"Stèles" : la vérité en marche sur le Grand Bond en avant

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"Stèles" : la vérité en marche sur le Grand Bond en avant

Messagepar laoshi » 17 Sep 2012, 21:31

La vérité en marche sur le Grand Bond en avant . J'ai déjà intitulé ainsi l'un de mes messages de la rubrique Le Musée National de Pékin réécrit l'histoire. Le livre de Yang Jisheng, dont j'annonçais la publication en chinois, est désormais disponible en français sous le titre Stèles, La grande famine en Chine, 1958-1961.

Le Monde vient de consacrer un article détaillé à ce livre que je vais m'empresser de commander et de lire. Les "bigots", comme les appelle Chen Guangcheng, vont s'étrangler de rage, ils vont encore crier au mensonge et à la haine de la Chine à moins qu'ils n'essaient de se refaire une virginité in extremis...

J'ai rencontré l'un de ces braves gens récemment à Paris, un libraire, dont je tairai le nom, par charité. Il vouait Soljenitsyne, que cite l'article, mais aussi tous les intellectuels qui ont osé dénoncer les crimes de Staline et de ses émules, aux gémonies... Liu Xiaobo, condamné à 11 ans de prison pour avoir réclamé la démocratie ? selon lui, il ne l'avait sans doute pas volé, d'ailleurs, il avait des amis chinois qui trouvaient l'homme désagréable, il ne savait plus pourquoi ! je regrette vraiment de ne pas être à Paris pour la sortie du livre de Yang Jisheng, j'aurais aimé entendre les commentaires de ce libraire aussi dynamique que doctrinaire mais, comme le disait Zola à l'époque de l'affaire Dreyfus, "la vérité est en marche" et rien désormais, ne l'arrêtera, c'est l'essentiel !
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Stèles, La grande famine en Chine, 1958-1961

Messagepar mandarine » 18 Sep 2012, 09:58

Merci Laoshi,
encore un livre douloureux qu'il convient d'acheter et lire .

Cela lui prit une douzaine d'années. Il le devait à son père, mort de faim

Il y a "des successions de mémoire"auxquelles on se doit de réagir ,quand les évènements en question vous ont privé d'une partie de votre famille dans des conditions inhumaines.C'est une façon de les faire revivre,eux qui n'ont pu s'exprimer.

Je ne pensais pas que la grande famine orchestrée par Staline serait mentionnée dans cet article mais à chaque fois que je lis un récit sur un camp en Chine ,je ne peux m'empêcher de penser à ce qu'ont vécu ma mère(née en 1919) et sa famille en Ukraine;le peu qu'elle a consenti à nous rapporter faisait état des abreuvoirs empoisonnés à leur insu ,entrainant la mort de tout le cheptel bovin mais surtout , des magnifiques chevaux de la ferme qu'ils possédaient ,les marres aussi étaient aussi empoisonnées,les puits;c'était la terreur.Il fallait quitter les terres pour les laisser à d'autres... Pour clore le tout , elle s'est retrouvée plus tard dans un camp allemand pendant 6 ans :il y a des tragédies qui n'en finissent pas ....


Pour le comprendre, il faut s'intéresser à l'autre grande famine de l'histoire du communisme, tout aussi monstrueuse, tout aussi organisée et proportionnellement tout aussi meurtrière : la grande famine d'Ukraine, orchestrée par Staline en 1932-1933


Cette débauche d'argent alors que beaucoup de chinois manquent de nourriture,de soins et d'éducation;c'est indigne.

. Si l'on en croit la presse chinoise, la ville de Xiangtan, dans le Hunan, dont dépend Shaoshan, le village natal de Mao Zedong, s'apprête à dépenser 15 milliards de yuans (1,8 milliard d'euros) pour célébrer comme il se doit, en 2013, le 120e anniversaire de la naissance du Grand Timonier.


