Les Années fastes : le paradis totalitaire

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Les Années fastes : le paradis totalitaire

Messagepar laoshi » 11 Jan 2012, 16:38

:ec19: Le premier roman de Chan Koonchung, Les Années fastes, sort aujourd'hui en librairie. J'ai réécouté l'émission que lui a consacrée France Culture pour vous en proposer une synthèse intégrant mes propres commentaires et vous donner, je l'espère, l'envie de le lire ! Je précise que les liens internes à ce message renvoient à des rubriques du forum susceptibles d'éclairer le propos de Chan Koonchung.

Sous l’apparence d’un roman d’anticipation, le livre de Chan Koonchung, Les Années fastes, brosse un tableau satirique de la Chine d’aujourd’hui.

Le roman commence en 2013, dans une Chine en pleine euphorie, en plein « Shengsi » : l’expression « Shengsi », qui apparaît de plus en plus souvent dans la presse pour désigner la Chine contemporaine, désigne une « ère de prospérité », « l'âge d’or » des temps glorieux de l’histoire chinoise, tel que l'ont connu par exemple les dynasties Han et Tang, dit Chan Koonchung :


la dernière fois qu’on a utilisée cette expression, c’était à propos de deux empereurs au XVIII° siècle, […] mais voilà qu’en 2008, un jour que j’allais à la poste de mon quartier, j’ai vu un grand bandeau sur la façade proclamer « l’âge de la prospérité ».


Le narrateur du roman, Lao Chen, né à Taïwan, comme l’auteur, a vécu comme lui à Hong-Kong mais il s’est installé à Pékin dans le lotissement n°2 du « village du Bonheur ». Il partage le sentiment d’euphorie qui règne dans cette « société harmonieuse» où le Parti ne rencontre plus aucune opposition, où le peuple, vivant dans la première puissance économique mondiale, adhère au système qui lui procure une réelle aisance matérielle. La Chine de 2013 est en effet celle des « années fastes » : « aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire qu’il n’y a pas de meilleur endroit au monde que la Chine », affirme-t-il.

Le « meilleur des mondes » chinois est pourtant un leurre et le roman décrit la douloureuse prise de conscience du narrateur confronté au dévoilement de la réalité qui se cache derrière les apparences. Lao Chen incarne la majorité des Chinois qui se satisfont du bien-être matériel dont ils jouissent aujourd’hui, au prix d’une amnésie revendiquée comme telle : « voilà, ça suffit pour nous, c’est assez bon, disent-ils, il ne faut pas regarder en arrière, le passé est trop douloureux et par rapport au passé on est quasiment au paradis ». Et il est vrai que, pour ceux qui abdiquent tout esprit critique, le pouvoir est généreux : « l’Etat récompense ceux qui l’écoutent et qui le suivent, surtout les intellectuels et les universitaires ; ils pourront, par exemple, envoyer leurs enfants étudier à l’étranger » ; pour éviter de bousculer l’ordre établi et d’encourir les foudres de la répression, « la plupart choisissent un domaine très circonscrit », évitant soigneusement les sujets qui fâchent : « on n’a pas de conscience politique, on laisse l’Etat faire ce qu’il doit faire et on fait ses petites affaires de l’autre côté »… Pour les rares intellectuels et autres dissidents qui ne jouent pas le jeu, la vie sera tout autre, non seulement ils risquent d’avoir de gros problèmes, de mener une vie « tout à fait misérable », mais ils seront encore punis dans leurs enfants : « ils ne pourront pas envoyer leurs enfants étudier à l’étranger ou même dans une école à peu près correcte en Chine. »

Ces francs tireurs sont incarnés, dans le roman, par quelques marginaux, deux en particulier. A travers eux, le lecteur découvre une société de surveillance, un effrayant « panoptique ». Le mot « panoptique », qu’on peut traduire par « dispositif de visibilité intégrale », désigne la prison modèle mise au point par Jeremy Bentham à la fin du XVIII° siècle : « être constamment sous les yeux d’un inspecteur, disait l’architecte, c’est perdre la capacité de faire le mal et presque la pensée de le vouloir ». On se souvient de la dimension que George Orwell a donnée à ce dispositif dans 1984. Comme les personnages de George Orwell, exposés au regard invisible de Big Brother sous l’œil implacable du « télécran », les marginaux de Chan Koonchung sont suivis à la trace sur les réseaux électroniques de notre temps. Et comme dans tout paradis totalitaire, le pouvoir s’insinue jusque dans la conscience intime des êtres pour briser les liens affectifs qui risqueraient de lui faire obstacle, en l’occurrence la « piétié filiale » ! Dans Les Années fastes, un fils, qui ambitionne d’intégrer le Département de la propagande, n’hésite pas, par exemple, à espionner sa mère, il envisage même froidement de l’éliminer. C’est que, comme les jeunes Chinois d’aujourd’hui, ce fils indigne a été efficacement endoctriné par le Parti, constate Chan Koonchung :


