François Bougon : "Dans La Tête de Xi Jinping"

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François Bougon : "Dans La Tête de Xi Jinping"

Messagepar laoshi » 31 Jan 2018, 17:53

J’ai lu Dans La Tête de Xi Jinping avec beaucoup d’intérêt mais aussi, parfois, avec beaucoup d’étonnement !

Le livre de François Bougon est indéniablement, pour ceux qui ne suivent pas l’actualité du pays, un exposé vivant de l’histoire et de la culture politiques chinoises. Mais la fascination qu’exerce sur lui « l’Oncle Xi », comme il l’appelle affectueusement dans son éditorial du Monde du 25 octobre, transparaît à chaque instant derrière l’objectivité revendiquée du journaliste.

Le choix et le récit de la scène inaugurale - Xi Jinping en visite au Château de Versailles -, donne d’emblée la clef de la lecture que François Bougon fait de la carrière de Xi Jinping. Le nouvel homme fort de la Chine lui apparaît, tel qu’il s’apparaît à lui-même sans doute (puisqu’il s’agit bel et bien de se mettre « dans la tête de Xi Jinping »), comme l’homme de la « revanche » contre l’Occident, l’homme qui « lave » l’affront du traité de Versailles, le continuateur du mouvement du 4 mai 1919 et des fondateurs du Parti, l’héritier des héros de la Longue Marche. Diable ! Tout cela à la fois ? on nage en plein mythe ou en plein « Rêve chinois »!

François Bougon replace en effet la « gouvernance » de Xi Jinping dans la longue, voire la très longue durée. Loin de se contenter de mettre en évidence la relation dialectique qu’il entretient avec Mao Zedong et Deng Xiaoping, qu’il veut tenir ensemble et non jouer l’un contre l’autre, il insiste surtout sur le rôle des classiques dans la construction de son idiosyncrasie politique. C’est qu’il s’agit de rien moins, pour Xi Jinping, que de « réjuvénation » de la culture chinoise, « vieille de 5000 ans », de réconcilier, dans une improbable synthèse, Confucius et Mao, le grand saccageur du droit que fut le Grand Timonier et les légistes bâtisseurs de l’appareil juridique et répressif du Premier Empereur, l’économie de marché et le marxisme le plus authentique, de neutraliser tout à la fois les ultranationalistes gauchistes pourfendeurs des parvenus et nostalgiques des fureurs maoïstes tout en abattant les « tigres » et les « mouches » qui s’enrichissent sur le dos du peuple…

La psychologie vient à la rescousse de l’histoire pour expliquer la « pensée Xi Jinping ». La hantise du nouvel Empereur rouge, c’est de voir la Chine s’effondrer comme l’URSS. Et pour conjurer ce danger, il faut à tout prix éviter l’écueil de la tentation démocratique, verrouiller tous les espaces de liberté, mettre au pas la presse, la justice, les intellectuels, bâillonner les dissidents, et cela en levant haut le drapeau de la « sinitude », meilleur rempart contre l’universalisme occidental, mais aussi héritage personnel du « jeune instruit » plongé au cœur de la « Terre Jaune » par les secousses de la Révolution Culturelle. Après que son père, l’un des premiers compagnons de Mao, fut devenu, du jour au lendemain, un « ennemi de classe », le jeune Xi Jinping, réprouvé, porteur de la tare paternelle, trouve dans la région de Yan’an un « lieu de mémoire » qui « lui permet de nouer ensemble la grande histoire (l’histoire impériale), l’histoire révolutionnaire et son histoire familiale. » C’est là sans doute qu’il découvre la puissance du mythe, entre autres celui de Lei Feng (que les lecteurs de ce forum connaissent bien) et plus encore, peut-être, celui de Jiao Yulu, ce « bon cadre » qui se tue à la tâche au service du peuple malgré un cancer mortel.