Oups!
L'histoire ne précise pas ce qu'il y aura de nouveau dans ce musée. Peut-on espérer y trouver, par exemple, quelques indices sur le rôle du père du communisme chinois dans la grande famine de 1958 à 1962 ? Cette citation pourrait alors y figurer en bonne place : "Répartir les ressources de manière égale ne peut que faire échouer le Grand Bond en avant. Lorsqu'il n'y a pas assez à manger, les gens meurent de faim. Mieux vaut laisser mourir la moitié des gens, de façon à ce que l'autre moitié puisse manger à sa faim." Ces mots d'un cynisme terrifiant, prononcés par Mao le 25 mars 1959 lors d'une conférence à Shanghaï, confirment à eux seuls sa responsabilité dans l'un des plus grands crimes de masse de l'Histoire - 35 à 45 millions de morts, selon les estimations -, dont deux livres révèlent l'ampleur au grand jour.

Les archives seront peut-être détruites à la suite de ce livre.....
Zhou Xun a constaté tout récemment que les archives auxquelles il avait eu accès pour son livre ont été refermées.
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
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Re : "Stèles" : la vérité en marche sur le Grand Bond en ava

Messagepar laoshi » 18 Sep 2012, 16:03

Le cynisme de Mao, comme celui de Staline, était terrifiant. Malheureusement, les jeunes générations, privées de conscience historique par la grand machine à décerveler de l'idéologie chinoise (il serait intéressant de visiter le nouveau musée Mao), brandissent aujourd'hui des portraits du "grand Timonier" dans les manifestations anti-japonaisessavamment orchestrées par le Parti...

On parle souvent, en France, de "devoir de mémoire" mais on tait pudiquement un certain nombre de massacres, de génocides et autres atrocités : la grande famine en Ukraine, voulue par Staline, l'extermination dite de "la Shoah par balles" , voulue par Hitler, commencent tout juste à sortir de l'ombre même si l'on en trouve déjà des échos dans ce livre bouleversant (mais difficile) qu'est Vie et Destin de Vassili Grossman.
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Re: La vérité en marche sur le Grand Bond en avant : suite

Messagepar mandarine » 18 Sep 2012, 17:08

Je reviens de la FNAC et j'ai eu le plaisir de trouver bien en évidence dans les gondoles ,le livre de Yang Yisheng :
Stèles, La grande famine en Chine, 1958-1961.

Il accompagnera mes vacances ; je serai absente du forum pour au moins 2 semaines à partir du 21 car je ne disposerai vraisemblablement pas de connexion internet là où je serai,
je le regrette car l'actualité en ce moment est riche d'évènements .
A bientôt !
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Re: La vérité en marche sur le Grand Bond en avant : suite

Messagepar laoshi » 18 Sep 2012, 17:12

Bonnes vacances, Mandarine mais Stèles est une lecture bien sombre...
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Stèles : cochon sous un toit, réflexion sur un idéogramme

Messagepar laoshi » 15 Oct 2012, 15:03

Cochon sous un toit, c'est ainsi que s'écrit le mot "maison", [jiā] en chinois : , le toit, et , le cochon... Tous ceux qui ont appris à lire quelques idéogrammes s'en sont plus ou moins gentiment amusés... Comment peut-on être assez rustre pour figurer ainsi le foyer familial ! ?

Et pourtant ! à la lecture de Stèles, on se rend compte qu’une vérité essentielle se cache dans cette association apparemment saugrenue de composants. Un cochon sous un toit, c'est sinon la garantie de l'abondance, du moins celle de la survie pour le foyer, la garantie de l'autonomie alimentaire…. C'est justement tout cela que le délire totalitaire de Mao Zedong et de ses pareils a fait voler en éclats pendant le Grand Bond en avant.

Car il ne s'agissait pas seulement d'établir la propriété collective des moyens de production, il s'agissait de faire entrer le contrôle totalitaire de l'Etat dans "les tripes" de chacun par l'instauration des communes populaires et des cantines collectives : tables, bancs, woks, bols et baguettes, tout ce qui permettait l'intimité du repas devait être remis à la commune populaire, maîtresse souveraine des esprits et des ventres. Qu'importait alors que les paysans aient dû faire 5 ou 10 km à pied pour aller chercher leur pâtée quotidienne, qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il vente ! Qu'importe qu'ils aient ainsi perdu leur temps et leur énergie pour faire la queue avant de se mettre quelque chose sous la dent... Qu'importe qu'ils aient perdu du même coup le sens de la réalité qui fait prévoir des réserves pour la mauvaise saison... Après quelques mois d'agapes formidables, les paysans au solide bon sens, qui avaient renâclé à donner veaux, vaches, cochons, couvées au Parti, pris au mirage de l'abondance, entonnaient le credo des nouveaux convertis... avant de déchanter.