Beaucoup de jeunes Chinois ne connaissent pas le passé parce qu’on ne leur a pas enseigné l’histoire ou que les médias n’en parlent pas, ils sont donc tout prêts à adhérer à la propagande officielle du Parti et de l’Etat, ils sont beaucoup plus enthousiastes que l’ancienne génération et je ne serais pas étonné qu’ils soient prêts à suivre très activement la ligne du Parti pour se placer au mieux. Un des commentateurs chinois de ce roman a dit qu’avant moi, tous les écrivains chinois plaçaient leur espoir dans l’avenir, affirmaient que les jeunes sauraient mieux faire que nous, qu’ils amélioreraient les choses, alors que ce roman, au contraire, nous dit que la prochaine génération sera peut-être pire que la nôtre ; c’est assez effrayant, déprimant parce qu’on ne peut même plus se dire que l’espoir est là dans la génération future.


Cette amnésie collective apparaît dans la fiction à travers une curieuse disparition, une lacune dans le temps : un mois entier a disparu, les 28 jours qui se sont écoulés entre le moment où l’économie mondiale a plongé dans la crise et la date à laquelle la Chine est entrée officiellement dans « l’âge d’or » de sa suprématie. Seuls quelques-uns, qui s’appellent entre eux les « gens de discernement », se souviennent de ce mois perdu. L’allusion aux événements de juin 1989 et à la politique de déni qui s’en est suivie, est évidente.

Le PCC a bâti sa légitimité sur cette amnésie sélective et sur la réécriture de l’histoire. Le Parti veut contrôler la façon dont les gens se souviennent de l’histoire et comment les gens perçoivent la réalité historique ; il n’a pas complètement réussi dans cette entreprise d’amnésie mais il y a quand même beaucoup d’événements qui ne sont plus jamais mentionnés, des événements plus anciens, des atrocités, des horreurs passées ; 1989, les événements de Tian’Anmen, les gens s’en souviennent encore mais il y a d’autres horreurs qui ont eu lieu, d’autres atrocités comme celles qui se sont déroulées en 1983 où beaucoup ont été exécutés pour avoir commis des délits tout à fait mineurs. Cela peut se reproduire encore si l’Etat se sent menacé, il pourra recommencer cette campagne de répression, il l’a fait encore et encore en 1989 avec le massacre des citoyens de Pékin et puis contre le Falungong en 1999. Donc l’oubli, ça peut-être dangereux, parce que les gens ont tendance à s’endormir, à se dire que cela ne peut plus se produire à nouveau alors que la nature de l’Etat n’a pas changé.


Les deux thèmes de l’euphorie et de l’oubli sont intrinsèquement liés dans le roman puisque c’est l’oubli qui a permis de construire cette ère de prospérité illusoire. Comme dans Le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley, le bonheur des Années fastes est une drogue, un nouvel « opium du peuple » : les Chinois l’ont consommé dans le lait, dans les sodas, dans l’eau potable que le Parti a fait élaborer par ses chimistes.

Le Parti ne cesse de prétendre qu’il fait les choses pour le bien du peuple, sans demander l’avis du peuple, évidemment, il ne serait donc pas si étonnant que l’Etat mette en pratique une idée dont il pense qu’elle serait bénéfique pour le peuple sans que le peuple en soit averti. Quand j’écrivais le livre, il y avait ce scandale du lait contaminé… Toutes les grandes coopératives laitières avaient trempé dans l’histoire, les dirigeants en étaient informés mais personne n’avait le droit de le dire parce que les JO allaient arriver ; des enfants, des bébés sont morts parce qu’ils avaient été nourris avec ces laits contaminés. […] Une fois que le scandale a été révélé, seule une entreprise a été véritablement sanctionnée, les autres n’ont eu qu’un avertissement. Donc on peut penser que l’Etat serait tout à fait capable de mettre quelque chose dans l’eau potable.


