Ma Jian, "La Route sombre"

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Ma Jian, "La Route sombre"

Messagepar laoshi » 19 Sep 2014, 08:42

Ma Jian, l'auteur de Beijing Coma et de Nouilles chinoises, consacre son dernier roman, La Route sombre, à la politique chinoise du contrôle des naissances. Voilà la présentation de l'éditeur.

Ancien journaliste des syndicats chinois, Ma Jian a quitté Beijing pour Hong Kong en 1987, peu avant que ses livres soient interdits en Chine (ils le sont toujours aujourd'hui). Peintre, reporter, photographe et écrivain il vit aujourd'hui à Londres. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages remarqués tels que La Mendiante de Shigatze (Actes Sud, 2001) ou Nouilles Chinoises (Flammarion, 2006). Son roman Chemins de poussière rouge (Editions de l'aube, 2005) fustige l'autorité abusive et l'hypocrisie au pouvoir en Chine, lui valant ainsi l'admiration du prix Nobel Gao Xingjian qui voit en lui « une des voix les plus importantes et les plus courageuses de la littérature chinoise contemporaine ».

La Route sombre

Jeune paysanne née au cœur de la Chine rurale, Meili est mariée à Kongzi, l'instituteur du village, lointain descendant de Confucius. Ensemble, ils ont une fille, mais Kongzi, qui veut à tout prix un fils pour poursuivre la lignée de sa célèbre famille, met à nouveau Meili enceinte, sans attendre la permission légale. Lorsque les agents de contrôle des naissances envahissent le village pour arrêter ceux qui ont transgressé les règles, père, mère et fille fuient vers le fleuve Yangtze. Ils commencent alors une longue cavale vers le Sud, à travers les paysages dévastés de la Chine, trouvant de menus travaux au passage, parfois réduits à mendier et obligés de se cacher des forces de l'ordre. Alors que le corps de Meili continue d'être pris d'assaut par son mari et que l'Etat cherche à le contrôler, elle se bat pour reprendre en main sa vie et celle de l'enfant à naître. Avec La Route sombre, Ma Jian, célèbre dissident chinois, signe un roman bouleversant où la violence du contrôle social vous saisit de plein fouet.


Ma Jian vient d'accorder une interview au Nouvel Observateur en voici un extrait :

Ma Jian a écrit:
La réalité de l'horreur dépasse largement, en brutalité et en barbarie, tout ce que je décris. En 1991, dans la province du Xiangdong, les autorités ont décrêté que, pendant cent jours, aucun enfant ne pourrait voir le jour. On estime le nombre d'avortements forcés à environ 20000. Les hôpitaux ne pouvaient faire face et on a érigé des tentes dans les rues, où les opérations étaient pratiquées. Les fœtus étaient jetés dans des puits et l’odeur infecte a persisté pendant des mois. Les habitants parlent encre de cette année comme de celle du massacre des agneaux. Et c’est seulement un épisode. Ces massacres ont eu lieu dans toute la Chine, mais les autorités le cachent. L’avortement forcé, qui est le pire crime contre l’humanité qui soit, fait partie de la vie quotidienne. Il y a quelques semaines, un homme, furieux de ne pas avoir obtenu un permis de naissance, s’est rendu dans un bureau du planning familial et a tué deux fonctionnaires. Il a été exécuté aussitôt.


Ma Jian est très critique à l’égard de Mo Yan, qui a pourtant traité le même sujet dans Grenouilles, sans aucune complaisance pour le régime quoi qu’on en dise ! La différence est que Mo Yan vit en Chine et travaille à l’éveil des consciences de l’intérieur de la Chine. Le livre de Ma Jian, que je vais m’empresser de lire, est sans doute excellent, mais les Chinois n’ont aucune chance de le lire.
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Re: Ma Jian, "La Route sombre"

Messagepar mandarine » 01 Oct 2014, 11:04

En effet , Ma Jian n'est pas tendre envers Mo Yan .
Je vais moi aussi acheter ce livre.
Si la réalité dépasse ses descriptions , je ne vais rester insensible au sort des femmes chinoises qui sont si courageuses.

http://bibliobs.nouvelobs.com/rentree-l ... etail.html
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
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Re: Ma Jian, "La Route sombre"