Pas question évidemment de compter sur le cochon engraissé sous l'appentis de la ferme ou sur les animaux de la basse-cour pour passer l’hiver ! Il y avait beau temps que les animaux de la ferme avaient été réquisitionnés. Chaque commune populaire tenait à relever le défi du gigantisme : les porcheries de 10 000 têtes ne faisaient pas peur aux champions du collectivisme ! Qu’importe que la mortalité ait été à la mesure de ce gigantisme, aggravant dramatiquement la famine et privant du même coup lesdites communes de ses forces de production : dans certaines fermes collectives, la mortalité des buffles, indispensables aux labours, s’élevait à 80 % ! Même si ces chiffres sont extrêmes, des mortalités à 40 ou 50 % étaient courantes…. Encore ce maigre cheptel aurait-il pu soulager un peu la misère des paysans qui mouraient comme des mouches à l’abri des statistiques trafiquées et des discours idéologiques…. Ce serait ignorer les exigences de la politique de prestige qu’entendait mener Mao dans son délire mégalomaniaque : priorité à l’exportation ! En 1959, la République populaire de Chine exporta 233 000 tonnes de porc, la plus grande quantité jamais livrée à l’étranger depuis sa fondation. Les cochons livrés en Tchécoslovaquie étaient si maigres qu’on "n’osait pas les présenter sur les étals" et que le pays "frère" protesta officiellement ! Le poids de ces cochons étiques était inférieur à 20, voire à 15 kg, les Hongkongais les comparaient à "des chiens" et, persuadés qu’ils étaient malades, les brûlaient. Bien entendu, tout le reste était à l’avenant ! (Stèles, pp. 538-539)

Mais, encore que les paysans aient pu récupérer leur cochon confisqué par la commune populaire, ils n'auraient pas nécessairement eu un toit pour l’y mettre à l’abri et s’y abriter avec lui ! Tandis que toutes les provinces, toutes les municipalités se mettaient à construire des villas pour Mao, on abattait à tour de bras les fermes des paysans, ici pour récupérer les poutres et construire d’immenses dortoirs où femmes, hommes et enfants, séparés les uns des autres, s’entassaient dans une épouvantable promiscuité, là pour récupérer le bois destiné à alimenter les hauts-fourneaux de la "bondissante" sidérurgie, ailleurs pour collecter les vieilles briques destinées à faire de l’engrais !


Yang Jisheng dans Stèles (p. 96) a écrit:
En 1961, Liu Shaoqi est retourné dans son village natal en tournée d’inspection ; il a appris par les cadres qui l’accompagnaient que la population de Ningxiang était initialement de 840 000 habitants, logés dans 700 000 maisons. Après trois campagnes de démolition pendant le Grand Bond en avant, il ne restait que 450 000 maisons, dont 31 000 étaient occupées par l’Etat ou les entités collectives. Les paysans ne disposaient plus que de moins de 420 000 maisons.


Le contrôle idéologique de la population était évidemment l’un des avantages non-négligeables de ces phalanstères maoïstes ! Et tant pis pour ceux dont on se contentait d’enlever le toit en leur laissant leurs quatre murs sans même songer à les reloger aux frais de l’Etat ! Ils n’avaient pas même la solution d’aller abattre les arbres de leur verger pour réparer les dégâts, il y avait beau temps que les arbres avaient été abattus, par simple lubie idéologique ou par nécessité : là où les cuisines individuelles ne requéraient qu’un peu de bois mort pour la cuisson, les cantines populaires engloutissaient des arbres entiers !

