pour apprendre à lire avec la clef de la femme

pour apprendre à lire avec la clef de la femme

Messagepar laoshi » 07 Avr 2013, 07:57

J'ouvre ici une nouvelle rubrique pour apprendre à lire de manière très progressive. Chacun pourra l'enrichir à sa guise, s'il le souhaite.

En premier lieu, je vous suggère de lire ou de relire ma première "leçon".

Voilà les trois caractères que je vous propose de découvrir et de retenir aujourd'hui


女 子 好

le caractère [nǘ], la femme, les femmes, représente une femme agenouillée dans une attitude de soumission (il faut lire l'image de droite à gauche, sens de l'écriture chinoise ancienne, pour le comprendre)

le caractère
[zǐ] représente un petit enfant dont on ne voit que la grosse tête et les bras, le reste du corps étant emmaillotté ; isolé, il se prononce au troisième ton ; mais il est souvent employé comme suffixe et il est alors atone.

Ces deux caractères sont des caractères simples, indécomposables ; combinés entre eux, ils forment le caractère composé
[hǎo] ("bon, bien") dans lequel [nǘ] est la "clef", et [zǐ] un composant sémantique, un élément porteur d'un sens : un enfant dans les bras de sa mère, n'est-ce pas le symbole même de ce qui est bon ?

Tous les composants chinois, en effet, n'ont pas le même rôle, nous y reviendrons. Ici, les deux composants ont un sens mais ils n'ont pas la même importance hiérarchique : la "clef" ("radical" ou "racine"), sert à intégrer le mot désigné par le caractère dans une classe d'objets ou de concepts : on trouvera ainsi le composant
[nǘ], dans un grand nombre de termes objectivement associés aux femmes comme les mots [mā] ("mère"), [niáng] ("jeune fille", "mère", "dame") ou [jià] ("épouser"), par exemple, mais on le trouvera aussi dans des termes qui reflètent l'idéologie plus que la réalité : allez donc savoir pourquoi les deux syllabes du mot "jalousie" [jídù], s'écrivent avec la clef de la femme ?
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blocs composants et idéophonogrammes

Messagepar laoshi » 07 Avr 2013, 17:51

Continuons avec le radical et découvrons, dans les trois caractères suivants, d'autres types de composants :



[mā] maman, [jià] épouser, [niáng] jeune fille, mère, dame

Notre premier caractère,
[mā], combine à la clef de la femme [nǚ], le composant simple [mǎ], qui signifie cheval. Là encore, il faut se souvenir du sens de l'écriture chinoise originelle, qui se lisait de droite à gauche, pour retrouver le souvenir du pictogramme primitif ; on y devine la tête, la queue et, dans le trait horizontal, les quatre pattes du cheval lancé au galop (en chinois traditionnel, elles étaient clairement distinguées). L'idée de la mère n'a pourtant rien à voir, direz-vous, avec celle du cheval. C'est que le composant [mǎ] n'a pas de rôle sémantique ici, il n'a qu'un rôle phonographique : le chinois nous dit "c'est une femme que j'appelle à peu près comme le cheval mais qui n'est pas un cheval". A peu près en effet, car le ton n'est pas le même et vous comprenez tout de suite pourquoi il est essentiel d'être vigilant dans la prononciation des tons...

Notre deuxième caractère,
[jià], est lui aussi un idéophonogramme : la partie gauche, là encore, est occupée par la clef de la femme [nǚ] ; en partie droite, vous reconnaissez peut-être le caractère [jiā], auquel j'ai consacré une longue analyse intitulée cochon sous un toit. Mais, à la différence de l'élément [mǎ] dans [mā], le composant [jiā] est lui-même composé (de [mián], "le toit", et [shǐ], "le cochon"). Lui aussi a une fonction phonétique : il nous indique la prononciation approximative du caractère qui se prononce [jià] au quatrième ton et non pas [jiā], au premier ton. Mais il nous apprend également quelque chose de la culture chinoise qui pratique traditionnellement le mariage à résidence patrilocale : l'épouse quittant la maison de ses parents pour s'installer sous le toit de son mari et de ses beaux-parents.

