreurs de politique militaire commises par les camarades Po Ku, Zhou Enlai et Otto Braun ». Il n’en fallait pas plus pour obtenir la docilité de Zhou : son nom disparut du rapport et Mao se vit octroyer le titre d’« Adjoint du camarade Enlai pour la conduite des affaires militaires » tandis que le « prof rouge » devenait membre du Bureau Politique. Quant à Lo Fu, il prit la place de Po Ku à la faveur de ce remaniement du Secrétariat.

Entré par effraction au Secrétariat, Mao n’avait aucune envie de rejoindre le Sichuan, malgré les pressions de Moscou et la décision prise à Zunyi. Ne pouvant refuser ouvertement d’obtempérer, il recourut à la ruse : il obtint de Zhou l’autorisation de tendre une embuscade aux nationalistes du Sichuan qui les suivaient sans les menacer (ils avaient reçu l’ordre exprès de « ne pas engager d’échauffourée »). Mao ne souhaitait aucunement gagner, bien au contraire ! il voulait démontrer, par la défaite, que les forces du Sichuan étaient trop dangereuses pour qu’on s’y aventure ! L’embuscade eut lieu à Tucheng, le 28 janvier : 4000 rouges (un homme sur 10), furent tués ou blessés en une seule journée. Cela n’empêche pas la légende d’affirmer que Mao « sauva » l’armée rouge après la conférence de Zunyi….
Mao avait fait la preuve par l’échec du bien fondé de sa position : le 7 février 1935, les communistes retraversèrent le Fleuve Jaune vers le Guizhou ! Tchang eut beau envoyer deux divisions pour les déloger, les rouges résistèrent, ce qui permit à Mao de redorer son blason et de mettre Zhang Guo-tao devant le fait accompli en officialisant son entrée au Secrétariat.

Cependant, Mao ne pouvait rester dans le Guizhou sans se battre pour y créer une base. Le 5 mars, il donna l’ordre d’éliminer « deux divisions » d’élite de Tchang et, comme l’Etat major réuni en conseil de guerre renâclait, il mit sa démission dans la balance. Mal lui en prit : elle fut acceptée et Peng De-huai fut nommé à sa place. Mais Mao fit annuler en sous-main la décision par Zhou En-lai qui, sur le papier, gardait le dernier mot en matière militaire ! Pour faire bonne mesure, Zhou renonça à son pouvoir au profit d’un triumvirat dans lequel il serait assisté de Mao et du « prof rouge ». Le triumvirat ordonna l’attaque des nationalistes près de Maotai malgré les avertissements de Peng De-huai : les rouges subirent de lourdes pertes et durent se replier… dans le Sichuan ! Mais Mao, encore une fois, fit faire demi-tour à ses hommes, les contraignant à refluer vers le sud alors que Tchang leur laissait la voie libre vers le nord…. Tchang était médusé de voir les rouges « tourner en rond dans cet endroit sans importance ». L’histoire officielle ne souffle mot, évidemment, des raisons pour lesquelles Mao sacrifia tant de vies humaines au mépris du bon sens…. Sa femme, Gui-yuan, fut l’une des victimes de son entêtement criminel : non seulement elle accoucha d’une petite fille qu’elle dut abandonner mais encore elle faillit périr au cours des bombardements que Tchang intensifiait en vain pour réorienter la longue Marche vers le nord !

Tchang n’était pas le seul à vouloir rediriger la Longue Marche. Au mois d’avril, Lin Biao somma Mao de partir pour le Sichuan. Mais celui-ci s’enfonça plus au sud dans le Yunnan où il se heurta aux Miao. Après une nouvelle dépêche de Lin, Mao se résigna enfin à prendre la direction du nord : la voie était libre ! Au premier jour, un camion « oublié » lui fournit même des cartes et des vivres et les villes bordant le Yangzi lui ouvrirent grand leurs portes…. L’armée rouge franchit le fleuve sans encombre mais Mao n’était nullement disposé à continuer sa route, il ordonna le siège de Huili, aux confins du Sichuan et du Yunnan ! Tchang reprit donc ses bombardements, faisant énormément de victimes, qu’on ne pouvait plus soigner, faute de matériel médical…. Cette fois, c’en était trop pour Lin Biao et pour Peng De-huai, qui tenta de contester le pouvoir de Mao : Lo Fu dut convoquer la direction pour trancher la question. La « réunion de Huili » eut lieu le 12 mai. Mao réussit à conserver son poste grâce à Lo Fu ; en échange, il acceptait de renoncer au siège de la ville et de « partir vers le nord ». Il avait fait marcher ses troupes sur près de 2000 km en 4 mois et perdu 30 000 hommes ! Mais qu’importait la vie humaine au regard de son ambition ?