Si François Bougon voit bien ce qu’il y a d’instrumentalisation de la pensée et de la mémoire dans tout cela, s’il écorne à juste raison le mythe de la résistance exemplaire du PCC contre le Japon (en réalité, c’est Tchang Kaï-chek qui était en première ligne alors que Mao privilégiait la lutte contre les nationalistes au détriment de la lutte contre le Japon), il me semble parfois dupe de la mythification de l’histoire, voire de l’actualité, qu’il analyse. S’il doute heureusement de l’existence de Lei Feng, il semble ne jamais mettre en doute la réalité d’un « âge d’or » du Parti. Jamais il ne remet en cause la vulgate héroïque de la Longue Marche, la ferveur de Yan’an telle que l’a racontée Edgar Snow ! Que Mao ait fait ladite Longue Marche allongé dans son palanquin, le lecteur n'en saura rien, il ne saura rien des traquenards tendus à Zhu-De ou à Peng Dehuai, bien analysés par Jon Halliday et Jung Chang dans Mao, l’histoire inconnue, rien des impôts révolutionnaires qui saignaient les paysans aux quatre veines à Yan'nan et ailleurs, il avalera au contraire le mythe de la sainte honnêteté de l'Armée rouge payant ses achats rubis sur l'ongle... Quant aux purges anti-AB, aux persécutions dont furent victimes tant de communistes sincères et autres rouages de la machinerie totalitaire, elles sont pudiquement tues ; le lecteur ne risque guère de voir écorné le mythe habilement construit par Mao lui-même sur l'épopée fondatrice ou le mythe des cadres intègres des origines, entièrement dévoués au peuple et adorés du peuple en retour. Il suffit pourtant de lire The Tragedy of Libération, de Frank Dikötter, pour voir que cet « âge d’or » n’a jamais existé et que la corruption a toujours gangrené le Parti puisqu’elle lui est, en quelque sorte, consubstantielle. Que la campagne de Xi Jinping contre celle-ci emprunte justement à la « rhétorique maoïste des années 50 », comme François Bougon le reconnaît lui-même, montre bien que les cadres exemplaires n’étaient pas légion. Ce sont des centaines de milliers de « tigres » qui furent traqués dans tout le pays à l’époque. Quant à l’amour du peuple pour le Parti, il n'a pas résisté longtemps à l'épreuve des faits. Si le PCC a été accueilli en libérateur à Pékin (en réalité, Pékin ne voulait surtout par connaître le sort de Changchun,160 000 victimes civiles, mortes de faim pendant le siège), la réduction du peuple chinois en esclavage par les cadres est très vite devenue chronique. Comme en témoignent les manifestations violentes qui se déroulent quotidiennement en Chine et dont François Bougon ne dit rien, cet amour n'est pas non plus sans nuages aujourd'hui …

Le livre se termine comme il a commencé et François Bougon, entérinant le déclin de l’Occident et la « fatigue démocratique » (un concept qu'il ne prend pas soin de problématiser) prophétise « La Fin du Profil Bas » : « les inégalités se creusent dans le monde riche », note-t-il (sans songer, apparemment, qu’elles se creusent plus encore en Chine) et l’Europe elle-même laisse place, en son sein, à des régimes autoritaires ; dès lors, « l’empire peut se présenter comme une puissance positive et crédible », un « modèle alternatif à la démocratie » (puisé aux sources de Carl Schmitt) qui a pour lui non seulement une puissance économique toute neuve mais encore une attractivité sans pareille, fondée sur le dynamisme du « rêve chinois » : « Le projet de nouvelle route de la soie […], écrit François Bougon, n’est-il pas une démonstration de son efficience et de sa bienveillance […] ? ». L’interro-négative, dira-t-on, est dubitative, voire ironique. N’empêche, on sent, encore et toujours, une certaine fascination de l’auteur pour son héros malgré la fin en forme de renversement dialectique « il se peut que Xi Jinping, en voulant faire de son pays une puissance industrielle de premier plan en 2049 (pour le centenaire de la République populaire de Chine), soit en train de déchaîner des forces qui se retourneront contre lui. Car une Chine créative et innovante pourrait ne pas se contenter du cadre existant et soutenir des appels à une réforme politique ». La mise en place d’un système de surveillance et de fichage généralisés, actuellement testé au Xinjiang à grande échelle, combinant reconnaissance faciale, reconnaissance vocale, reconnaissance posturale (une innovation insensible même à la chirurgie esthétique), prélèvement ADN de toute la population et maîtrise des big data, augure mal de cette éventualité.
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