Notre troisième caractère,
[niáng], prend plus de liberté encore avec la phonétique car le composant se prononce [liáng] et non [niáng] ! cette fois, le ton est respecté, puisque les deux caractères se prononcent au deuxième ton, mais la consonne initiale diffère ! Sans doute les Chinois sont-ils plus sensibles, en l'occurrence, à l'aspect idéographique qu'à l'aspect phonétique car le bloc composant [liáng], signifie "bon, excellent, vertueux, sage, doux", bref toutes les qualités que l'on attend d'une jeune fille, d'une mère ou d'une dame...
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Re: pour apprendre à lire...

Messagepar mandarine » 08 Avr 2013, 17:51

Merci Laoshi pour cette initiative.
J'aimerais vous promettre de m'y coller chaque jour ,ce que je vais tenter de faire,
mais hélas , certains jours , le temps me manque ...et la discipline aussi.
Merci pour vos efforts pédagogiques envers les élèves récalcitrants dont je fais partie . :ec16:
Les autorités de votre pays,qui elles aussi pensent forcément à leurs intérêts,ne manqueront pas de comprendre combien le type de célébrité que leur vaut la persécution de personnes telles que vous les dessert Vaclav Havel à Liu Xiaobo
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Re: pour apprendre à lire...

Messagepar laoshi » 08 Avr 2013, 17:54

J'essaie de vous donner le virus ! grippe aviaire oblige :lol:
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variations sur la clef de la femme

Messagepar laoshi » 09 Avr 2013, 15:51

Continuons nos variations sur la clef de la femme tout en explorant la réalité et l'imaginaire de la société chinoise ancienne qui a présidé à l'élaboration de l'écriture idéographique. Voici les trois nouveaux caractères du jour :

妻 姬

[fù], la bru, [qī] l'épouse légitime, [jī] la concubine

Si l'on ajoute, à droite de la clef de la femme (
), le composant "balai" - en chinois ancien [zhǒu], abusivement simplifié en [jì] -, on obtient le caractère [fù], la bru, l'épouse du fils... tout un programme !

Si l'on ajoute, au-dessus de la clef de la femme (
), le composant "instrument d'écriture, pinceau, stylet ", [yù] (moins un trait horizontal), on obtient le caractère [qī] "l'épouse légitime" : il est vrai que le mariage suppose l'intervention de l'écriture, pour sceller les obligations contractuelles entre les deux familles...

Nous connaissons déjà notre troisième caractère,
[jī], nous l'avons découvert dans 王别 [bà wáng bié jī] Le roi dit adieu à sa concubine, dont nous avons parlé dans La mort de Xiang Yu et de sa concubine Yuji et dans le Banquet de Hongmen. Il n'est pas facile, ici, de découvrir le sens étymologique de ce caractère qui juxtapose à la clef de la femme () un bloc composant complexe fait de quatre éléments : le caractère [fāng], qui désigne un récipent de forme carrée correspondant à la mesure d'un boisseau, le caractère [kǒu], qui désigne la bouche et le trait vertical, répété deux fois, qui indique une communication du haut vers le bas... est-ce parce que les concubines sont des subalternes qui chantent fréquemment pour leur seigneur et maître ? c'est possible car le mot [jī] peut aussi vouloir dire "chanteuse". Est-ce parce que c'est une bouche supplémentaire à nourrir ? C'est ce que pourrait suggérer l'évocation du boisseau... A vous de vous forger votre propre explication de ce curieux [jī]...
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Re: pour apprendre à lire avec la clef de la femme

Messagepar Timoune » 09 Avr 2013, 16:59

bonjour à tous,
voici ce que j'ai trouvé, je vous le recopie. Je suis désolée, je n'ai pas réussi à installer le pinyin sur l'ordinateur mais j'ai les caractères version quanpin. Je n'ai pas pu trouver le caractère de nu : la femme...oui bizarre...mais bon, je vous écris ceci :

"Une femme de l'Antiquité, agenouillée. Jadis, les gens avaient l'habitude de s'asseoir sur une natte, en fléchissant les genoux; en s'agenouillant, les femmes croisaient les deux bras devant elles. Aujourd'hui, les mains croisées sont tracées dans la partie inférieure avec, au-dessus, le trait horizontal qui représentait le corps."

