La Fille aux cheveux blancs

La Fille aux cheveux blancs

Messagepar laoshi » 13 Nov 2015, 17:39

Décidément, Xi Jinping n’a pas rompu avec le modèle maoïste. Bien au contraire. Nous l’avons déjà montré à plusieurs reprises, c’est bien à une révolution culturelle larvée que l’on assiste depuis quelques années en Chine.

Il y a un an, Xi Jinping « invitait » fermement les artistes chinois à « développer une vision correcte de l’art », à « promouvoir les valeurs socialistes » et à « servir le peuple » (autrement dit le régime) - conformément à la doctrine maoïste de la conférence de Yan'nan dont il célébrait ainsi l’anniversaire (j’ai lu ce texte de bout en bout, c’est un chef-d’œuvre de langue de bois). Le texte du discours, qui vient d’être publié (sage lenteur du Parti !), n’est pas resté lettre morte. Quelque temps après, l’administration d’Etat annonçait que les récalcitrants ou les déviants seraient envoyés au moins 30 jours « dans les minorités ethniques et dans les zones frontalières, ainsi que dans des zones ayant fourni une contribution majeure à la victoire nationale de la guerre révolutionnaire » pour « vivre parmi les masses », comme au bon vieux temps !

Mais la politique culturelle de Xi Jinping ne se limite pas à la répression ; le nouvel empereur fait flèche de tout bois pour mettre les milieux culturels au service de la propagande, réactiver la ferveur révolutionnaire du peuple chinois tout en organisant un nouveau culte de la personnalité.

Après la chanson, après les feuilletons télévisés, c’est maintenant l’opéra qui est mobilisé au service d’un art « sain ». La première de
[bái máo nǔ] La Fille aux cheveux blancs a eu lieu vendredi dernier, à Yan’nan, devant un parterre de vétérans de la Huitième Armée de route.

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les vétérans de la 8° Armée de route assistant à la représentation

C’est là, en 1945, dans la base révolutionnaire de Mao qu’a été créé cet opéra, conformément aux préceptes formulés par Mao en 1942. L’opéra va maintenant partir en tournée dans plusieurs grandes villes de Chine avant de triompher à Pékin à la mi-décembre.

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l'affiche du film

La Fille aux cheveux blancs, dont il existe aussi une version cinématographique datée de 1950, raconte l’histoire d’une jeune paysanne de la Chine du nord, Xi’er, dont la famille est persécutée par Huang Shiren, un propriétaire foncier, pendant la guerre sino-japonaise : après avoir battu à mort son père, l'affameur du peuple - allié des Japonais, cela va sans dire -, enlève la jeune-fille pour en faire son esclave et sa concubine.

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la mort du père et le désespoir de Xi'er. Vous remarquerez la remarquable continuité esthétique avec l'affiche de 1950

Dans la version originale, Xi’er, violée par son maître, découvre qu’elle est enceinte ; elle espère qu’il l’épousera pour réparer sa faute mais elle découvre qu’il a l’intention de la vendre. C’est pourquoi elle s’enfuit dans la montagne. Pendant des années, elle survit dans une caverne et ses cheveux, de noirs qu’ils étaient, deviennent tout blancs à force de chagrins et de privations. Les villageois, qui l’aperçoivent de loin, la prennent pour un fantôme. Pendant ce temps, son fiancé, Wang Dachun, la croyant disparue à jamais, s’est engagé dans l’Armée Populaire de Libération ; parti à sa recherche envers et contre tout, il finit par la retrouver.

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Wang Dachun retrouvant Xi'er

Les deux jeunes gens, avec l’aide de l’APL, libéreront les villageois du joug de Huang Shiren tandis que le soleil rouge de la Révolution se lève à l’horizon….

Or, on apprend que Peng Liyuan, l’épouse de Xi Jinping, a joué le rôle-titre de La Fille aux cheveux blancs dans les années 80.

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Peng Liyuan dans le rôle titre

Aujourd’hui Présidente de l’Académie des Arts de l’APL, elle a supervisé l’adaptation de l’œuvre, en tant que directeur artistique, pour la représentation de Yan’nan : « malgré un calendrier chargé, le professeur Peng, déclare le Ministre de la culture, a guidé la révision de l'œuvre ; elle a donné des leçons aux acteurs principaux et leur a montré en personne comment ils devaient jouer pendant les répétitions. »

Voilà donc un couple parfait : d’un côté, Xi Dada à la théorie, de l’autre, Peng Liyuan à la pratique ! Cela rappelle évidemment quelques mauvais souvenirs à ceux qui ont tenté de survivre sous la férule révolutionnaire de Mao et de la délicieuse Jiang Qing. Car Jiang Qing, qui avait commencé sa carrière comme chanteuse sous le nom de Pomme Bleue, a elle-même chanté quelques airs de La Fille aux Cheveux Blancs : on peut entendre des extraits de son interprétation sur le web chinois mais elle en a surtout supervisé une adaptation de l’opéra pour en faire un ballet après l’avoir soigneusement expurgé.

