Par Raphaël Balenieri, Envoyé spécial à Wukan (Chine) — 29 novembre 2016 à 17:26
Lors du vote à Wukan, en mars 2014. Photo Mark Ralston. AFP
Notre reporter n'a pu rester qu'une heure et demie dans ce village rebelle, théâtre d'émeutes antigouvernementales en septembre, avant de se faire arrêter par la police puis renvoyé à Canton.
C’était en septembre. Jets de pierres contre gaz lacrymogènes, les habitants en colère de Wukan tenaient à nouveau tête au pouvoir en repoussant à coups de cailloux les rangées de policiers anti-émeutes dans une scène digne d'une guerre civile. Deux mois plus tard, le train-train quotidien semble, à première vue, avoir repris son cours à l’intérieur de ce légendaire bourg de 13 000 âmes du sud-est de la Chine, théâtre depuis 2011 d’affrontements réguliers entre les habitants et les autorités locales qui avaient vendu derrière leur dos quelque 660 hectares de terrain communal à des promoteurs immobiliers.
Carte de localisation Wukan, Guangdong, Chine
A lire aussi :Wukan étouffé sous la répression
Dans la rue principale, un vieux monsieur édenté, coiffé d’un large chapeau de paille, sort tout juste de chez le dentiste: un local au rez-de-chaussée, sans porte ni fenêtres, donnant directement sur la route. Plus loin, devant l’autel du temple richement décoré, trois femmes se prosternent sous les lanternes rouges de papier. Le parfum entêtant de l’encens brûlé se répand en cette chaude journée de la mi-novembre. A côté, un homme âgé observe tranquillement la scène depuis le petit banc.
Muets comme des carpes
Les barrages ont donc été levés, permettant d’entrer et de sortir librement de Wukan. Mais les habitants, muets comme des carpes, restent sur leurs gardes. Les journalistes étrangers, quant à eux, sont toujours persona non grata. A peine une heure et demie après notre arrivée, un officiel du village, un certain monsieur Huang, nous aborde. «Que faites-vous ici ?» L’homme, en polo blanc, porte à son cou un badge marqué d’une faucille et d’un marteau. Un coup de fil et voilà la police qui débarque désormais dans un gros SUV. A l’intérieur, trois hommes dont un policier en civil, habillé en noir de la tête aux pieds. Arrivée au poste en voiture. Tour à tour, policiers en uniforme kaki et bureaucrates de la ville voisine de Lufeng, s’assoient pour mener l’interrogatoire.
«Vous avez pu constater par vous-même que le village est calme, dorénavant. Vous préférez ça ou le chaos, comme en Syrie ou en Libye ?» attaque le chef de la police locale comme s’il cherchait la bagarre. En chemisette à carreaux, le patron de la propagande municipale se montre plus courtois, même s’il supprime une à une toutes nos photos. «Les choses sont rentrées dans l’ordre à présent, mais vous ne pouvez pas être là. Il aurait fallu nous contacter avant», prétexte-t-il en nous distribuant un document de propagande d’une trentaine de pages. Dans ce livret, les autorités affirment en effet avoir redistribué au village 86 % des terrains expropriés, un chiffre cependant invérifiable faute d’avoir pu réaliser des entretiens avec les habitants. Après avoir été invités à déjeuner, une voiture nous a ensuite escortés directement jusqu’à Canton, à environ 300 km.
Unique expérience démocratique
En 2012, pourtant, des dizaines de journalistes étrangers avaient pu rester sur place, se faisant héberger chez les résidents pour pouvoir raconter de l’intérieur l’expérience démocratique unique qu’allait vivre Wukan. En 2011, déjà, ce hameau avait fait la une de toute la presse internationale : le 21 septembre, 6 000 riverains à bout avaient protesté à Canton devant le siège du gouvernement provincial, dans une énième tentative pour récupérer leurs parcelles. Prises de court, les autorités avaient ensuite éjecté l’ancien secrétaire local du Parti responsable de l’expropriation pour nommer à sa place, début 2012, Lin Zulian, l’un des leaders de la mutinerie. Plus rare encore, l’élection à bulletins secrets d’un nouveau comité villageois avait été autorisée, une concession inédite en Chine où les «incidents de masse» – la terminologie officielle désignant les explosions de mécontentement dans les lointaines provinces de l’empire communiste – sont le plus souvent réprimés par la force.
Mais l’ouverture n’a pas fait long feu. Il y a deux mois, ce rare exercice de démocratie directe a été définitivement enterré, lorsque Lin Zulian, le maire de 72 ans qui avait été réélu en 2014, a été condamné début septembre à trois ans de prison pour avoir «accepté des pots-de-vin». La sentence a fait bondir Wukan. Le village a replongé dans la violence, avec des raids de la police jusque dans les maisons. La reprise en main a clairement laissé des traces. A présent, plus personne ne siffle mot. «Même si je vous expliquais la situation, ça ne servirait à rien», lâche, dépité, le patron d’une gargote de nouilles du village tout en nous offrant un bol brûlant de youcha, une spécialité hakka du coin qui se boit en picorant des cacahuètes salées. «On a tous trop peur de parler […] Mon père a plus de 60 ans, et pourtant on l’a tabassé puis mis en détention pendant vingt jours», chuchote une autre femme de la ville limitrophe de Shanwei, qui s’excuse de ne pas pouvoir nous mettre en relation avec ses parents
http://www.liberation.fr/planete/2016/1 ... ue_1531725