"Au moins officiellement, la femme n'avait pas une place importante dans la société, même si en réalité sa position était fondamentale et si elle jouissait d'un grand prestige. Le pictogramme la représente en position de soumission dans l'attitude caractéristique de la femme chinoise, les mains cachées dans les manches qu'elle tient devant elle, le dos et la tête inclinés. Plus tard, pour des raisons pratiques de rapidité d'écriture, le caractère représente la femme de profil, mais dans une position encore plus humble : à genoux. Mais les choses n'étaient pas précisément telles. Le proverbe "l'homme est la tête de la famille" était ironiquement complété par la phrase "et la femme est le cou qui fait bouger la tête comme et quand elle le veut"."
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Re: pour apprendre à lire avec la clef de la femme

Messagepar laoshi » 10 Avr 2013, 06:13

Excellente citation, Timoune, je reste néanmoins dubitative sur la pirouette du proverbe. Sans doute les femmes qui savaient se faire manipulatrices étaient-elles légion mais la soumission - ne serait-ce qu'à la belle-mère -, me semble être restée longtemps la règle...

Cette citation serait-elle extraite de Caractères chinois, du dessin à l'idée, 214 clés pour comprendre la Chine, de Edorado Fazzioli, préfacé par Claude Hagège, chez Flammarion ou de Les Idéogrammes Chinois ou l'empire du sens de Joël Bellassen aux éditions You Feng ? J'ai lu le premier, que j'ai dans les Vosges (mais, pour le moment, je suis à Paris, je ne peux pas vérifier).

Pour écrire le caractère
, il faut taper "nv" et non pas "nu" ou "nü". Je vous avais préparé, il y a longtemps déjà, un didacticiel en images pour écrire les caractères chinois et le pinyin mais j'ai oublié de le poster sur le forum, je vais le rechercher et le mettre en ligne dans la rubrique "mode d'emploi".
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Re: pour apprendre à lire avec la clef de la femme

Messagepar Timoune » 10 Avr 2013, 11:03

Bonjour,
oui ce sont bien ces livres. :applause: J'aime beaucoup ces livres.
Si ma mémoire est bonne, vous m'aviez gentiment expliqué la manipulation à faire pour entrer les caractères et le pinyin sur Chineinfromations, c'était la version XP. J'ai windows 7 et pour mettre les caractères, je suis allée dans "panneau de configuration...etc".
Merci pour tout.
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la jalousie : une affaire de femmes ?

Messagepar laoshi » 10 Avr 2013, 17:21

Puisque j'ai déjà évoqué la liaison entre femme et jalousie dans l'imaginaire chinois, revenons sur ces deux caractères déjà vus et ajoutons-en un troisième pour tenir le rythme de trois par jour, ce qui ne me semble pas excessif...



[yào], vouloir ou falloir ; [jí] "jalouser" ou "jalousie", [dù] "femme jalouse", "envieux" ou "envier"

, "vouloir" ou "falloir", superpose à la clef de la femme () le composant 西 [xī], qui désigne étymologiquement "l'oiseau assis sur son nid" et, par extension, "le couchant", "l'ouest" (parce que les oiseaux rejoignent leur nid au soleil couchant). Est-ce à dire que la femme, maître chez elle comme l'oiseau dans son nid, peut imposer à tous les caprices de son vouloir ? C'est ce que je me demande à découvrir cette curieuse étymologie...