Il est en effet dans la nature de tout pouvoir politique de tendre vers l’abus de pouvoir, tout simplement parce que les dirigeants sont convaincus d’agir « dans l'intérêt supérieur » de la Nation, du Peuple ou du Parti. En l’absence d’information, de contradiction, de débat démocratique, chacun peut vivre dans la torpeur de l’oubli au risque de se réveiller quand il sera trop tard. C’est donc à un « choix éthique personnel » que Chan Koonchung invite son lecteur : « vivre heureux avec le mensonge et les demi-vérités » ou bien « garder les yeux ouverts », fût-ce au prix de sa tranquillité. Tel est le rôle des intellectuels et des dissidents.
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Les archives de l’oubli

Messagepar laoshi » 11 Fév 2012, 19:01

:ec16:
J'ai lu une grande partie des Années Fastes et je vous en propose un début de fiche de lecture.

On n’a pas beaucoup parlé, me semble-t-il, de la forme du roman. Chan Koonchung a choisi la discontinuité. Chaque chapitre est le monologue d’un personnage différent - Lao Chen, Xiao Xi, Fang Caodi, Zhang Dou, Wei Guo… Tantôt journal intime, tantôt verbatim d’un enregistrement au magnétophone, tantôt autobiographie, tantôt « notes de calepin » et autres mémoires au statut indécis se succèdent dans un ordre apparemment aléatoire. L’existence de Fang Caodi, qui réapparaît tout à coup dans la vie de Lao Chen après des années d’absence, est emblématique de cette discontinuité subtilement mise-en-abyme : « Son existence était une succession de chapitres dépareillés, impossibles à mettre en ordre, tout comme un livre dont la reliure serait en lambeaux ».

D’emblée, le romancier donne ainsi la clef de son écriture. Il met le lecteur dans la situation de l’historien face au désordre de ses archives. Comme lui, il doit se frayer un chemin dans ce labyrinthe pour construire le sens qui se dérobe dans les arcanes de la mémoire. Le fil d’Ariane de l’historien, ou ici, celui du lecteur, est fait des échos qui se répondent d’un chapitre à l’autre, d’une mémoire à l’autre, au hasard des expériences singulières que vivent les personnages. Et peu à peu la vérité, soigneusement occultée par le pouvoir, se fait jour malgré la mainmise du Département de la Propagande sur les esprits.
Contrairement à ce que clament les autorités, l’accession de la Chine au rang de première puissance mondiale, son entrée dans « l’ère de la Prospérité » et l’effondrement des économies occidentales n’ont pas été simultanés : un mois entier sépare les deux phénomènes, 28 jours de répression féroce visant tous les mal-pensants, les esprits forts et autres dissidents ! Mais, curieusement, personne ou presque ne se souvient de rien si ce n’est quelques asthmatiques sous traitement à la cortisone comme Zhang Dou ou Fang Caodi lui-même. Il est donc impératif pour les « gens de discernement » d’objectiver les faits, de les établir dans leur réalité contre l’oubli collectif.

Il y a quelque chose de sartrien dans ce roman (Sartre y est d’ailleurs explicitement nommé, je ne sais plus où). Tel le Roquentin de La Nausée, Fang Caodi collecte des archives comme le ferait un historien de l’école positiviste : croiser les témoignages, débusquer leurs contradictions internes, les étayer les uns par les autres ou les établir sur des preuves matérielles incontestables, telle est sa méthode. Mais là où Sartre concluait à la vanité de l’entreprise, Chan Koonchung, qui est aussi journaliste d’investigation, est convaincu que les faits ont une existence objective.

