Li Ang, Lettres de Taïwan

publiez ici vos messages sur l'actualité politique, vos impressions sur les moeurs et sur la culture de cette "autre Chine" héritée de l'histoire chaotique de notre temps...

Li Ang, Lettres de Taïwan

Messagepar ZhenZooNaiCha » 12 Sep 2015, 15:42

Connaissez-vous Li Ang ? Le site des Lettres de Taïwan lui consacre un long interview.

Lettres de Taïwan a écrit:
Li Ang [李昂] s’est fait connaître avec le roman Tuer son mari [殺夫 Sha Fu], publié dans les années 1980 à Taïwan. En France, sa première traduction a été diffusée en 1992 sous le titre La Femme du boucher. Deux autres de ses romans ont été publiés en français : Le Jardin des égarements [迷園 Mi Yuan] en 2003, et Nuit obscure [暗夜 An Ye] en 2004. La même année, une nouvelle traduction de Sha Fu paraissait sous le titre Tuer son mari, ainsi qu’une nouvelle, « Pour un bol de nouilles au bœuf » [牛肉麵 Niurou Mian], publiée dans l’ouvrage : Alibis. Dialogues littéraires franco-chinois. Cette nouvelle sera mise en scène par le Théâtre de l’Opprimé trois ans plus tard. Avant cela, la nouvelle « Une salle funéraire déserte » [空白的靈堂 Kongbai De Lingtang] avait également été traduite en français. En 2004, le Ministère français de la Culture a attribué à Li Ang le grade de Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.
ZhenZooNaiCha
 
Messages: 57
Inscrit le: 11 Déc 2011, 14:01

Re: Li Ang, Lettres de Taïwan

Messagepar laoshi » 12 Sep 2015, 17:30

Je n'avais jamais entendu parler de cet auteur , merci de nous le faire connaître ZhenZooNaiCha ! L'interview est très intéressant, en effet. On y apprend entre autres que Li Ang est le premier auteur à avoir osé aborder des sujets tabous tels que la violence sexuelle et la violence domestique à Taïwan, restée très longtemps, on le sait, sous l'empire de la loi martiale et de la pudibonderie officielle... L'une de ses originalité a été de "sonoriser" les scènes érotiques ! Avant elle, on décrivait, au mieux, la gymnastique sexuelle, mais elle restait muette !

Le mutisme est aussi ce qui caractérisait les minorités ethniques et autres populations antérieures à l'invasion de l'île par les Han.


Li Ang, dans Lettres taïwanaises, a écrit:
A travers mon œuvre, j’ai essayé de contribuer à la construction d’une littérature taïwanaise à part entière. Dans le passé, d’autres auteurs taïwanais célèbres, tel que Chen Ying-zhen [陳映真], ne considéraient pas la littérature taïwanaise comme une littérature autonome. Ils pensaient plutôt la littérature taïwanaise comme faisant partie de la littérature chinoise à Taïwan. Cependant, en tant que femme de lettres taïwanaise, je pense que la littérature taïwanaise a sans doute sa propre subjectivité. Dans mes livres, j’essaie aussi de créer une histoire taïwanaise, laquelle ne se résume pas à l’histoire de la Chine à Taïwan. Par exemple, dans Le Jardin des égarements, j’essaie de montrer que Taïwan a une histoire à part, bien sûr en relation avec la Chine continentale, mais pas seulement. A Taïwan, avant l’arrivée des Han, il y avait des aborigènes austronésiens qui avaient un système de langues et de cultures différent de celui de la Chine, et la culture taïwanaise s’est formée avec l’apport de nombreuses autres cultures, comme celles des Anglais, des Français et des Hollandais. Cela implique différentes cultures, et pas seulement une culture chinoise.

Je veux dire clairement que Taïwan a subi plusieurs colonisations : d’abord celle des Hollandais, puis celle des Français pendant une courte période, et aussi celle des Japonais. Après 1945, Taïwan est passé sous le contrôle des nationalistes chinois du Kuomintang. Il s’agit de colonisations successives qui ont laissé leurs traces dans la vie, la culture et l’histoire de Taïwan.

Dans l’un de mes livres plus récents, Possession [附身 Fu Shen, 2011], j’associe les colonisations successives subies par Taïwan à la possession d’un corps par des esprits, un processus pendant lequel le corps de Taïwan est subtilisé par un colonisateur, ce colonisateur laissant des traces qui ne peuvent plus être effacées.

Cette position a suscité une certaine polémique dans les cercles littéraires taïwanais. Il faut comprendre en effet que les cercles littéraires à Taïwan ont longtemps été contrôlés par les auteurs venus du continent. En 1949, quand Chiang Kai-shek [蔣介石] est arrivé avec le Kuomintang, il a imposé l’usage du mandarin comme langue officielle. A cette époque-là, il y avait déjà une littérature taïwanaise mais elle était principalement écrite en japonais. Comme le japonais a subitement été interdit, ces auteurs-là ont d’un coup perdu leur moyen d’expression. Souvent, ces auteurs taïwanais ont vu leur carrière se terminer subitement. D’autres ont pu reprendre, après avoir appris le mandarin, ce qui a pris quelques années. Pendant ce temps-là, au contraire, les auteurs chinois désormais installés à Taïwan ont supplanté les auteurs taïwanais dans cette société colonisée ; ils ont dominé la littérature taïwanaise pendant plusieurs décennies, tandis que le pouvoir politique promouvait les œuvres des auteurs chinois continentaux aux dépens de la littérature locale taïwanaise.

Pour prendre un exemple un peu extrême : avant de partir étudier aux Etats-Unis, je ne connaissais pas du tout le très bon auteur taïwanais qu’est Zhong Lihe [鍾理和, aussi transcrit par Chung Li-ho]. A Taïwan, le gouvernement du Kuomintang avait effacé toute trace de cet auteur et empêché la publication de ses livres. C’est donc aux Etats-Unis que j’ai découvert cet auteur taïwanais. C’est pourquoi il est extrêmement important de retrouver nos racines littéraires taïwanaises et de pouvoir renouer avec cette tradition qui a subi une certaine rupture à un moment donné.
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23

Re: Li Ang, Lettres de Taïwan

Messagepar mandarine » 14 Sep 2015, 14:00

Merci ZhenZooNaiCha et laoshi pour toutes ces informations. Je n'avais jamais réalisé que Je ne connaissais aucun auteur taïwanais.Un auteur de plus dans ma liste .
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
Avatar de l’utilisateur
mandarine
 
Messages: 1848
Inscrit le: 08 Juil 2011, 21:44
Localisation: reims

Re: Li Ang, Lettres de Taïwan

Messagepar laoshi » 14 Sep 2015, 15:46

Je me suis fait pratiquement la même réflexion mais ... peut-être avez-vous lu, comme moi, Les Années Fastes de Chan Koonchung dont nous avons parlé il y a quelques années déjà...
laoshi
Avatar de l’utilisateur
laoshi
Administrateur
 
Messages: 3912
Inscrit le: 06 Juil 2011, 06:23


Retour vers du côté de la politique, des moeurs et de la culture

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 1 invité

cron