Arrivé au centre-ouest du Sichuan, près du Tibet, il fallait franchir le redoutable fleuve Dadu sur un pont suspendu du XVIII° siècle. Ce pont est devenu un « lieu de mémoire » du communisme grâce à la légende répandue par Edgard Snow en 1936 puis par un film de propagande :


Edgar Snow a écrit:La moitié [du] plancher de bois avait été enlevé [par les nationalistes] et devant eux, seules se balançaient les chaînes nues […]. A la tête de pont […], une mitrailleuse ennemie leur faisait face […]. Qui eût cru que les rouges seraient assez fous pour tenter la traversée à même les chaînes ? Ce fut pourtant ce qu’ils firent. […] De la paraffine jetée sur les planches restantes commença à brûler. A ce moment-là, une vingtaine de rouges avançaient à quatre pattes, expédiant une pluie de grenades dans le nid à mitrailleuse des ennemis.


En réalité, il n’y avait aucune troupe nationaliste en faction ; le pont, comme l’atteste un démenti formel du conservateur en 1983, n’a jamais été incendié ; il n’y eut ni mort ni blessé parmi les soldats qui le traversèrent ; aux dires de Mme Zhu De, de Peng De-huai et d’une villageoise, il y eut deux ou trois victimes parmi ceux qui remplacèrent les madriers manquants : l’un d’eux s’étant brutalement rompu, ils tombèrent accidentellement dans le fleuve.

Deng Xiao-ping a affirmé en 1982 :
Ce fut une opération extrêmement facile. Nous n’avions en face de nous que quelques troupes d’un seigneur de la guerre équipées de vieux fusils. Ce ne fut pas vraiment un fait d’armes mais il nous fallait le dramatiser pour manifester l’esprit combatif de nos forces.


Mao passa le pont le 31 mai puis il franchit la Grande Neigeuse à pied, renonçant enfin à son palanquin ; les soldats de Zhang Guo-tao, bien équipés et bien nourris, accueillirent les rescapés avec des vivres et des vêtements chauds dans une petite ville du Tibet ; épuisés, couverts de poux, décimés par la dysenterie et même le typhus, en loques, ils étaient à peine 10 000 sur les 80 000 qui avaient quitté Ruijin….
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La Longue Marche, III : bras de fer entre deux chefs

Messagepar laoshi » 10 Sep 2011, 11:45

Mao n’était plus capable de disputer à Zhang Guo-tao le leadership sur l’armée rouge : il avait perdu toute son artillerie lourde, ses hommes, en guenilles, n’avaient plus que 5 cartouches pour leur fusil tandis que Zhang, avec 80 000 soldats, bien nourris, bien armés, bien entraînés, remportait de réelles victoires.

Lo Fu, Zhou Enlai et Po Ku, n’ayant pas su faire barrage à Mao, ne pouvaient nier leur responsabilité dans la débâcle. Ils choisirent donc de soutenir celui-ci dans le bras de fer qui l’opposait à son rival et, la meilleure des défenses étant l’attaque, ils l’accusèrent de « banditisme », le traitèrent de « seigneur de la guerre » « politiquement rétrograde » ! La riposte ne se fit pas attendre ; ils se retrouvèrent, avec Mao, sous le feu des critiques, y compris celle de leurs propres hommes : les officiers fustigeaient leur « incompétence militaire », leur « indifférence » au sort des simples soldats qui, de leur côté, dénonçaient l’abandon des blessés et le cynisme de chefs qui les avaient transformés en « porteurs de palanquins »….


un vétéran de la Longue Marche a déclaré aux auteurs :
Ils nous parlaient d’égalité, mais ils étaient vautrés dans leurs palanquins, comme de grands propriétaires. Les chefs ont une vie très dure, nous expliquait-on. Certes, ils ne marchent pas et ne portent rien mais leurs cerveaux et les reste souffrent beaucoup plus que les vôtres.


En fait, marcher ou ne pas marcher était une question de vie ou de mort : pas un seul cadre dirigeant ne mourut pendant la Longue Marche et, à son arrivée, l’armée de Mao comportait plus d’officiers que de simples soldats !

Mao et ses comparses avaient beau être contestés : ils avaient 4 voix, Zhang Guo-tao n’en avait qu’une. Mao garda donc la tête du Parti mais il dut néanmoins concéder le commandement de l’armée à son adversaire.

