Cao Shunli est morte faute de soins, sur ordre de Pékin. Plus cynique encore, les autorités ont attendu qu'elle soit dans le coma, en phase terminale de sa tuberculose, pour la rendre à sa famille, en prétendant lui accorder "une libération anticipée pour raisons de santé" ! Ainsi, il ne sera pas dit qu'elle est morte en détention, n'est-ce pas ? Pendant ce temps, la Chine a obtenu un siège au Conseil des droits de l'homme à l'ONU, une gifle pour tous les défenseurs des droits de l'homme. Cao Shunli n'aura pu s'y rendre pour faire entendre sa voix...
Brice Pedroletti, dans Le Monde, a écrit:
La mort de la militante Cao Shunli indigne les milieux de défense des droits de l'homme
Jetée en prison car son activisme gênait l'image que la Chine veut projeter à l'étranger en matière de respect des droits de l'homme, la militante Cao Shunli, âgée de 52 ans, est morte vendredi à Pékin après plusieurs semaines de coma.
Atteinte de tuberculose aux deux poumons ainsi que de problèmes au foie, elle s'était vue refuser tout traitement par le centre de détention où elle se trouvait depuis son arrestation à l'aéroport de Pékin le 14 septembre. Tout un groupe d'avocats et de militants chinois ne cessait depuis plusieurs semaines de tirer l'alarme à son sujet.
Techniquement, Mme Cao (prononcer « tsao »), une ancienne fonctionnaire qui avait fait des études de droit à Pékin, n'est pas morte en détention : les autorités ont fait signer à la famille le 27 février sa libération anticipée pour raison médicale alors qu'elle était déjà dans un état décrit comme « terminal » par les médecins.
Il s'agit « en toute probabilité d'une tentative des autorités de se dégager de toute responsabilité dans la situation médicale critique où se trouvait Mme Cao », lit-on dans le communiqué de l'ONG Chinese Human Rights Defenders (CHRD), basée à l'étranger. Sa directrice internationale, Renée Xia, a décrit vendredi 14 mars la disparition de Cao Shunli comme « la démonstration la plus triste et la plus claire de la persécution frénétique et sans borne des militants de la société civile et défenseurs des droits chinois qui cherchent à participer à des activités liées aux droits de l'homme dans le cadre des Nations Unies ».
En pratique, cette nouvelle bavure de l'état policier chinois est hautement embarrassante : la détention de Cao Shunli à l'aéroport de Pékin en septembre avait eu lieu alors qu'elle allait s'embarquer pour Genève afin de prendre part à des ateliers de formation sur les droits de l'homme. Elle n'était pas passée inaperçue : Catherine Ashton, la haute représentante de l'Union Europénne pour les affaires étrangères, avait fait part de sa « vive préoccupation » concernant Mme Cao le 20 octobre.
« LES AUTORITÉS CHINOISES ONT DU SANG SUR LES MAINS »
A l'origine, la militante avait eu pour objectif de faire entendre son point de vue au moment de l'examen périodique universel (EPU) auquel devait être soumise la Chine le 22 octobre par le Conseil des Droits de l'homme de l'ONU, et en vue duquel la diplomatie chinoise avait déployée une spectaculaire offensive de charme…et d'intimidation.
Elle n'en eut pas l'occasion, ni personne d'ailleurs : la société civile chinoise fut entièrement exclue du processus. Et la Chine obtint pour la première fois le mois suivant un siège au Conseil des droits de l'homme, au grand dam des ONG internationales.
« Dans l'esprit du gouvernement chinois, cette opération était avant tout destinée à camoufler la situation des droits de l'homme en Chine, bien plus que d'en débattre, c'était donc une vaste opération de mauvaise foi et de déni », nous avait alors expliqué le chercheur Nicholas Bequelin, de Human Rights Watch à Hongkong. Poursuivant : « Et ce que la Chine veut éviter à tout prix, c'est la jointure entre la mouvance domestique de défense des droits, et les organisations internationales ».
Cruelle ironie, l'arrestation de Cao Shunli ne pouvait mieux selon lui illustrer la réponse de Pékin aux défenseurs des droits, qui était « de leur faire la chasse, de les persécuter et de les arrêter ».
Cao Shunli était une militante au long cours. Depuis 2008, elle avait mené de nombreuses initiatives – le plus souvent la rédaction de rapports circonstanciés et de lettres collectives, mais aussi des actions en justice – afin d'exiger davantage de transparence des autorités chinoises sur leurs actions officielles en matière de respect des droits de l'homme, que ce soit leur « plan d'action national » ou bien leurs rapports à destination de l'étranger.
En juin 2013, elle avait organisé un sit-in avec d'autres militants devant le ministère des affaires étrangères chinois dans le but de sensibiliser l'opinion internationale à l'examen à venir de la Chine aux Nations-Unies. Son engagement datait du début des années 2000, après que cette fonctionnaire du ministère du travail perdit son emploi en 2002 pour avoir dénoncé la corruption dans l'attribution des logements de l'administration.
Elle fit deux séjours en camp de rééducation par le travail en raison de ses plaintes répétées. Puis ses efforts se portèrent sur le sort des pétitionnaires chinois, victimes des dénis de droits les plus grossiers. Dès son arrestation, les risques liés à son état de santé, en raison de ses problèmes de foie, furent signalés par ses proches à la police.
Dans l'appel d'urgence qu'ils ont publié le 24 février, ceux-ci expliquent que la prisonnière n'eut pas accès à ses médicaments et qu'elle n'eut droit à un examen médical que le 18 novembre, à la suite de demandes insistantes de son avocate, Wang Yu, qui l'avait trouvée particulièrement affaiblie. Ce n'est qu'à ce moment que les médecins découvrirent qu'elle souffrait de tuberculose.
Le centre de détention de l'arrondissement de Chaoyang, où elle se trouvait, a ensuite temporisé, empêchant à l'avocate de voir sa cliente hospitalisée, tandis que les démarches de la famille pour obtenir sa libération pour raisons médicales furent rejetées.
Le 20 février, l'avocate fut prévenue par le frère de Cao Shunli que celle-ci se trouvait dans un service d'urgence de la capitale et était dans un état comateux depuis quatre jours. Or, ce service refusa d'abord de la transférer dans une institution médicale spécialisée tant que la famille ne signait pas une décharge, avant de s'exécuter. Mais il était trop tard pour Mme Cao : les médecins de l'hôpital militaire 309, où elle fut finalement internée le 20 février, ne purent la sauver. Pour Amnesty international, « les autorités chinoises ont aujourd'hui du sang sur les mains ».