Mo Yan : impressions de Taïwan

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Mo Yan : impressions de Taïwan

Messagepar laoshi » 03 Déc 2012, 14:57

A l'occasion du prix Nobel de littérature, Courrier International remet à l'honneur des articles consacrés à Mo Yan. Certains sont anciens, comme celui-ci, publié en 2004, sur la perception que Mo Yan a de Taïwan.

Courrier International, rapportant les propos de Mo Yan, recueillis par Xia Yu pour le Nanfang Zhoumo, le 27 mai 2004, a écrit:
Taïwan ou la présence du passé

Ecrivain de Chine populaire, Mo Yan a séjourné en 2002 sur l'île nationaliste. Il donne aujourd'hui ses impressions. Un point de vue littéraire et très politique.

C'était la troisième fois que je me rendais à Taïwan, la première remontant à 1998.

A l'époque, Taipei m'avait donné l'impression d'une ville très moderne, hérissée de grands immeubles, disposant d'installations semblables à certaines villes occidentales. En 2002, lorsque j'y suis retourné, il m'a semblé que Taipei n'avait que très peu changé et que la ville était vieillotte, très vieillotte. Ce sentiment s'expliquait par le développement prodigieux de la Chine continentale au cours de ces dernières années pendant lesquelles Pékin, Shanghai et Canton avaient connu de profonds changements.

Taipei m'était soudain apparu vieillot parce qu'il n'avait que très peu changé ces trois ou quatre dernières années. Cependant, j'avais réalisé par la suite que le côté vieillot de Taipei n'était pas nécessairement une mauvaise chose. Vivre dans une ville où les transformations se succèdent à un rythme vertigineux n'est pas très agréable. Plus les changements sont rapides, plus ils sont étroitement liés à la notion de modernité. A l'opposé, l'aspect démodé de la ville de Taipei nous fait sentir le poids de l'Histoire et des vicissitudes de l'existence.

Marcher un soir sous une pluie fine dans les ruelles, entrer dans un salon de thé à la lumière tamisée - typique de la culture chinoise - fait tout naturellement naître une nostalgie du passé. Des conditions géographiques particulières et différents facteurs historiques sont à l'origine de l'atmosphère culturelle qui règne à Taïwan. La Chine continentale a connu la Révolution culturelle [1966-1976], qui a marqué une rupture dans la tradition. De nombreuses choses ont été éliminées à l'époque, car elles étaient considérées comme des éléments nuisibles. Taïwan n'a pas vécu cette coupure. Elle a toujours perpétué l'enseignement des sciences et des arts chinois. J'ai remarqué que Taipei souffrait d'un profond complexe de nostalgie du pays natal, lié à l'implantation massive de Chinois continentaux sur l'île. Il est bien naturel qu'un tel sentiment surgisse chez ces gens qui, en venant se réfugier à Taïwan se sont séparés de leur famille depuis quarante, voire cinquante années.

Mais les souvenirs de leur descendance sur ce pays natal ne sont que des souvenirs de souvenirs. La nostalgie du pays natal de jeunes écrivains taïwanais comme Chang Ta-ch'un [né en 1957], Chu T'ien-wen [né en 1956] et sa soeur Chu T'ien-hsin [née en 1958] n'est qu'une chimère, qu'une légende. Leur nostalgie est fondée sur celle de leurs ancêtres. Avec l'ouverture de la Chine continentale, dans les années 80, ils auront un jour peut-être l'occasion de fouler le sol de leur terre natale et ils s'apercevront alors combien celle-ci est différente de l'image qu'ils s'en font en imagination. Un long éloignement a contribué à rendre étrangères les cultures de part et d'autre des deux rives du détroit de Taïwan.

La littérature a joué le rôle que la politique et l'économie ne pouvaient assumer. Les écrivains de l'ancienne génération de Taipei aiment à puiser leur inspiration dans leur pays natal. Ce qu'ils écrivent a toujours un étroit rapport avec les lieux où ils ont vécu dans leur enfance. Il est très rare que des éléments typiquement insulaires, comme la brise sous les cocotiers, s'immiscent dans leurs oeuvres. Leurs ouvrages prennent toujours pour cadre des grandes plaines désertes, avec pour toute végétation du soja, du maïs et du sorgho. La littérature est un moyen pour eux de se remémorer ces souvenirs. Ces auteurs emploient un langage émaillé d'expressions dialectales propres à leur région d'origine [continentale].

Leur langue, c'est celle de leur terre natale, et leurs écrits, un moyen pour y retourner. Il arrive certes aux écrivains taïwanais de la nouvelle génération de situer leur récit dans le pays de leurs parents, mais ce pays est une terre étrangère pour eux, car, comme son nom l'indique, un pays natal est l'endroit où un individu a vécu étant enfant, l'endroit qui a reçu le sang de sa mère lorsqu'il est né. Or cette jeune génération d'écrivains a grandi à Taïwan ; elle a en fait deux pays natals.

Un endroit plus difficile d'accès que les Etats-Unis ou la France
En 1998, quand je me suis rendu pour la première fois à Taïwan, ma première impression, liée à des raisons historiques, a été celle d'un endroit très mystérieux ; ma deuxième impression a été que c'était un endroit d'un accès beaucoup plus difficile que les Etats-Unis, la France ou le Japon. J'avais commencé au printemps à accomplir les formalités pour ce voyage et ce n'est qu'au début de l'hiver que tout était prêt.
J'attendais donc beaucoup de ce voyage qui avait été si difficile à préparer, mais, à mon arrivée, j'ai découvert que l'endroit ne présentait pas de grandes différences avec Fuzhou [capitale de la province du Fujian, qui fait face à l'île et où le dialecte est aussi celui qui domine à Taïwan] ou Canton.

Tout était écrit en chinois, les gens parlaient un langage qui m'était familier [le mandarin est la langue officielle à Taïwan comme sur le continent] et avaient la même couleur de peau, le même visage que sur le continent. Je n'avais pas du tout l'impression, comme aux Etats-Unis ou en France, de me trouver en territoire inconnu. Malgré la complexité des formalités, une fois ce problème réglé, j'ai pu constater en mettant les pieds à Taïwan que je n'avais pas quitté mon propre pays. Ce n'était qu'une île de Chine. Le même sang, la même langue, la même écriture unissent la Chine continentale et Taïwan de façon si étroite que rien ne peut les séparer.
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