Tout concourt, pourtant, à persuader ses personnages du contraire. Non seulement les témoins se comptent sur les doigts d’une main, non seulement les autorités ne répugnent pas à employer contre eux toutes les méthodes possibles d’intimidation, de répression - y compris l’arme psychiatrique -, mais encore toute l’intelligentzia semble avoir perdu le sens du réel.
Les élites chinoises, celles-là mêmes qui ont payé le plus lourd tribu à l’entreprise totalitaire, pactisent désormais avec le pouvoir qui leur assure des prébendes de toutes sortes : les anciens « jeunes instruits », déportés en masse pour « apprendre auprès des paysans », ne se souviennent plus que « des moments de joie éprouvés quand ils avaient été envoyés à la campagne » et n’éprouvent plus, à l’évocation de la Révolution Culturelle, qu’une vague « nostalgie romantique de leur adolescence » (p.96) (c'est aussi ce que Liu Xiaobo leur reproche). L’Université, dont la vocation contestataire est essentielle, fait son miel des théories « postmodernes » (et j’ai pu le constater avec ma petite correspondante). En apparence à la pointe du progrès, elle tend ainsi à réduire la réalité à un écheveau de discours où disparaissent les faits : « Lao Chen était un auteur de fiction, un conteur d’histoires. Il savait que dans l’univers sémiotique du postmodernisme, la réalité pouvait être une construction hypothétique et que l’Histoire était sujette à de nombreuses interprétations. » L’enseignement des lettres et des sciences humaines, au lieu de consolider l’esprit critique par la confrontation intelligente des points de vue, en vient ainsi « à loucher pour altérer délibérément la réalité, à déformer les faits historiques réels sans le moindre scrupule et à falsifier les exposés qui en sont faits » (p. 218) en brandissant l’alibi intellectuel des théories occidentales ; et la société chinoise, qui s’enorgueillissait d’avoir « en elle le parfum des livres », sombre dans la crétinisation de masse (p. 57). Les maisons d’édition, dont les directeurs littéraires sont devenus des « directeurs commerciaux », ne s’intéressent plus qu’à leurs « parts de marché », la presse, flattant les penchants de la foule pour la facilité, se complaît dans les nouvelles des « people », dans les potins de night-clubs et la promotion des loisirs « branchés ». Mieux, les étrangers, qui pourraient apporter un soutien décisif aux rares « rescapés » chinois de l’esprit critique, leur font désormais la morale (ça ne vous rappelle rien ?). C’est tellement mieux d’avoir la conscience tranquille pour faire du tourisme ou du business : « Une fois, raconte Xiao Xi à Lao Chen, j’ai eu rendez-vous dans un petit restaurant de Lanqiying, avec l’un de ces Taïwanais qui vient en Chine pour affaires. […] Finalement, je me risquai à lui dire quelques phrases sur les fautes du gouvernement. Il répliqua aussitôt, me faisant à nouveau la leçon, me disant que c’était moi l’ignorante et l’ingrate, que je ne savais pas la chance que j’avais. »

Envers et contre tout, Fang Caodi, un autodidacte que ses origines de classe « douteuses » a coupé de tout enseignement supérieur et qui a découvert la culture occidentale en Amérique, entreprend de parcourir la Chine en tous sens à la recherche de preuves objectives des faits. Il découvre alors que, paradoxalement, la mémoire immatérielle d’Internet est plus fragile encore que la mémoire papier. Si les historiens du monde pré-numérique ne redoutaient rien tant que les dents des souris, les inondations, les incendies, les mites, les moisissures, les autodafés, ceux de l’ère numérique ont beaucoup plus de soucis à se faire ! D’un simple clic, la cyber-police peut rayer un événement de l’Histoire :


Chan Koonchung pp.125-126 des Années Fastes a écrit:Vendredi soir de la semaine dernière, je suis allé rendre visiter à un ami de Wudaokou. Le magasin qui se trouve au rez-de-chaussée de son appartement et fait bazar était sens dessus-dessous : mon ami était en plein rangement. J’entrai pour jeter un coup d’œil et sous une pile d’objets sans intérêt, je découvris un vieux numéro du journal libéral Nanfang Zhoumo datant du mois disparu. Ce devait être le dernier numéro qu’ils avaient pu éditer avant d’être contraints de cesser leurs publications. J’avais l’impression d’avoir déniché un trésor. Je fis quelques emplettes et emportai le numéro avec moi. Quand je comparai la version imprimée de ce numéro de Nanfang Zhoumo avec sa version en ligne, je découvris comme il était à prévoir de nombreuses modifications. Par exemple, la version papier comporte une analyse de la crise, tandis que dans la version en ligne, elle, a été supprimée et remplacée par un autre article qui explique pourquoi les valeurs universelles occidentales ne seraient pas appropriées pour la Chine. Je ne sais pas pourquoi, mais à voir comment Nanfang Zhoumo avait été expurgé et trituré, et semblait s’opposer à présent aux valeurs universelles, j’éclatai de rire, oubliant que je me trouvais dans un café bondé.