En août 1935, l’armée rouge décida de gagner le Gansu puis le Xinjiang pour se rapprocher de l’Union soviétique. Elle se divisa en deux colonnes, la colonne de gauche, sous les ordres de Zhang Guo-tao et de Zhu De, passerait par Aba, la colonne de droite sous les ordres Mao, de Lin Biao et de Peng De-huai, passerait par Banyou. Le 15 août, contre toute attente, Mao adressa une dépêche à Guo-Dao lui ordonnant de revenir sur ses pas pour le rejoindre ! Zhang Guo-tao était prêt à prendre Aba, il avait trouvé « trois ou quatre routes parallèles en direction du nord, le long desquelles les gens et les vivres abondaient ». Qu’importait à Mao ! L’essentiel était pour lui d’arriver le premier à joindre les Russes. Au lieu de rebrousser lui-même chemin et de rejoindre son rival, il était prêt à sacrifier des milliers d’hommes à son ambition : jusqu’à Banyou, affirmait-il, « la distance est courte et les abris sont nombreux. […] Je vous suggère […] d’amener avec vous tous les blessés et les malades encore en état de marcher, ainsi que le matériel et l’équipement. » En réalité, la route de Banyou, à une altitude de 3000m, se révélait quasiment impraticable :


un ancien de la Longue Marche a écrit:Une trompeuse couche de végétation, verte, cachait un marécage noir et très dangereux qui aspirait quiconque rompait la fine croûte ou sortait de l’étroit sentier […]. Nous poussions devant nous du bétail ou des chevaux du cru, qui trouvaient d’instinct le chemin le moins dangereux. Des nuages gris stagnaient en permanence presque à fleur de terre. Une pluie froide tombait plusieurs fois par jour, se transformant en neige fondue pendant la nuit. Aussi loin que portât le regard, il n’y avait pas une habitation, pas un arbre, pas un buisson. Nous dormions accroupis sur les petites éminences qui sortaient de la lande. De minces couvertures, de grands chapeaux de paille, des ombrelles en papier huilé ou, dans certains cas, des capes volées étaient nos seules protections. Le matin, certains ne se réveillaient pas, victimes du froid et de l’épuisement. Et nous étions au milieu du mois d’août ! […] La dysenterie hémorragique et le typhus […] reparurent et firent des ravages.


Menacé de se voir retirer le commandement des armées, Zhang Guo-tao se résigna à faire demi-tour mais, le 3 septembre, après avoir effectué des opérations de reconnaissance sur 35 km, furieux contre Mao, il décida de repartir pour Aba ! Soucieux de la santé de ses hommes, il se résigna à attendre le printemps suivant pour les lancer vers le nord.
Mao avait atteint son objectif, il avait suffisamment retardé Zhang pour l’empêcher d’être le premier en contact avec les Russes. Cependant lui-même ne pouvait plus avancer : Zhang Guo-tao, en tant que commandant suprême de toute l’armée, venait d’ordonner à la colonne de droite de le rejoindre pour emprunter les routes praticables qu’il avait repérées….
Mao eut alors recours à un stratagème : dans la nuit du 9 ou 10 septembre, il invoqua un complot de Zhang visant à l’éliminer, lui et tous les dirigeants du Parti, pour s’enfuir avec 8000 hommes, emportant les cartes au nez et à la barbe des lieutenants de Zhang Guo-tao qui marchaient avec lui. Pensant que « l’armée rouge ne devait pas tirer sur l’armée rouge », ceux-ci se résignèrent à ne pas poursuivre les fuyards.
Mao savait qu’il pouvait compter sur l’appui de Tchang Kaï-chek ; alors que les troupes de Zhang Guo-tao, très puissantes, étaient soumises à une intense pression des nationalistes, celles de Mao, affaiblies, étaient systématiquement épargnées, nous avons vu pourquoi : Mao arriva donc sans encombre dans le nord du Shaanxi après avoir parcouru 1000 km. Cependant, au cours de ce dernier mois, les désertions furent légion : dans le seul comté du Minxian, 1000 hommes se constituèrent prisonniers des nationalistes ! Lorsqu’il arriva en territoire rouge, le 18 octobre 1935, Mao avait perdu la moitié des 8000 hommes qu’il avait entraînés à sa suite ! Les autres avaient désertés ou bien étaient morts d’épuisement, de maladie ou avaient été exécutés pour l’exemple !

