Philipppe Grangereau, dans Libération, a écrit:«Rééducation» de Chinoises : la barbarie exposée
Récit Les prisonnières des «camps de travail» sont exploitées et torturées. La presse locale a pour la première fois publié des témoignages.
Deux enquêtes sur les «camps de rééducation par le travail» publiées coup sur coup ce mois-ci par la presse chinoise mettent en lumière les violences extrêmes dont sont victimes les pensionnaires de ces institutions très spéciales. Ces deux investigations inédites plongent dans le monde obscur des camps réservés aux femmes.
Vagin. Le quotidien anglophone Global Times s’est intéressé à celui de Dalishan, près de Nankin (dans le sud du pays), tandis que le magazine Lens s’est penché sur le camp de Masanjia, près de Shenyang (nord-est). Après avoir suscité les réactions indignées de dizaines de milliers d’internautes, l’enquête sur Masanjia a été censurée sur le web. Yuan Ling, le journaliste de Lens, a rencontré plus d’une dizaine d’anciennes prisonnières. Certains des témoignages, sous forme écrite, ont pu être sortis clandestinement des camps, cachés dans le vagin de victimes libérées.
Les 5 000 détenues de Masanjia travaillent dans des ateliers de couture et de repassage pour le compte d’entreprises extérieures de prêt-à-porter, de dix à quatorze heures par jour, sans recevoir de salaire. Leurs maigres rations alimentaires sont constituées de légumes et de riz, jamais de viandes. Une fois par mois, elles peuvent prendre une douche chaude. Zhu Guiqing, une prisonnière qui se plaignait, a été enfermée pendant plusieurs mois, menottée et les fers aux pieds, dans un cachot spécial, appelé xiaohao («petit numéro»), de quelques mètres carrés. Bien que la température descende à -20°C l’hiver, ce type de cellule est dépourvu de chauffage, et surtout de toilettes, si bien que celle-ci se remplit petit à petit d’excréments. Zhu a également eu droit à treize jours de séances de tortures à la matraque électrique, sur tout le corps. Hu Xiafen, elle, a été électrocutée dans la bouche. «C’est comme si des aiguilles vous transperçaient», a-t-elle raconté au journaliste de Lens. Ce dernier a confié dernièrement qu’il avait recueilli des «récits identiques» auprès d’anciennes prisonnières d’autres régions du pays, ce qui laisse supposer que ces pratiques sont répandues.
Mot de travers.
De 190 000 (chiffre officiel) à 500 000 Chinois (selon la Fondation Laogai) sont en «rééducation par le travail». Ce système extrajudiciaire se distingue du pénal dans la mesure où les détenus ne sont pas officiellement considérés comme des criminels. Parfois, pour un simple mot de travers écrit sur un blog (Libération du 6 novembre), une personne peut être, sans jugement, condamnée par la police à purger jusqu’à quatre années dans l’un de ces petits goulags. A Masanjia, sont détenues des handicapées, des femmes enceintes et des malades, à qui tout soin est refusé. Certaines sont menottées des jours durant dans des positions très inconfortables, au motif d’un simple repassage mal fait, ou pour avoir refusé de signer des aveux.
L’une d’elle, Zhao Min, a tenu vingt-huit heures, suspendue dans le vide par des menottes attachées à ses pieds et ses mains aux montants d’un lit superposé. «Dès qu’on bouge, la souffrance devient intolérable», a-t-elle raconté. D’autres sévices plus classiques sont infligés, tel le laohudeng (le «siège du tigre», lire ci-contre). Les prisonnières en grève de la faim sont ligotées sur des lits parfois des semaines entières, sans être autorisées à utiliser les toilettes. Leurs dents de devant sont brisées pour permettre le passage dans la bouche d’un tuyau à travers lequel on leur injecte de la bouillie.
Troubles mentaux.
Parfois, les autorités du camp se débarrassent discrètement de leurs pensionnaires trop amochées. C’est ce qui est arrivé à Zhu Guiqing, atteinte de troubles mentaux, conséquences de mauvais traitements. En 2007, au terme de sa peine de trois ans, elle a été conduite dans une rue de Changchun, à des centaines de kilomètres du camp, où elle a été jetée par la portière. Recueillie par des riverains qui se sont cotisés pour la faire entrer dans un asile, elle s’est remise petit à petit de son traumatisme. Zhu Guiqing avait initialement été internée parce qu’elle réclamait une indemnité pour son frère, devenu handicapé suite à des sévices subis dans un autre «camp de rééducation».
Les 2 100 prisonnières du camp de Dalishan, à Nankin, fabriquent au rythme de quatorze heures par jour des jouets et des jeans «destinés à l’exportation», selon le Global Times. Tang Shuxiu, une ancienne «ouvrière modèle», a été condamnée, en avril 2011, à un an dans ce camp parce qu’elle réclamait avec trop d’insistance qu’on lui alloue un appartement. «Je me souviendrai toujours des cris effrayants et glaçants des détenues qui étaient battues par d’autres prisonnières plus anciennes», a-t-elle révélé au Global Times.
Dans les prisons chinoises, il est courant que les gardiens confient le «sale boulot» à des prisonniers, en échange de remises de peine. Selon une ex-détenue, citée par le journal, la police aurait des quotas d’arrestations à remplir, afin de garantir que le camp-usine ne manque jamais de main-d’œuvre.