La fête des lanternes est fixée au quinzième jour du premier mois ; mais elle commence dès le treize au soir, et ne finit que dans la soirée du seizième. […] Cette cérémonie est universelle dans l’Empire ; et le même jour, à la même heure, on peut dire que toute la Chine est illuminée. Les villes, les villages, les rivages de la mer, le bord des rivières sont garnis de lanternes peintes, et d’une forme variée. On en voit dans les cours et aux fenêtres des maisons les plus pauvres. Les citoyens riches dépensent jusqu’à deux cents francs par lanterne. Celles que font faire les grands Mandarins, les Vice-Rois et l’Empereur coûtent quelquefois jusqu’à trois et quatre mille livres chacune. […]
Ces lanternes sont très grandes ; quelques-unes sont composées de six panneaux, encadrés dans des bois peints ou dorés. Le panneau est composé d’une toile de soie fine et transparente, sur laquelle on a eu soin de peindre des fleurs, des animaux et des figures humaines ; d’autres sont rondes, faites d’une corne bleue et transparente. On met dans ces lanternes beaucoup de lampes et un grand nombre de bougies. On attache à chaque angle des banderoles de satin et de soie, qui diffèrent de couleur ; et la lanterne est couronnée par un morceau de sculpture.
Notre lanterne, dite magique, est connue des Chinois, ou peut-être la tenons-nous d’eux. Ils en font usage dans cette fête.
« D’autres fois, dit le P. du Halde, ils font paraître des ombres qui représentent des Princes et des Princesses, des soldats, des bouffons, et d’autres personnages dont les gestes sont si conformes aux paroles de ceux qui les remuent, qu’on croirait les entendre parler véritablement. » […]
Ils ont de plus l’art de former un serpent garni intérieurement de lumières depuis la tête jusqu’à la queue, de soixante à quatre-vingt pieds, et de lui faire faire toutes les évolutions que ferait un serpent réel.
Les feux d’artifice des Chinois sont renommés, et méritent de l’être. On les multiplie surtout durant la fête dont nous parlons. On en tire dans chaque quartier de la ville. Un missionnaire en a décrit deux que nous allons rappeler. Le corps de l’artifice représentait une treille de raisin rouge ; la treille brûlait sans se consumer, et les parties qui composaient l’artifice ne se consumaient que très lentement. Elles représentaient des grappes rouges, des feuilles vertes, etc.
L’autre feu d’artifice fut tiré en présence et aux frais de l’Empereur Kang-hi. Il commença par une demi-douzaine de gros cylindres, suspendus par de longs pieux fichés en terre Ces cylindres formaient en l’air des jeux de flamme qui s’envolaient à la hauteur de douze pieds et retombaient ensuite en pluie d’or.
« Ce spectacle, dit le narrateur, fut suivi d’un grand caisson d’artifice, guindé à deux grands pieux ou colonnes, d’où il sortit une pluie de feu, avec plusieurs lanternes, des écriteaux en gros caractères de couleur de flamme et de soufre, et enfin une demi-douzaine de lustres en forme de colonnes, à divers étages de lumières, rangées en cercles, blanches et argentines, qui étaient très agréables à la vue, et qui, tout à coup, firent de la nuit un jour très clair.
Enfin, l’Empereur mit de sa propre main le feu au corps de l’artifice ; et, en peu de temps, le feu passa dans tous les quartiers de la place, qui avait quatre-vingt pieds de long sur quarante ou cinquante de large. Le feu s’étant attaché à diverses perches et à des figures de papier plantées de tous côtés, on vit une multitude prodigieuse de fusées faire un jeu en l’air, et en même temps, un grand nombre de lanternes et de lustres s’allumer dans toute la place.
Ce jeu dura plus d’une demi-heure, et, de temps en temps, il paraissait en quelques endroits des flammes violettes et bleuâtres, en forme de grappes de raisin attachées à une treille, etc. On a peut-être, de nos jours, porté encore plus loin la pyrotechnie en France ; mais, sous le règne de Kang-hi, c’était à la Chine qu’il fallait en chercher les modèles.»