Ai Weiwei et les voix du silence

l'idée de ce forum m'a été inspirée par l'action d'Ai Weiwei concernant les disparus du Sichuan, je vous propose d'y donner le nom de chacun des dissidents emprisonnés, disparus ou libérés dont vous aurez des nouvelles

#512Birthday

Messagepar laoshi » 23 Fév 2016, 08:32

"#512" est le mot-clef des horaires des vols à l'arrivée et au départ des aéroports. Ai Weiwei en détourne le sens pour en faire le mot-clef des anniversaires des petits disparus du Sichuan en ajoutant "Birthday". Hier, ils étaient 4, aujourd'hui, ce sont 11 petites victimes qui sont ainsi nommées sur son compte twitter :

hier :
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22 février. Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de 5 élèves qui ont trouvé la mort [dans le tremblement de terre]. Ce sont 王朝勇,王勇,杨恒,邹多健

aujourd'hui :

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23 février. Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de 11 élèves qui ont trouvé la mort [dans le tremblement de terre]. Ce sont 冯景瀚墨,苟慧敏,李永嘉,毛冲,潘显飞,潘越,熊川,徐聪,卓明帆,肖玉良,肖帅鑫
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Ai Weiwei et la censure

Messagepar laoshi » 10 Mai 2017, 15:58

Voici la traduction d'un texte d'Ai Weiwei sur la censure :