Dans la version remaniée par la pointilleuse et puritaine Jiang Qing, le détail scabreux de la grossesse de Xi’er a été supprimé (rien ne devait évoquer la sexualité, qui aurait risqué de détourner « les masses » de la révolution) et les paysans sont devenus de solides gaillards que n’impressionne guère le propriétaire foncier. Le père de Xi’er n’est plus battu à mort, il se tue parce qu’il ne peut payer les fermages au propriétaire (mais je ne sais si cette modification est due à Jiang Qing ou à Peng Liyuan). C’est en tout cas à la demande expresse des autorités maoïstes de l’époque que le méchant Huang Shiren est exécuté à la fin du spectacle. Le ballet, estampillé Jiang Qing, deviendra l’une des 8 « œuvres modèles » seules autorisées sur la scène pendant les dix ans de la Révolution culturelle. Le ballet, donné plus de 1700 fois dans le monde, a été représenté pour la première fois sur la scène du Châtelet en 2014, un an après le triomphe du Détachement rouge féminin.

On espère que l’adaptation de Peng Liyuan sera moins insipide que celle de la débonnaire Jiang Qing mais il est évident que le pouvoir a tout particulièrement veillé au message idéologique de cet opéra : le script, toujours selon le Ministre de la Culture, a été remanié une bonne dizaine de fois ! Car il s’agit de célébrer non seulement les 70 ans de la création de La Fille aux cheveux blancs mais, plus encore, les origines du Parti, le temps béni de l’idéalisme révolutionnaire tel qu’il est censé avoir été vécu par les fondateurs.

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l'idéalisme révolutionnaire exalté

Des effets en 3D ajouteront, paraît-il, une touche d’authenticité au spectacle, des effets « réalistes » comme dans cette scène au milieu des roseaux :

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les effets 3D

Mais en réalité, les décors ressemblent, à s’y méprendre, aux crèches qu’on installe dans nos églises à la veille de Noël !

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des décors de carton pâte

Mo Yan a fait dans La Dure Loi du Karma, une parodie irrésistible des ballets révolutionnaires de la révolution culturelle, je vous y renvoie. Elle a plus que jamais, tout son sens !

On peut voir une représentation des deux ballets-phares de l'époque maoïste, La Fille aux cheveux blancs et Le Détachement rouge féminin, sur cette vidéo : extraordinaire !
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Re: La Fille aux cheveux blancs

Messagepar laoshi » 14 Nov 2015, 18:55

Je viens de revoir quelques images du ballet de La Fille aux cheveux blancs dans la version des années 60, en pleine révolution culturelle ; le costume que porte Peng Liyuan dans les années 80 est rigoureusement identique à celui que portait la jeune danseuse sous Mao.

Voici quelques captures d'écran, de très mauvaise qualité mais bien significatives de la grandiloquence de l'époque :
ballet000.JPG
le costume de Peng Liyuan est identique à celui de la danseuse de l'époque de Mao
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le ballet pendant la Révolution culturelle
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le fiancé
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l'avenir radieux
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la fille aux cheveux blancs
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l'armée de libération
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le soleil rouge se levant à l'horizon
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Re: La Fille aux cheveux blancs

Messagepar laoshi » 16 Nov 2015, 17:40

Un mot encore sur le ballet filmé à l'époque maoïste : la danseuse révèle dans la vidéo dont je vous ai parlé plus haut qu'on lui faisait mettre des quartiers de pomme dans les gencives afin qu'elle ait l'air bien nourrie et que, même dans les plans rapprochés, elle ait les joues rondes.... Ceci explique la curieuse morphologie de la jeune femme !

ballet1.JPG
les joues rebondies... avec des quartiers de pomme coincés dans les gencives
ballet1.JPG (25.24 Kio) Consulté 1106 fois
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Re: La Fille aux cheveux blancs

Messagepar mandarine » 19 Nov 2015, 08:41

Merci Laoshi, c'est édifiant.
C'est la continuité dans le changement ou le contraire...
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
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