George Orwell, prophétique, avait intitulé sa fable antitotalitaire La Ferme des animaux mais c’était les cochons qui y occupaient la place du tyran à deux pattes renversé par la révolution. Dans la ferme totalitaire chinoise, les cochons ont été privés de leur toit et avec eux les familles qui les engraissaient ont été anéanties par dizaines de millions.

Il y aurait évidemment beaucoup plus à dire pour décrire le sytème criminel mis en place par Mao. Je ne sais pas si j'en aurai le temps, je voulais seulement partager avec vous cette réflexion sur un idéogramme trop souvent brocardé...

NB : pour comprendre le système d'écriture chinoise, vous pouvez consulter la première leçon de mon atelier d'initiation à la langue et à la culture chinoise.
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"Stèles" sur France Culture

Messagepar laoshi » 18 Oct 2012, 13:25

France Culture a consacré la première partie de son émission La Grande Table d'aujourd'hui à Stèles. L'émission dure 28 minutes. Emission passionnante.

Vous pouvez télécharger le fichier son ici.
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"Stèles" sur France Inter

Messagepar laoshi » 08 Nov 2012, 13:16

France Inter vient de consacrer son émission La Marche de l'histoire à "la grande famine" ; excellente émission, avec la voix de Yang Jisheng, l'auteur de Stèles, et les commentaires de Jean-Luc Domenach, auteur de Mao, sa cour et ses complots qui vient de paraître chez Fayard.
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Re: "Stèles" : la vérité en marche sur le Grand Bond en avan

Messagepar mandarine » 25 Sep 2013, 07:21

J'ai toujours trouvé des points communs aux famines D'URSS et de Chine à travers toutes mes lectures dont Stèles ,le livre de Yang Jisheng que nous avait recommandé Laoshi.

International workshop « Famines in the USSR and in China »

Entre 1931 et 1934, la plus grande famine européenne du XXe siècle a frappé l’URSS. Une génération plus tard, la Chine populaire a subi entre 1958 et 1962 la famine la plus meurtrière de l’histoire de l’humanité. Les populations rurales ont payé le plus lourd tribut à ces deux famines, pour l’essentiel provoquées par une collectivisation agricole à marche forcée imposée à des paysans qui n’en voulaient pas. Au cours des dernières décennies, de nouvelles sources sont devenues disponibles en Chine. Elles permettent de mieux connaître les origines et les conséquences de la grande famine de 1958-1962. Malgré les obstacles, des enquêtes ont été menées par les chercheurs auprès des témoins et des victimes de l’époque. Les travaux récents rendent possible une comparaison entre les famines survenues en Union soviétique et en Chine populaire, famines dont la mémoire est toujours présente dans les deux pays. Cette journée d’études réunit quelques spécialistes, français et européens, de l’URSS et de la Chine populaire pour comparer les deux catastrophes et pour promouvoir la recherche dans ce domaine.


http://cecmc.hypotheses.org/12382
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Mao à l'école de Staline

Messagepar laoshi » 25 Sep 2013, 10:49

Les ressemblances entre la politique de Mao au temps du Grand Bond en avant et celle de Staline dans les années 30 sont en effet évidentes : outre la grande famine chinoise, qui a beaucoup d'analogies avec la famine en Ukraine, les mensonges productivistes de la campagne de l'acier ressemblent à s'y méprendre à ceux du stakhanovisme : comme le glorieux mineur soviétique qui aurait fait à lui seul mieux que 14 ouvriers remplissant leur quota (on avait ajouté, en réalité, le charbon extrait par plusieurs mineurs à son propre rendement), les champions des "spoutniks" n'étaient que des mystificateurs au service du Parti désireux d'obtenir des paysans et des ouvriers une explosion inhumaine de la productivité. Yan Lianke montre bien, dans Les Quatre Livres, comment le Parti poussait lui-même les chefs des unités productives à annoncer ces rendements délirants. Tout en tirant ainsi cyniquement les ficelles, Mao faisait mine de critiquer les déclarations par trop irréalistes ou optimistes... Comme Staline, Mao a également indexé l'alimentation sur la productivité du travailleur, comme lui aussi, il a instauré un passeport intérieur interdisant aux affamés d'aller chercher ailleurs leur subsistance.
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