Si tel est le cas, on comprend en tout cas que la jalousie soit de mise dans la famille polygame... Deux femmes sous le même toit, ce sont nécessairement deux volontés capricieuses qui s'affrontent pour la possession du nid ! La "jalousie", que disent les deux caractères
/ 妒 [jí] [dù] pris isolément ou tous les deux ensemble (les dissylabiques [jídù] ou [dùjí] existent tous les deux !), est l'essence même du féminin pour les Chinois !

[jí], c'est la clef de la femme () en partie gauche et le composant [jí] en partie droite. Vous remarquerez que ce composant assume ici un rôle phonétique mais qu'il a en même temps un rôle sémantique car [jí] (composé de [shǐ] "flèche" et de [nè] "homme alité") veut dire "maladie", "poison", "venin", "haïr" ! L'idéophonogramme [jí] signifie donc littéralement "maladie de femme","poison de femme" etc.

Quant à
[dù], qui, à lui seul signifie étymologiquement "femme jalouse", il est composé de la clef de la femme () en partie gauche et du bloc composant [hù] qui signifie "maisonnée", "maison" mais qui combine l'élément "cadavre" [shī] au trait oblique 丿... Il ne fait pas bon, décidément, être exposé aux flèches de la jalousie féminine !
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qui parle dans l'écriture chinoise ?

Messagepar laoshi » 12 Avr 2013, 14:12

"Qui parle dans la langue" se demandait Nietzsche dans La Généalogie de la morale. Son expérience de philologue, spécialiste de l'étymologie, lui faisait conclure que ce sont toujours "ceux qui dominent" qui sont à l'origine du sens des mots que nous employons sans y prendre garde :

Nietzsche, dans La Généalogie de la morale, a écrit:
On peut considérer l'origine même du langage comme un acte d'autorité émanant de ceux qui dominent : ils ont dit "ceci est telle ou telle chose" et se la sont ainsi, pour ainsi dire, appropriée.

Nul doute qu'il aurait été conforté dans sa pensée s'il avait étudié l'écriture chinoise. Longtemps apanage des hommes, l'écriture chinoise est d'une effroyable misogynie (Nietzsche, malheureusement, tout philosophe qu'il était, n'était pas à l'abri des pires préjugés tout autant).

En continuant mon inventaire des mots classés sous la clef de la femme, j'ai trouvé quelques petits bijoux idéologiques. Les voici :


奸 妖

[nú] "esclave, homme corvéable, bagnard, domestique", [jiān] "perfide, fourbe, adultère, viol, inceste, homme pervers, scélérat", [yāo] "ensorcelant, esprit maléfique, monstre, spectre"

Peu importe, on le voit, qu'on parle d'un homme ou d'une femme : le vice, la soumission, la trahison, la perversion, l'abjection, le maléfice se pensent au féminin dans la Chine ancienne !

Arrêtons-nous donc un instant, maintenant, sur la composition de chacun de ces trois caractères :


[nú], "esclave, homme corvéable, bagnard, domestique", c'est, à gauche, la clef de la femme, et, à droite, une main [yòu] ; l'esclave, c'est la femme (ou l'homme) qui est sous la main de son maître, celle ou celui qui est docile, qui se plie à toutes ses volontés et à tous ses caprices...

[jiān], "perfide, fourbe, adultère, viol, inceste, homme pervers, scélérat", c'est, à gauche, la clef de la femme, et, à droite, [gān], qui signifie "offenser", "violer", "transgresser". Mais le caractère traditionnel est plus parlant encore puisqu'il s'écrit tout simplement , trois fois le composant , une fois en partie haute, deux fois redoublé en partie basse ! Ce mode de composition, que nous avons déjà vu à l'oeuvre dans , [lěi], littéralement "pierres amoncelées", exprime ici, en quelque sorte, la quintessence superlative du féminin !

[yāo], "ensorcelant, esprit maléfique, monstre, spectre", c'est, à gauche, la clef de la femme, et, à droite, [yāo], qui signifie entre autres "malheur, calamité, mourir dans la fleur de l'âge".... Cet idéophonogramme couronne ce petit inventaire provisoire de la perversité féminine en le haussant au niveau du surnaturel....
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