Mao n’en avait cure, cette fois, il était certain d’être adoubé par Moscou ! La Pravda voyait désormais en lui « le chef du peuple chinois » et il était mis dès le mois de novembre en possession des codes de liaison radio avec Moscou. Tchang, quant à lui, ne récupéra pas son fils ; Staline mit une nouvelle condition à la libération de son otage : Tchang devait « régulariser ses relations avec le PCC » s’il voulait revoir Jingguo.
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La carte de la Longue Marche

Messagepar laoshi » 11 Sep 2011, 08:34

Voici la carte de la Longue Marche telle que l'a publiée le Département historique de West Point (source Wikipédia)

Image

Les zones hachurées correspondent aux bases rouges ; celles qui sont barrées d'une croix correspondent aux bases rouges éliminées au cours de la 4° campagne d'annihilation menée par Tchang Kaï-chek. Les parcours fléchés correspondent aux divers itinéraires empruntés par les rouges. En pointillés rouges, l'itinéraire de Mao, en pointillés blancs l'itinéraire des autres armées rouges.
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1936 : la mort opportune de Liu Zhidan

Messagepar laoshi » 11 Sep 2011, 20:51

Tchang kaï-chek n’avait pas choisi par hasard le lieu où il comptait parquer les rouges. La base vers laquelle il les avait conduits, avec ses plateaux de lœss, comptait déjà 5 000 hommes mais elle pourrait les nourrir. Elle avait été fondée par Liu Zhidan, que Mao s’empressa d’éliminer selon des méthodes désormais bien rôdées.

Avant d’arriver à la base, en octobre 1935, Mao donna l’ordre au comité du Parti responsable de la région d’y déclencher une purge. Elle fit entre 200 et 300 victimes : Liu Zhidan, un « modéré » accusé d’être un agent de Tchang, fut arrêté et horriblement torturé. Mao arriva alors pour jouer la clémence : il fit suspendre les exécutions et relâcher Liu qu’il relégua à un poste subalterne. Le tour était joué !

En février 1936, Mao se mit en route pour rejoindre les Russes à la frontière mongole mais Tchang le repoussa à l’ouest du fleuve Jaune. Si l’on en croit l’histoire officielle, c’est au cours de cette opération que Liu Zhidan tomba sous les balles d’une mitrailleuse ennemie, à Sanjiao ; en réalité, il fut probablement assassiné. Il n’était pas avec l’unité d’assaut vers laquelle pointait la mitrailleuse : il observait le combat à la lunette, à 200 m de là, à l’opposé du tir, en compagnie de deux hommes, Pei, membre du KGB chinois, et un garde du corps… La mitraillette aurait donc changé brusquement abandonné sa cible pour l’atteindre en plein cœur, avec la précision d’un tireur d’élite, sans toucher ses deux acolytes !...

Cette fable est bien dans le style de Mao. C’est lui, le 13 avril, qui lui avait donné l’ordre de se rendre à Sanjiao. Liu fut abattu dès le lendemain. Curieusement, sa veuve ne fut pas autorisée à assister à ses obsèques. Ce fut le seul chef d’une base rouge à tomber au combat. Ses deux principaux commandants connurent le même sort, l’un au mois de mars, l’autre au mois de mai. En trois mois à peine, les trois grands chefs militaires du Shanxi avaient disparu : Mao, qui entendait bien contraindre la population à fournir des vivres, de l’argent et des hommes au PCC, était désormais assuré qu’aucun des dirigeants locaux ne pourrait se mettre en travers de son chemin…
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1936 : L’enlèvement et la libération de Tchang Kaï-Chek

Messagepar laoshi » 12 Sep 2011, 11:15


Tchang avait confié à Zhang Xueliang, un seigneur de la guerre mandchou dit le « Petit Maréchal », la tâche d’empêcher la jonction de Mao avec les Russes. Zhang Xueliang, qui était à la tête d’une armée de 300 000 hommes, avait fait acte d’allégeance à Tchang, mais il se serait bien vu à la tête de la Chine tout entière. Il fit donc savoir à Staline qu’il était prêt à déclarer une guerre ouverte au Japon - chose que Tchang n’avait pas osé faire -, si Moscou l’aidait à évincer son rival. Or Staline ne craignait rien tant qu’une attaque de l’URSS par le Japon : que les Japonais s’enlisent en Chine serait pour lui la meilleure des protections. Il est probable que Tchang nourrissait l’espoir exactement opposé : que le Japon – après avoir annexé la Mandchourie -, s’attaque à l’URSS et laisse enfin la Chine en paix.
La proposition du Zhang Xueliang avait donc de quoi séduire Staline mais elle séduisit surtout Mao qui voyait là un bon moyen de se débarrasser de Tchang tout en espérant tirer les ficelles du transfuge. Staline ne faisait pas confiance à Zhang, mais il n’en décida pas moins de l’utiliser : il lui confia l’escorte des deux fils survivants que Mao avait eus de sa deuxième femme, Kai-hui, dont il voulait faire… ses otages.