Bien sûr, le fonds documentaire des bibliothèques a été systématiquement « harmonisé » et Fang Caodi, qui voulait compulser les périodiques de l’époque, découvre « qu’il n’exist[e] plus que les versions en ligne et qu’il n’[est] plus possible de lire les exemplaires imprimés ». Mais le pouvoir, tout totalitaire qu’il soit, ne peut éradiquer toutes les traces du passé dans les coins les plus reculés de la Chine : « C’est seulement dans des lieux improbables que je réussis à réunir quelques bribes de preuves corroborant les faits », note Fang Caodi dans un autre enregistrement. Un numéro complet d’un magazine économique par-ci, une partie d’un exemplaire d’une publication hongkongaise par-là, quelques pages du Quotidien de la Jeunesse chinoise (organe de la Ligue de la jeunesse communiste) au fin fond de la province du Hubei annonçant l’avènement du « Léviathan » lui confirment qu’il n’a pas rêvé ! La philosophie de Hobbes, qui fait de ce monstre biblique qu’est le Léviathan l’emblème du pouvoir d’Etat a en effet tout pour séduire le PCC : « si on lui donne le choix entre l’anarchie et la dictature, le peuple choisira toujours la dictature »…. (p. 129).

Après l'enquête livresque, Fang Caodi entreprendra l'enquête de terrain, mais... nous verrons cela plus tard.

Chacun comprendra, à ces notes de lecture, l'enthousiasme des lecteurs chinois pour ce roman interdit en Chine mais qu'un internaute audacieux a mis en ligne en caractères simplifiés. Le pouvoir, pour le moment, semble « détourner le regard ». Chan Koonchung, du moins au moment de son interview sur France Culture, n'avait pas été inquiété, il est vrai que cela assurerait à son livre, beaucoup plus facile d'accès que les articles de Liu Xiaobo, une publicité qui pourrait se retourner contre les autorités. Je crois en tout cas que nous avons le devoir de lire ce livre salutaire, écrit par un Chinois, qui vit en Chine et qui aime la Chine : il désamorce un à un tous les arguments de mauvaise foi qui tentent de nous rendre aveugles, sourds et muets, en France même, face à la réalité chinoise.
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L'Eldorado chinois.

Messagepar laoshi » 21 Fév 2012, 22:35

« aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire qu’il n’y a pas de meilleur endroit au monde que la Chine », dit Lao Chen dans le roman. En écho à ce propos de fiction, je vous suggère de lire dans Courrier international ce témoignage d'un jeune Américain fraîchement expatrié dans l'Eldorado chinois.
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petites leçons d'onomastique : Lao Chen et Fang Caodi

Messagepar laoshi » 20 Mai 2012, 15:30

Une correspondante d’origine chinoise a eu la gentillesse de me donner les idéogrammes des noms des personnages de Chan Koonchung dans Les Années Fastes. Je l’en remercie très sincèrement.

Emile Zola le remarquait très justement, les romanciers ne choisissent jamais par hasard le nom de leurs personnages : « nous mettons toutes sortes d’intentions littéraires dans les noms », disait-il…. Je vous livre donc les réflexions « onomastiques » que m’a suggérées la découverte des noms qu’a choisis Chan Koonchung.

Le nom de Lao Chen, en chinois traditionnel
et en chinois simplifié , correspond parfaitement à sa fonction, puisque signifie « raconter », « publier », « faire connaître au public » mais aussi « mettre en ordre ». Or, comme je le notais plus haut, Lao Chen est non seulement l’un des narrateurs principaux du roman, mais encore l’un de ceux qui tentent de mettre de l’ordre dans le fatras des archives disparates miraculeusement échappées à l’oubli.

Son comparse, Fang Caodi
semble échapper à cette symbolique puisque signifie « prairie », « pelouse », « pâture », « pré », « steppe » et « carré(e) » . Mais le mot signifie également « droit » (au propre comme au figuré), « loyal », « Bien », « voie droite », « vertu », « exigence de justice », « résistance », « contestation », et correspond donc bien à la vocation subversive du personnage.

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petites leçons d'onomastique : Xiao Xi

Messagepar laoshi » 20 Mai 2012, 15:41

Le nom le plus symbolique du roman est sans doute celui de Xiao Xi.

, évoque, étymologiquement, selon le Ricci, « les interstices d’une étoffe entre les fils qui se croisent » et, par extension, ce qui est « rare », ceux qui sont « peu nombreux »…. Quoi de plus parlant pour évoquer les rares individus qui passent entre les mailles du filet, qui échappent aux rets de l’implacable réseau de surveillance tissé par le pouvoir sur la société des Années fastes ?