Ai Weiwei dans Le New York Times, a écrit: Comment fonctionne la censure

Pékin : dans l’espace d’un mois, en 2014, lors de deux expositions artistiques indépendantes l’une de l’autre, dans lesquelles figuraient certaines de mes œuvres, à Pékin et à Shanghai, mon nom a été effacé - dans le premier cas par les autorités gouvernementales, dans le second par les commissaires de l’exposition eux-mêmes. Certains pourraient prendre les choses à la légère, comme s’il n’y avait pas là matière à indignation. Mais, en tant qu’artiste, je considère les notices accompagnant mes œuvres comme une évaluation de mes créations – un peu comme les marques du niveau de l’eau sur les quais. D’autres pourraient hausser les épaules mais pas moi. Je n’ai aucune illusion, néanmoins, et je sais bien que mon refus de l’indifférence n’empêchera personne de hausser les épaules !
La vie, en Chine, est pleine de faux-semblants. Les gens feignent l’ignorance et restent dans l’ambiguïté. Chacun sait bien, en Chine, que la censure existe, mais rares sont ceux qui se demandent pourquoi elle existe.
Au premier abord, la censure est invisible, mais son « lessivage » constant des sentiments et des perceptions imposent des limites à l’information que reçoivent, sélectionnent et croient les gens. Les contenus diffusés par les médias d’Etat, après le passage de la censure politique, n’ont rien à voir avec une information libre. C’est une information qui a été soigneusement choisie, filtrée, et qui s’est vu assigner sa place, cela restreint nécessairement le libre arbitre des lecteurs et des spectateurs.
Le mal que fait la censure, ce n’est pas seulement d’appauvrir la vie intellectuelle ; c’est aussi, fondamentalement, de biaiser l’ordre rationnel dans lequel nous appréhendons les mondes naturel et spirituel. La censure dépossède l’individu de la perception autonome dont il a besoin pour vivre en toute liberté. Elle le prive de l’indépendance et du bonheur.
La censure empêche tout un chacun de choisir ce qu’il veut retenir et ce qu’il veut exprimer, et cela conduit nécessairement à la dépression. Là où domine la peur, le véritable bonheur disparaît et la volonté se dessèche. Les jugements sont biaisés et la rationalité elle-même s’atrophie. Les comportements du groupe peuvent alors retourner à la sauvagerie, devenir pathologiques et violents.
Quand l’Etat contrôle ou bloque l’information, ce n’est pas seulement pour réaffirmer son pouvoir absolu ; c’est aussi pour obtenir du peuple sur lequel il règne une soumission volontaire au système et une reconnaissance de la domination qu’il subit. Cela, en retour, renforce le principe de l’avilissement : accepter la servitude en échange de bénéfices matériels.
La manière la plus élégante de s’adapter à la censure est de pratiquer l’auto-censure. C’est la méthode parfaite pour s’allier au pouvoir et pour préparer la voie à un échange mutuel des bénéfices. Se prosterner devant le pouvoir en vue d’en recevoir de minces gratifications peut sembler sans importance ; mais sans cette prosternation, l’assaut brutal de la censure serait impossible.
Pour ceux qui acceptent cette passivité face à l’autorité, « tirer son épingle du jeu » devient la valeur suprême. Ils sourient, baissent la tête et opinent du bonnet et de tels comportements leur vaut en général une vie assez confortable, sans ennui et même « pépère ». C’est avant une attitude défensive pour eux. Il est évident que dans toute controverse, si l’une des parties est réduite au silence, la parole de l’autre restera incontestée.
C’est précisément ce qui arrive en Chine : la majorité silencieuse, les lèche-bottes d’un pouvoir tout-puissant, pleins de ressentiment pour les gens qui comme moi parlent haut, sont d’autant plus aigris qu’ils savent qu’ils sont responsables de leur propre avilissement. Ainsi, se défendre (de gens comme moi), c’est défendre son propre intérêt.
C’est parce que la censure exige la coopération et la reconnaissance tacite de ceux qui sont censurés que je ne souscris pas à la vision commune qui fait des censurés de simples victimes du système. L’auto-censure apporte des avantages et le système ne fonctionnerait pas sans une part de consentement volontaire.
Les gens qui se censurent volontairement s’exposent à des défis moraux de toute sorte. Ils n’ont jamais été des victimes et ne le seront jamais, en dépit de leur pleurnicheries périodiques et ostentatoires. A chaque fois qu’ils font preuve de servilité, ils apportent de l’eau au moulin des autocrates et nuisent aux protestataires. Leur veulerie, au fur et à mesure qu’elle gagne du terrain, est aussi la cause la plus profonde de l’effondrement moral de notre société. Si ces gens pensent que leur choix de coopérer est le seul moyen d’éviter de devenir des victimes du système, ils s’embarquent dans un voyage désastreux au cœur de l’obscurité.
Le système récompense les gens ordinaires de leur collaboration de manière automatique ; ils n’ont pas besoin d’entrer en compétition les uns avec les autres pour obtenir une récompense. Mais les organisateurs d’événements artistiques ou culturels doivent faire plus que cela ; ils doivent montrer à l’avance qu’ils « ont pigé », qu’ils seront accommodants avec les autorités et qu’ils sauront protéger leur image publique. Ils savent que si quoi que ce soit contrarie ceux du niveau supérieur, un projet, voire un organisme, seront rayés d’un trait de plume.
Dans un système où les œuvres d’art sont portées au pinacle ou condamnées à l’échec non pas au terme d’une franche compétition mais selon des critères corrompus, n’importe quel créateur ayant un peu d’authentique vitalité doit agir en silence et se conformer à des accords tacites.
On sait bien que je ne peux parler sur aucun forum public et que mon nom est supprimé de tous les réseaux sociaux. Je ne suis pas autorisé à voyager à l’intérieur de la Chine et je suis banni des médias d’état, où je suis régulièrement critiqué. Les commentateurs des médias d’Etat prétendent qu’ils sont impartiaux, mais ce n’est pas possible, vu la place qu’ils occupent derrière le rideau protecteur de l’Etat. Ils n’abordent jamais des sujets tels que la liberté d’expression ou le niveau de vie de l’immense majorité des Chinois. Leur véritable savoir-faire est de s’en prendre sans scrupules aux voix déjà étouffées par la répression.
Mon existence virtuelle, si je peux m’exprimer ainsi, ne compte que pour des gens qui ont fait le choix de me remarquer, et ces gens appartiennent clairement à deux catégories : ceux qui trouvent que mon comportement renforce le sens de leur propre vie, et ceux qui voient mon comportement comme un obstacle à leurs intérêts et qui, en conséquence, ne peuvent me le pardonner.
Ce n’est que lorsque la Chine offrira à l’expression de l’opinion des plateformes équitables et justes que nous pourrons nous entendre en utilisant nos propres mots. Je soutiens la création de telles plateformes. Cela pourrait être le premier pas vers la justice sociale. Mais dans un pays où tout est mensonger, dans les moindres détails, quiconque se lève pour défendre la vérité semble naïf, voire infantile. Mais finalement, j’ai trouvé que la voie de la naïveté était le seul chemin qui s’ouvrait à moi. Je suis contraint d’être aussi borné que ces Ouïgours et ces Tibétains dont on nous parle.
Tout artiste dérange, il participe au débat politique. Les valeurs esthétiques auront toujours l’avantage, surtout dans les périodes de changement historique. Une société qui persécute ceux qui s’en tiennent à leurs valeurs personnelles n’est pas une société civilisée, elle n’a pas d’avenir.
Quand les valeurs d’un individu sont portées à la connaissance du public, les normes et la morale de cette personne et celles de la société tout entière peuvent être confrontées. L’expression libre des individus peut stimuler des échanges plus originaux et peut conduire, en retour, à développer de nouveaux moyens d’échanges. C’est un principe inhérent à ma philosophie de l’art.
La censure, en Chine, limite les connaissances et les valeurs, ce qui est la clef pour imposer la servitude idéologique. Je fais de mon mieux pour montrer toutes les formes de cruautés, des plus subtiles au moins subtiles. Dans la situation actuelle, la résistance rationnelle ne peut reposer que sur les actions infimes des individus. Quand j’échoue, la responsabilité m’en incombe à moi seul mais les droits que je cherche à défendre sont ceux que nous pouvons tous partager.
Les esclaves de l’idéologie eux aussi peuvent se révolter, et, au bout du compte, ils se révoltent toujours.
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