Au mois de juin 1936, le Guangdong et le Guanxi se soulevèrent contre Tchang Kaï-Chek et Mao essaya de convaincre Zhang Xueliang de s’allier aux communistes pour proclamer la sécession du Nord-Ouest, dont il voulait faire un satellite de l’URSS. Mais l’opinion publique chinoise ne voulait la partition de la Chine et l’affaire fit long feu : le 15 août, convaincu que seul Tchang pouvait préserver l’unité de la Chine, Staline ordonna à Mao de s’allier à lui contre le Japon.


Staline a écrit: Vous devez œuvrer à la cessation des hostilités entre l’armée rouge et celle de Tchang Kaï-chek et à la conclusion d’un accord […] pour une lutte commune contre les Japonais ».


Cette fois, Mao dut accepter le front uni qu’il avait jusqu’alors refusé. Staline devait lui procurer des armes, des véhicules, des chauffeurs, du carburant. Mao était désormais à la tête de 20 000 hommes qu’allaient rejoindre les troupes de Zhang Guo-tao – qui, contraint de passer l’hiver à la frontière tibétaine, avait perdu la moitié de ses effectifs -, et une autre branche de l’armée rouge, celle de He Long (ou Ho Lung), un ancien hors-la-loi aux méthodes aussi expéditives que celles Mao, dont la base se situait aux confins du Hunan et du Hubei.

Les trois branches de l’armée rouge furent réunies le 9 octobre 1936 avec un effectif total de 80 000 hommes. Zhang Xueliang, qui ignorait tout du revirement de Staline, leur fournit de l’argent et des vêtements chauds mais, lui-même jouant double jeu avec Tchang, il ne pouvait se soustraire aux ordres de celui-ci : bon gré mal gré, il combattit donc les rouges qu’il empêcha de parvenir au lieu de livraison des armes russes.

Staline eut beau faire parvenir des fonds à Mao, dès la fin octobre, l’armée rouge était aux abois : manquant de vivres, presque sans abris sous la neige et dans le froid (les "yao dong", de simples trous creusés dans la terre en faisaient office), menacés par la peste dont les rats étaient porteurs, les rouges étaient en fâcheuse posture. Le Petit Maréchal joua alors le tout pour le tout : il décida d’enlever Tchang Kaï-chek pour se concilier les bonnes grâces de Staline. Mao, que n’enchantait pas l’idée de « front uni », soutint le projet d’enlèvement ; il se garda bien d’informer Staline des projets du Petit Maréchal alors même que Moscou avait plus que jamais besoin de Tchang : le Japon et l’Allemagne venaient de signer un « pacte anti-Komintern » et l’URSS risquait désormais d’être prise en étau entre les deux armées alliées.

Staline ordonna immédiatement à Mao de conclure un pacte « d’union nationale » avec Tchang mais celui-ci mit au contraire tout en œuvre pour convaincre le Petit Maréchal de son soutien. Le 4 décembre 1936, Tchang arriva sur le territoire de celui qu’il croyait son allié, à Xian ; le 12, il était enlevé. Mao jubilait !
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Le PCC devient officiellement un "parti d'opposition"

Messagepar laoshi » 12 Sep 2011, 13:06

Mao n’avait qu’une idée, éliminer physiquement Tchang ! La vacance du pouvoir serait pour lui une formidable aubaine. Il s’empressa de suggérer cette solution au Petit Maréchal dès le jour de l’enlèvement : « Le plus sûr est de [le] tuer ». Cependant la Pravda et les Izvestia ayant clairement condamné l’enlèvement, Zhang Xueliang comprit qu’il avait été joué. Staline redoutait maintenant que la Chine nationaliste s’allie au Japon non seulement contre le PCC, dont il apparaissait de plus en plus évident qu’il était mêlé à l’affaire, mais contre le grand frère soviétique ! Le vice-Premier ministre de Tchang en avait explicitement menacé le chargé d’affaires soviétique à Nankin !