Mais le mot xi
désigne également « ce qui est imperceptible à l’ouïe », or, nous l’avons vu plus haut, Xiao Xi se plaint justement de n’être pas entendue lorsqu’elle se risque à « dire quelques phrases sur les fautes du gouvernement » à un homme d’affaires taïwanais : « Il répliqua aussitôt, écrit Chan Koonchung, me faisant à nouveau la leçon, me disant que c’était moi l’ignorante et l’ingrate, que je ne savais pas la chance que j’avais. » L’un des chapitres du roman, intitulé « Blowing in the wind » évoque d’ailleurs une chanson de Bob Dylan dont les paroles font écho à la surdité et à l’aveuglement volontaires dont se plaint Xiao Xi. En voici quelques extraits, ils rappelleront aux gens de ma génération les combats de la jeunesse américaine contre la guerre au Vietnam :

Combien d’années certains peuples doivent-ils vivre
Avant d’avoir droit à la liberté ?
Et combien de fois peut-on détourner la tête
En prétendant qu’on n’a rien vu ? […]
Combien doit-on avoir d’oreilles
Pour entendre les gens pleurer ?
Combien faudra-t-il de morts pour qu’on sache
Que trop de gens sont morts ?
La réponse, mon ami, est emportée par le vent…


c’est enfin un verbe, le verbe « espérer » : Xiao Xi incarne bien en effet le « petit espoir » que représentent pour l’auteur les rares rescapés de l’esprit critique dans la Chine des Années Fastes mais aussi cette espérance qu’elle finit par aller chercher dans une des nombreuses sectes évangéliques qui prospèrent sur la désespérance des Chinois. Son dernier pseudonyme sur internet « maizibusi », renvoie directement à la phrase de l’Evangile, « le grain tombé en terre ne meurt pas »…. Ce n’est pas un hasard, en effet, si l’un des chapitres consacrés à Xiao Xi s’intitule « La foi, l’amour et l’espoir […] ».

Dernière signification de
, toujours selon le Ricci : « prendre comme modèle ». C’est sans doute le conseil du romancier au lecteur : Xiao Xi finira par abandonner la voie illusoire de la secte pour rejoindre Lao Chen, le personnage à la lucidité sans faille qui a choisi de vivre les yeux ouverts.
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petites leçons d'onomastique : Wei Guo et quelques autres

Messagepar laoshi » 20 Mai 2012, 16:09

Le nom de Wei Guo - 韋國 en chinois traditionnel, 韦国 en chinois simplifié -, signifie « tourner le dos au pays », « s’opposer au pays » et parle de lui-même... Le fils de Xiao Xi est en effet farouchement opposé à la liberté du peuple chinois. Enrôlé dans l’organisation secrète des « SS » (!!!), il est le complice de celui que l’on désigne comme « le Joueur de flûte », en souvenir du « meneur de rats » de la légende allemande : comme le sorcier d'Hamelin, il ensorcelle tous les jeunes gens et les entraîne loin de leurs foyers.

Convaincu d’appartenir à une élite, Wei Guo organise le lavage de cerveau des étudiants enthousiastes qu’il rassemble dans le « Camp d’entraînement du Diable » et les pousse à la violence contre les jeunes « dégénérés » qu’il désigne à leur vindicte. Dès sa deuxième année d’études, il a fondé un groupe de surveillance et de réfutation des textes libéraux publiés sur Internet. « Collabo », militariste et « nationaliste » dans l’âme, il dénonce sans vergogne tous les professeurs qui défendent les valeurs « occidentales » dont il ne cesse de fustiger la prétendue universalité et exalte la haine sous couvert de prêcher « l’amour » dans un discours à double entente qui ressemble fort celui de la société « harmonieuse ». Je n'ai pu m'empêcher, en lisant le roman de Chan Koonchung, de penser au nationalisme agressif de ce professeur d'université clamant que les Hongkongais sont des chiens... Le message de Chan Koonchung, en tout cas, est clair, il y a pour lui de curieuses accointances entre la pratique dse durs du PCC et celle du nazisme.

He Dongsheng, dont le nom pourrait être traduit par « pourquoi naître à l'est ? »,
東生 en chinois traditionnel et 东生 en chinois simplifié, est un personnage ambigu, un cadre capable de se départir de son point de vue pour adopter, ne serait-ce qu'un instant, celui de ses adversaires idéologiques.

Quant à Miao Miao
妙妙, dont le nom signifie « merveilleuse », elle porte bien son nom...

Voilà, je n'ai pas d'autres pistes à vous proposer n'ayant pas d'autres renseignements sur les noms chinois des personnages. Merci encore à celle qui a eu la gentillesse de me communiquer ces noms en chinois.
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