l'alphabet romain et le système graphique chinois

l'alphabet romain et le système graphique chinois

Messagepar laoshi » 19 Déc 2013, 18:07

Ayant lu récemment, sous la plume de José Frèches, quelques énormités linguistiques, je voudrais revenir ici sur quelques concepts fondamentaux concernant la langue, l'écriture et leurs spécificités.

Toute langue est un "système de signes". Un signe, c'est l'unité indécomposable du "signifiant" (axe sonore de la langue) et du "signifié" (axe idéel de la langue) : ainsi, quand j'articule le mot [arbr'], chacun comprendra que je désigne un arbre. Signifiant et signifié sont aussi inséparables que "le recto et le verso" d'une même feuille de papier, disait Ferdinand de Saussure.

Mais nous ne nous contentons pas de parler, nous écrivons. Les langues occidentales ont choisi de noter d'abord et avant tout le signifiant (l'axe sonore du signe), les Chinois ont choisi de noter d'abord et avant tout le signifié (l'axe idéel) du signe.

Pour comprendre les différences qui séparent l'écriture chinoise de notre alphabet, il faut d'abord se souvenir de ce que c'est que l'alphabet. Emprunté par les Grecs aux Phéniciens, l'alphabet a avant tout une fonction phonétique. Si, pour certains linguistes, les "graphèmes", unités minimales de l'écriture, sont tout simplement les lettres de cet alphabet, d'autres considèrent à raison que les graphèmes sont les unités simples ou complexes notant les "phonèmes" (unités minimales de son).

Disons, pour faire simple, que chaque lettre représente un son - voyelle ou consonne -, mais que certains sons peuvent être représentés par différentes lettres comme le son [s] noté "s", "c", "ç", "x" (cf. "dix") ou par une combinaison de deux, trois lettres (voire plus), comme "ss", "sc" (toujours pour le son [s]), ou encore "au", "eau", "oh", "ho", "ô", "aux", "eaux", "aulx" pour le son [o] par exemple, ceci en fonction de l'étymologie et de l'évolution historique de la langue et de l'orthographe.

A la différence de nos lettres, qui servent essentiellement à noter une seule unité de son totalement indépendante du sens (le son [p] dans "père", n'a aucun sens pris isolément), les caractères chinois représentent le sens d'une idée relativement indépendante du son puisqu'un même caractère sera lu différemment d'une région de la Chine à l'autre tout en gardant le même sens.

Reste évidemment que le chinois se parle et que l'écriture chinoise se lit à l'oral : chaque caractère correspond à une syllabe (comprenant elle-même un, deux, trois ou quatre sons) : l'idéogramme
, qui, à l'origine, représentait un cheval, contient deux phonèmes [m] et [ǎ] ; l'idéogramme correspond, quant à lui, à la syllabe [a], qui ne contient qu'un seul phonème ; [māo] contient trois phonèmes, et [xiǎo] en contient quatre.

On fait souvent une erreur majeure en présentant les caractères chinois comme des images globales (des pictogrammes) qu'il faudrait en quelque sorte photographier mentalement pour les retenir tels quels : en réalité, comme nos mots, même s'ils se donnent sous l'apparence de la simultanéité, ils se déploient dans l'ordre de la succession, la succession hiérarchique de leurs composants : clefs, blocs composants (simples ou complexes).

Les caractères chinois peuvent en effet être simples et n'utiliser qu'un seul graphème ou bien complexes et en contenir plusieurs.

Les graphèmes de l'écriture chinoise peuvent avoir :

- une fonction sémantique (pictographique ou idéographique) comme le caractère
[mǎ], devenu , et signifiant "cheval" ;

- cette fonction sémantique peut être classificatoire comme celle du composant
[nǚ] ("femme") qui est la clef de [mā] ("mère") ou non classificatoire comme celle du même composant dans [nǔ] ("s'efforcer")

- une fonction phonétique comme le composant
dans mā, "mère" (l'idée de la mère n'ayant rien à voir avec celle du cheval mais les deux mots étant approximativement homophones)

- une fonction graphique comme les deux points qui surmontent l'élément dans
[shuō] ("dire")

Certains de ces graphèmes peuvent jouer plusieurs rôles en même temps, combiner, par exemple la fonction graphique et la fonction sémantique ou la fonction sémantique et la fonction phonétique. Ainsi, par exemple, le composant 亠, qui représente un couvercle, n'a généralement qu'une fonction graphique mais il peut participer à la construction du sens : le caractère
jīng, "la capitale", , est formé de trois composants, sous le couvercle, la bouche et sous la bouche le petit : une capitale, n'est-ce pas justement un monde dans lequel la parole des humbles est mise sous le boisseau ? De même, le composant [mén] qui signifie "la porte", n'a, la plupart du temps, qu'une fonction phonique comme dans [men] qui sert à fabriquer le pluriel des pronoms mais il peut avoir une fonction sémantique et phonique comme dans [mēn] qui signifie "étouffer" : un coeur sous une porte, n'est-ce pas le meilleur moyen graphique de signifier la l'oppression respiratoire ?

Enfin, de même que nos mots sont composés de plusieurs syllabes, les mots chinois peuvent être mono - ou poly- syllabiques. Mais il y a, là encore, une grande différence entre le chinois et le français puisque les découpages syllabiques, en chinois, correspondent toujours à des découpages sémantiques, ce qui n'est pas le cas en français. Tandis que les syllabes de
[huǒ chē] (littéralement "feu – voiture" = "voiture à feu") collent parfaitement au sens du mot "train" en chinois, celles du mot "débarquement" ("dé - bar – que – ment") ne correspondent pas exactement aux unités minimales de sens de ce terme en français : "dé" (= sortir de) – "barque" (petit bateau) – "ment" (suffixe du substantif) : il n'y a que trois unités minimales de sens mais il y a quatre syllabes.

J'ajoute que c'est faute d'avoir suffisamment analysé la manière dont est composée l'écriture chinoise qu'on a voulu imposer en France la méthode de lecture globale, dont chacun s'accorde aujourd'hui à considérer qu'elle donne des résultats catastrophiques. Pour apprendre à lire le chinois, comme pour apprendre à lire le français, il faut aller de l'analyse à la synthèse : simplement, les unités qui se combinent ne sont que rarement des sons, ce sont, la plupart du temps, des idées.

Pour mieux comprendre tout cela, je vous invite à apprendre à lire avec la clef de la femme et à visiter mon atelier d'initiation à la langue, à l'écriture et à la culture chinoises (en particulier la première leçon).
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