Staline soupçonnait de plus en plus Mao d’être un agent à la solde du Japon et des trotskistes et de tremper dans un complot visant à provoquer une guerre germano-japonaise contre l’URSS. Il fit parvenir une dépêche comminatoire à Mao lui ordonnant d’obtenir la libération de Tchang. Fou de rage, Mao décida de faire le mort ; il prétendit ensuite que la dépêche était illisible et continua à œuvrer, en sous-main, pour obtenir la tête de Tchang. C’était sans compter sur le bon sens du Petit Maréchal qui s’empressa de libérer son otage et d’obtenir son pardon pour se placer sous sa protection. Tchang se montra généreux : lorsque le gouvernement de Nankin déclara la guerre au Petit Maréchal, le chef nationaliste, toujours aux mains de celui-ci, ordonna immédiatement un cessez-le-feu.

Quant à Mao, il dut se résigner à obéir et à communiquer à Zhou Enlai la deuxième dépêche de Staline ordonnant de « rendre sa liberté à Tchang Kaï-chek ». Il réussit néanmoins à avancer ses pions à cette occasion en obtenant de Tchang qu’il reçoive Zhou Enlai, ce à quoi celui-ci se refusait obstinément. Staline mit alors tout son poids dans la balance en jouant son dernier atout : le 25 décembre, Zhou Enlai vint annoncer en personne à Tchang que son fils, retenu en otage par Staline, « allait revenir ». Le PCC qui n’était encore, aux yeux de beaucoup, qu’un groupe terroriste fut ainsi promu au rang de « parti d’opposition ». Encore une fois, Mao avait de quoi se réjouir !
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1937-1939 : Yan'an ou "les habits neufs du président Mao".

Messagepar laoshi » 16 Sep 2011, 09:29

En janvier 1937, Moscou donna des consignes strictes au PCC : il devait faire allégeance au gouvernement de Nankin, placer l’armée rouge et sa base sous l’autorité de Tchang, suspendre les confiscations de terre et les spoliations. En contrepartie, Tchang, toujours sous pression dans l’attente de son fils, lui concédait un territoire de 129 600 km, avec 2 000 000 d’habitants et Yan'an pour capitale, il se chargeait de financer l’armement et la solde de 46 000 rouges. Geste de bonne volonté supplémentaire, il nomma Shao Li-zu (celui-là même qui avait convoyé son fils en Russie !), chef du service de la propagande nationaliste afin qu’il change l’image des rouges dans l’opinion et dans la presse. Ces exigences satisfaites, Staline autorisa Jingguo à regagner la Chine : il était resté prisonnier des Russes pendant 11 ans !

C’est dans le cadre de cette campagne de propagande que parut l’autobiographie de Mao, le 1° novembre : composée d’interviews accordées à Edgard Snow au cours de l’été 36, elle gardait un silence prudent sur les liens du PCC avec Moscou, jetait un voile pudique les purges, les tortures et les assassinats, et brossait le portrait d’un homme vertueux et débonnaire, animé d’une volonté farouche de combattre l’impérialisme japonais ! Edgard Snow, qui n’avait pratiquement pas d’autres sources que Mao et ses acolytes, écrivit en outre un ouvrage hagiographique, Red Star Over China, qui reste aujourd’hui encore la seule référence de bien des thuriféraires du Grand Timonier ! C’est ainsi que se répandirent le mythe héroïque de « la longue Marche » - dont Mao aurait fait « à pied » la presque totalité des 10 000 km, comme un simple soldat -, de l’épopée mensongère du pont de Dadu et autres falsifications historiques du même tonneau ! Le titre chinois, Histoires d’un voyage vers l’ouest, inscrit le récit dans la lignée du Pèlerinage de l’ouest, l’un des textes fondateurs de la littérature chinoise. Snow, qui reconnaissait en privé que son livre relevait du roman chevaleresque plus que de l’histoire, affirmait en public que les propos de Mao étaient « honnêtes et véridiques ». Son livre valut au PCC d’innombrables adhésions !