Messagepar laoshi » 21 Mars 2015, 07:31

Au risque de détoner dans le concert de louanges qui a accueilli la publication de La Route sombre, de Ma Jian, dont j’avais adoré Beijing Coma, j’avoue que je n’ai pas été convaincue par ce roman. Certes, c’est un réquisitoire implacable et salutaire contre toutes les tares de la société chinoise. Mais on ne peut réduire un roman au travail d’enquête et au projet idéologique qui sous-tend le récit. Or, en l’occurrence, c’est justement là que pêche l’écriture de Ma Jian. Dès les premières pages, on comprend que les personnages ne seront rien d’autre que des « fonctionnaires de l’énonciation réaliste » ; ils n’ont aucune consistance par eux-mêmes, ou presque, même si Meili, la pauvre héroïne, gagne peu à peu quelque épaisseur au cours de ces 442 pages ! Ils n’ont pratiquement pas d’autre fonction que de ventiler l’information au fil du récit. De même, les vicissitudes qu’ils endurent ne sont rien d’autre que l’inventaire des maux de la Chine contemporaine ! Le thème principal est la politique de l’enfant unique avec ses conséquences dramatiques pour les familles mais tout y passe, les avortements forcés et les infanticides in utero, la violence de la répression, la condition épouvantable des travailleurs migrants, la pollution et la destruction massive des paysages de Chine, la corruption des bureaucrates et jusqu’aux perversions les plus abjectes, comme le cannibalisme !

Le récit n’est pas clairement daté mais une allusion à Jiang Zemin, à la toute fin du roman, permet de situer l’intrigue au plus tôt à la fin des années 80 (puisque Jiang Zemin a été secrétaire général du PCC entre 1989 et 2002), ou plus probablement entre 1993 et 2003 (dix années pendant lesquelles Jiang Zemin a été Président de la République populaire de Chine). Mais il est probable qu’il intègre des éléments postérieurs, dont Ma Jian a eu connaissance en lisant les messages des activistes qui parviennent à contourner la Grande Muraille électronique.

J’ai surtout la désagréable impression que Ma Jian, dont la quatrième de couverture affirme, citation de Gao Xingjian à l’appui, que c’est « l’une des voix les plus importantes et les plus courageuses de la littérature chinoise contemporaine », doit en réalité beaucoup à Mo Yan alors même qu’il l’accuse d’être un écrivain officiel !

La composition du roman, où l’on entend les voix alternées de l’esprit de l’enfant à naître et celle du narrateur, me semble largement inspirée de l’écriture contrapuntique de Mo Yan. Certes, on trouvait déjà cet artifice dans le beau roman de Fang Fang, Une vue splendide (1987), où le fantôme d’un enfant mort assume le rôle du narrateur, et dans Beijing Coma (2008), où la voix silencieuse de Dai Wei, qui a reçu une balle en pleine tête pendant les massacres de Tian’anmen en juin 89, assume une partie du récit. Mais, d’emblée, la référence à Nuwa, qui, selon le mythe, a modelé les hommes de glaise, évoque Grenouilles, le roman que Mo Yan consacré à la politique du Planning familial en 2009. Il faut lire ce roman pour voir tout ce qui sépare une création authentique d’une œuvre médiocre. Paradoxalement, Ma Jian, pourfendeur du communisme chinois, réfugié dans un pays libre, l’Angleterre, reste fidèle à l’esthétique du « réalisme socialiste » tandis que Mo Yan, vice-président de l’Association des écrivains chinois, se livre à un jeu de massacre iconoclaste en puisant son inspiration à la croisée du mythe et de la réalité.

Paradoxalement, certains critiques, sévères avec Mo Yan, relèvent qu'il publie Grenouilles en 2009, alors que la politique de l'enfant unique commence à être mise en question en Chine (apparemment, ils ignorent les limites de cette mise en question !) mais ils louent l'audace extraordinaire à Ma Jian, qui ne traite pourtant le sujet qu'en 2014, à la veille de son abandon officiel.... Ils se gardent bien de noter, d'ailleurs, que Mo Yan dénonce l'exploitation du ventre des mères porteuses par les cadres du Parti. Cette industrialisation des ventres, dont Ma Jian ne dit mot dans son roman, s'inscrit en réalité dans la droite ligne (si l'on peut dire) du grand massacre des innocents qu'aura été la politique du Planning familial.
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