Mao s’installa à Yan'an le 1° janvier 1937. Il jeta son dévolu sur une maison du Village du Phénix désertée par ses propriétaires puis sur une vaste demeure de la Colline Yang et enfin sur la résidence du KGB chinois dans Le Jardin des Dattes, sans compter les demeures secrètes qu’il se fit édifier à l’arrière de ses demeures officielles. La propagande du Parti retient évidemment la plus modeste de ces habitations, les fameux yao-dong, ces maisons troglodytes creusées dans le lœss. Il y mena une vie pleine de charme, papillonnant de femme en femme au grand dam de son épouse légitime, Gui-yuan : on compte parmi ses conquêtes Lily Wu, dont le nom fut ensuite effacé de toutes les sources communistes, la féministe américaine Agnes Smedley - qui était aussi un agent de Moscou -, et l’écrivain Ding Ling qui cite ces propos du nouvel empereur Mao :


Mao parlant à Ding Ling :
Maintenant que nous possédons une cour royale, si petite soit-elle, il nous faut des concubines impériales dans trois palais et six cours intérieures ! Allez, donne-moi donc des noms et moi je leur octroierai des titres !


C’était plus que n’en pouvait supporter Gui-yuan : elle partit pour se faire soigner de ses blessures à Moscou en octobre 1937, enceinte, laissant sa dernière fille Chiao-chiao, âgée d’un an, à Yan'an. Son 6° enfant, un garçon auquel elle avait donné un prénom russe, Lyova, mourut d'une pneumonie à l'âge de six mois.

En 1939 Mao, qui s’était remarié, ordonna à Gui-yuan de rester en URSS et la petite Chiao-chiao, qui avait jusqu’alors vécu comme une orpheline, sans voir ni père ni mère, fut amenée auprès de Gui-yuan, en 1940, à l’âge de 4 ans. Trois ans plus tard, Gui-yuan, minée par le chagrin, était internée pour dépression sévère.

Pendant ce temps, Mao filait le parfait amour avec Jiang Qing, une actrice de Shanghai à la réputation sulfureuse qui avait rejoint Yan'an pendant l’été 1937. Emprisonnée par les nationalistes qui la soupçonnaient d’être communiste, elle avait signé une abjuration, ce que le PCC considérait comme une trahison ; elle avait aussi, disait-on, usé de ses charmes pour amadouer ses geôliers. Malgré les objurgations des puritains de Yan'an, Jiang Qing, qui se mariait pour la 5° fois, devint la 4° et dernière épouse du président Mao.
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1937 : "la guerre des trois royaumes"

Messagepar laoshi » 02 Oct 2011, 09:24

Le 7 juillet 1937, l’incident du pont de Marco Polo servit de prétexte aux Japonais pour occuper Pékin et Tianjin, les deux plus grandes villes de la Chine du nord. Redoutant la supériorité militaire du Japon, Tchang ne déclara pas la guerre pour autant. Pour l’heure, les Japonais ne voulaient pas étendre la guerre au sud ; ils y furent pourtant contraints : Staline était prêt à tout pour éloigner les Japonais de ses frontières….

Dès 1925, Staline avait ordonné au PCC d’infiltrer l’armée nationaliste. C’est ainsi que Zhou Enlai avait recruté Zhong Zhi-zhong, un officier de l’armée nationaliste, comme agent communiste. Après l’incident du pont de Marco Polo, Zhong Zhi-zhong, devenu chef de la garnison de Shanghai-Nankin, chercha, en vain, à persuader Tchang de déclencher les hostilités contre les Japonais à Shanghai. Tchang ne voulait pas voir désorganisé le cœur industriel et économique de la Chine, il n’autorisa d’engager les hostilités qu’à la condition expresse que Shanghai soit vraiment menacé.
Il ne restait plus à Zhong Zhi-zhong qu’à trouver un prétexte. Le 9 août, il fait abattre un officier et un soldat japonais près de l’aéroport de Shanghai ; un condamné à mort chinois, revêtu d’un uniforme nationaliste, fut abattu à son tour et les trois corps furent disposés de manière à faire croire que les Japonais avaient tiré les premiers. Tchang eut beau ordonner à Zhong Zhi-zhong de ne pas entrer en guerre sur « un coup de tête », celui-ci n’en déclencha pas moins l’offensive le 14 août tout en prétendant, par voie de presse, que les Japonais avaient pris l’initiative des combats. Tchang ne pouvait plus reculer, il donna un ordre « d’assaut général » pour le 16 août. Dès le 18, il ordonna pourtant un cessez-le-feu dont Zhong Zhi-zhong ne tint aucun compte. Les combats annihilèrent tous les efforts d’armement aérien et naval qu’avait faits Tchang depuis 1930, 400 000 combattants chinois et 40 000 soldats japonais périrent ou furent blessés dans les combats. Staline vint alors à la rescousse de Tchang ; le 21 août, il signa avec lui un pacte de non-agression et lui fournit des armes, de l’artillerie, des chars, des avions et même 2000 pilotes.


Léon Blum, rapportant les propos du Ministre des Affaires étrangères soviétique, Litvinov a écrit:Lui et L’union soviétique étaient ravis que le Japon eût attaqué la Chine […] l’Union soviétique espérait que la guerre entre la Chine et le Japon se poursuivrait le plus longtemps possible.

Cette guerre, qui allait faire 20 millions de victimes chinoises, détourna les armées japonaises des frontières russes et donna à Mao les coudées franches : le PCC était désormais reconnu et l’armée rouge, bien que Tchang en fût le commandant en chef, gardait son autonomie. Malgré les ordres formels de Staline, qui voulait que les communistes chinois s’engagent pleinement dans la guerre contre le Japon, Mao ne considérait pas cette guerre comme la sienne : « Il y avait Tchang, le Japon et nous… les trois royaumes » dira-t-il plus tard en remerciant, au passage, les « seigneurs de la guerre japonais » de lui avoir donné « un sérieux coup de main » ; sans eux, ajoutait-t-il, « nous serions encore repliés dans les montagnes à l’heure qu’il est ». Maintenant qu’il avait acquis la suprématie au sein du PCC, Mao veillait à la survie de ses hommes ; il obtint de Tchang qu’ils ne soient pas en première ligne. Son plan consistait à occuper le terrain derrière l’envahisseur : les Japonais ne pouvant contrôler que les grandes villes et les voies ferrées dans les zones conquises (elles étaient plus vastes que le Japon tout entier), Mao ordonna à ses commandants de s’emparer des villes et des campagnes restées sans défense derrière les lignes japonaises !

dans les télégrammes à son haut commandement, Mao a écrit: Fixez-vous pour objectif de créer des bases […] et non pas de livrer des batailles.

Avec son cynisme habituel, il ira jusqu’à ajouter :
Plus le Japon prendra de territoire, mieux ça vaudra pour nous.

Une telle attitude indignait nombre de commandants communistes. Lin Biao passa outre les ordres de Mao pour tendre une embuscade à l’arrière-garde japonaise à Pinxingguan. Mao, furieux de cette initiative qui « aidait Tchang Kaï-chek », fit contre mauvaise fortune bon cœur et exploita au mieux l’événement :
dans un rapport aux Russes daté de février 1941, Lin Biao a écrit:Aujourd’hui encore, [on] exploite cette bataille pour les besoins de l’agit-prop. […] c’est l’unique bataille importante que l’on cite.

Et pour cause ! c’était la seule qui ait quelque importance mais, vus ses objectifs, la stratégie de Mao se révéla payante : à la mi-novembre, la base de Jinchaji, forte de 12 000 000 d’habitants, était créée près de Pékin.

Staline ne l’entendait pas de cette oreille ! En novembre, il ordonna la tenue d’un congrès du PCC et y dépêcha Wang Ming, représentant du Parti au Komintern et tenant de la ligne, « la guerre aux Japonais d’abord ». Le congrès eut lieu en décembre. Le Secrétariat du Parti, pour une fois au grand complet, mit Mao en minorité à 5 contre 4 : Zhang Guo-tao
*, Zhou Enlai, Po Ku et Xiang Ying, qui avait tenté de retenir Mao à Ruijin**, se rangèrent à l’avis de Wang Ming. Détail révélateur, Mao revint souvent sur ce désaveu humiliant mais il ne dit jamais un mot des massacres des Nankin contemporains de cette « tragédie » personnelle !

Après la chute de Nankin, Tchang s’établit à Wuhan. Replié à Yan’an, Mao rappela Zhu-De et Peng De-huai auprès de lui, mais ils refusèrent d’obtempérer. Pour l’empêcher de contrecarrer ainsi les ordres de Tchang, Wang Ming réclama une nouvelle réunion du Bureau politique. Encore une fois, Mao fut mis en minorité. La création intempestive de la base de Jinchaji, qui avait provoqué une vague d’anticommunisme, fut condamnée et l’autorité de Tchang réaffirmée :


dans le compte rendu de la réunion, Wang Ming a écrit:Aujourd'hui, seuls les fascistes japonais […], leurs séides […] et les trotskistes cherchent à renverser les nationalistes.

Cette fois, le danger était sérieux ! Staline eut beau envoyer 3 millions de dollars à Yan’an pour financer la lutte de l’armée rouge contre le Japon, il se demandait de plus en plus si Mao n’était pas un « agent japonais »…
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